Sur le vif - Mardi 23.05.23 - 15.42h
Issus, l'un et l'autre, de la Révolution française. Oh pas sur le moment, pas tout de suite, mais assez vite quand même : dès la fin du quart de siècle révolutionnaire (Révolution, Directoire, Consulat, Empire, 1789-1815), donc dès la Restauration, apparaissent ceux que nous appelons aujourd'hui les radicaux et les libéraux.
Ils apparaissent en France. Et aussi dans une Suisse romande beaucoup plus marquée par l'épisode révolutionnaire, notamment la République Helvétique de 1798, que par le treizième siècle largement mythifié de la Suisse primitive.
Ils apparaissent par courants de pensée. Par clubs. Par réunions plus ou moins clandestines. Par opuscules, ou journaux. Par gazettes, ou libelles.
Les radicaux, ce sont les Républicains. Fidèles, dans les grandes lignes, aux valeurs de la Révolution, avec la conception jacobine d'un Etat fort. Des colbertistes, après la lettre. Nombre d'entre eux, nostalgiques de l'Empire, ont la fibre grenadière, la moustache fière du peuple en armes, celui qui avait "passé les Alpes et le Rhin", et dont l'âme "chantait dans les clairons d'airain".
Les libéraux, c'est plus compliqué. Moins populaire. Plus patricien. Mais sacrément passionnant dans le legs intellectuel. En Suisse romande (Genève, Vaud, Neuchâtel) comme dans quelques Salons français, ils s'inscrivent certes dans l'héritage révolutionnaire, mais dans sa tradition plus douce, girondine, décentralisée, ouverte à la grande aventure industrielle, avec participation du Capital. Benjamin Constant, Tocqueville : de grandes figures.
Pendant tout le dix-neuvième siècle, puis tout le vingtième, radicaux et libéraux chemineront ensemble. Ils s'affrontent, parfois violemment, la Genève fazyste en sait quelque chose. Ils se rapprochent aussi parfois, notamment lorsque surgit le larron socialiste, puis communiste. Ou, dans les Cantons, lorsque les catholiques-conservateurs occupent le pouvoir. En Valais, à certains moments, libéraux et radicaux, jusqu'à la dénomination (celle de leurs journaux, par exemple), donnent l'impression de se confondre. Mais pas toujours, loin de là.
Au moment où le PLR genevois s'apprête à changer de présidence (après-demain, jeudi 25.05.23), deux remarques s'imposent.
D'abord, un hommage à Bertrand Reich. Son parti a certes perdu des sièges le 2 avril, mais il en a regagné un le 30 au Conseil d'Etat. Et surtout, cet homme intelligent, cultivé et apaisant, a réussi à calmer les esprits au coeur de la tourmente. Libéral, ouvert au débat, disponible pour en découdre, respectueux des partenaires. Il fallait, à ce moment-là, cet homme-là.
Ensuite, un constat : tant Natacha Buffet-Desfayes que Pierre Nicollier ont l'étoffe de la fonction. La première est chevillée au radicalisme, et elle a mille fois raison : c'est le grand parti qui a fait la Suisse moderne, et d'ailleurs aussi Genève. Le second se veut héritier de l'ensemble des valeurs libérales et radicales, il est un homme de lucidité et de synthèse. Dans tous les cas, ce parti, qui demeure le premier du Canton malgré la cure d'amaigrissement du 2 avril, sera en de bonnes mains.
Elle ou lui, le futur chef du PLR sera l'héritier des deux grandes traditions qui ont abouti à la fusion de 2011. Le Grand Vieux Parti, profondément républicain, attaché aux institutions, à l’École, à l'apprentissage, aux PME, aux classes moyennes, à un "Etat solide, ni plus, ni moins" (Pascal Couchepin, sur le plateau de GAC, il y a une quinzaine d'années). Et puis, la richesse intellectuelle et philosophique du courant libéral. Son apport à l'Histoire genevoise, je pense évidemment à mon ancien professeur Olivier Reverdin. Le futur chef du PLR devra tenir ces deux courants, comme deux lévriers, juste avant la course. Pas toujours facile !
Surtout, cette perle aura comme mission de ne pas laisser échapper la base radicale, populaire, allez ceux de Saint-Gervais, ou de la Place des Augustins, émigrer sous d'autres cieux. Un ancien Conseiller d'Etat, qui s'est absenté deux ans mais est revenu brillamment, est demeuré profondément radical dans l'âme, et constitue, sous une autre bannière, un pôle d'attraction redoutable pour les nostalgiques de ce qui fut pendant plus d'un siècle et demi, le grand parti populaire de la Suisse moderne.
Bref, le nouveau président, elle ou lui, aura besoin de souffle. De mémoire. De nostalgie, non pour se lover dans le passé, mais pour se propulser dans les défis d'aujourd'hui et de demain. A lui, à elle, comme à tous les militants politiques de bonne volonté, de tous bords, je souhaite bonne chance.
Pascal Décaillet