Sur le vif - Samedi 06.05.23 - 07.46h
Très tôt dans mon enfance, j’ai pris l’habitude d’écouter systématiquement les flashes radio. Pas seulement sur les chaînes suisses.
Il y avait la guerre du Vietnam. Toutes les heures, on donnait les derniers événements, et eux seulement. La moindre action de guérilla, la moindre escarmouche, nous était relatée.
À vrai dire, on reprenait, tels quels, les communiqués de presse de l’armée américaine. Comme, plus tard, lors de la Révolution iranienne (1979), de la Guerre du Golfe (1991), de l’invasion de l’Irak (2003), et de toutes les croisades de l’Oncle Sam.
Je disais à mes parents « Je ne veux pas savoir ce qui s’est passé dans la dernière heure, je veux comprendre ce qui se passe au Vietnam, ce que fabriquent là-bas les Américains, à des milliers de kilomètres de chez eux ». J’avais une mappemonde, bleue, magnifique, éclairée de l’intérieur, reçue le jour de mes sept ans, 20 juin 1965. J’ai passé des milliers d’heures à la contempler.
Mes parents, toujours, tentaient de m’expliquer : « C’est en effet très compliqué, il y a d’abord eu la guerre contre les Français, des Accords à Genève en 54 (mon père avait vu passer Churchill et Mendès France sous notre balcon, au 107, rue de Lausanne), il y a eu une partition entre le Nord et le Sud, et puis la guerre a repris avec les Américains. »
C’était clair. C’était le contexte. Les antécédents. Mon père, ingénieur, était, je crois, favorable aux Américains, ma mère absolument pas. Mais, face à la curiosité de leur enfant, ils avaient fait le boulot : dépasser le factuel, l’installer dans la durée, la diachronie, etablir la chaîne de causes et de conséquences. Ils n’ont pourtant, de leur vie, sans doute jamais entendu parler de Thucydide, l’historien grec qui m’a tant marqué. Il y a 25 siècles, il préconisait exactement cette démarche. Pour expliquer une autre guerre, celle du Péloponnèse.
Nous étions au milieu des années soixante. Je n’avais encore lu aucun livre sur la Guerre du Vietnam, ni l’éblouissante biographie de Hô Chi Minh de Lacouture (il ne l’avait d’ailleurs pas encore écrite !), mais mes parents, à ma demande, avaient, plusieurs fois, pris le temps, avec leurs connaissances à eux, évidemment limitées, de tenter une clef d’explication.
Dire que je leur en suis reconnaissant est un beaucoup trop faible mot.
Pascal Décaillet