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Sur le vif - Page 845

  • Loi sur les manifestations: la République des juges

     

    Sur le vif - Mercredi 10.07.13 - 12.58h - 1500ème note publiée sur ce blog depuis sa création en octobre 2007

     

    Loi genevoise sur les manifestations: que le Tribunal fédéral vienne "retoucher" un texte non seulement voté, après vaste débat, par le Grand Conseil, mais confirmé le 11 mars 2012 par le peuple souverain, pose problème.



    Le TF est certes parfaitement dans son droit. Et les pouvoirs, séparés. Je sais tout cela. Mais quel signal, une fois de plus, dans notre démocratie ! Les élus légitimes du peuple, dans une dialectique serrée de confrontation d'idées (j'avais suivi ce débat, qui était sans concessions), élaborent un texte, puis le votent. Ce texte est attaqué par référendum, pas de problème, c'est le jeu de notre démocratie. On refait donc, à l'échelle de tout un canton, le débat qui avait été celui du Parlement. Le jour venu, le corps électoral des citoyens, après des semaines de campagne et de débats, confirme la décision des députés. Des dizaines de milliers de ciroyens donnent raison à la centaine d'élus législatifs. Ca commence à être muni d'une certaine légitimité.



    Bien sûr, la saisine du TF est inscrite dans notre ordre juridique, je ne la conteste pas. Mais beaucoup de nos citoyens vont se dire exactement ceci: "A quoi ça sert d'aller aux urnes, confirmer une décision déjà prise par les élus, pour que cela soit, au final, "retouché" par des juges ?



    Encore une fois, rien d'illégal, au contraire. Mais politiquement, un signal catastrophique. J'avais voté cette loi, mais je dirais exactement la même chose si j'en avais été un opposant. A Genève, il n'est plus possible de prendre une décision politique, ni par un exécutif, ni par le Parlement, ni même par le peuple, sans que la République des juges ne vienne exercer, au final, un pouvoir qui, dans l'opinion, ne pourra difficilement être perçu autrement que comme celui d'une cléricature.

     

    D'avance, je serais très reconnaissant aux commentateurs de nous éviter:

     

    1) Les cours de droit sur la séparation des pouvoirs. Nous connaissons cela, tout autant qu'eux.

     

    2) Les lieux communs du style "Hitler a été élu par le peuple".

     

    3) Les dissertations sur la vie et l'oeuvre de Montesquieu.

     

    4) Les péroraisons sur le "droit supérieur".

     

    Merci, également, de ne pas réagir en fonction de votre sensibilité à cette loi sur les manifestations. Comme je l'écris plus haut, cela n'est pas ici le problème. Mon thème, mon angle, c'est la place disproportionnée que commence à prendre dans notre démocratie l'appel aux juges.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les Cimbres, les Teutons, la mémoire d'un homme

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    Sur le vif - Mercredi 10.07.13 - 09.58h

     

    Mai 1977. Les étudiants de littérature grecque de l'Université de Genève, dont je suis, sont en voyage d'études (absolument magnifique, d'ailleurs) en Provence. Nous sommes sur une autoroute, ou en tout cas une semi, je ne sais plus. Il fait très beau, et surtout très chaud. Notre chauffeur, la soixantaine passée, roule à tombeaux ouverts, je crois qu'en ce temps-là, les radars ne tracassaient pas trop le voyageur.



    Soudain, il plante les freins. Manque de provoquer une collision en chaîne. Fait signe aux autres voitures de nous rejoindre sur le bord de la route. Nous sortons des véhicules, étourdis, constituant un attroupement inopiné, sans aucun doute prohibé par le code. Le sexagénaire, infiniment distingué, pointe l'index vers le vague sommet d'une colline, écrasée de chaleur. Les camions passent, empestent, polluent, la sueur nous accable.



    Le chauffeur désigne un groupe de cyprès, inondés de lumière, là-haut, à une quinzaine de kilomètres. Nous nous demandons dans quel film nous sommes. Pointant le doigt, regard au loin, il dit simplement: "C'est là, exactement là, qu'en 102 avant Jésus-Christ, Marius a défait les Cimbres et les Teutons". Pas un mot de plus. Assourdis par la révélation, nous regagnons les voitures. La route enchantée peut continuer. Je me souviens qu'à l'arrière de son bolide, je lisais les "Sämtliche Erzählungen" de Kafka. Je m'apprêtais à partir à l'armée. En attendant, là, sur cette route de Provence, je crois avoir éprouvé quelques fragments de ce qui pourrait ressembler au bonheur.



    Ce Fangio à l'érudition planétaire s'appelait Olivier Reverdin. Il était un homme d'exception. Dans cinq jours, le 15 juillet 2013, il aurait eu cent ans. Son successeur Paul Schubert lui a rendu récemment un remarquable hommage dans le Temps. J'écrirai peut-être quelques lignes aussi. Mais je voulais commencer par cette anecdote. Elle résume tout.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Du rituel de Canossa aux fantômes argentins

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    Sur le vif - Mardi 09.07.13 - 15.04h

     

    Ici, tordre le cou à une tromperie. L’association entre souveraineté et isolationnisme. Deux concepts qui ne recouvrent absolument pas la même réalité.

     

    Vouloir un Etat souverain, c’est au fond un pléonasme. Hors de l’ambition souveraine, à quoi bon un pays ? Tous, dans notre continent, sont nés d’une révolte, d’un joug arraché, d’un refus de l’ordre établi. Tous ont surgi dans la douleur. Tous ont dû sceller leur destin par le sang versé, puis la mémoire des morts. Un Etat, ça n’est pas quelque chose de gentil, c’est une affirmation – à vrai dire plutôt violente - de souveraineté sur un territoire, portée par des valeurs, une culture politique, un rapport à l’Histoire. Un Etat, ça n’est pas quelque chose de paisible. Ce devrait être, au contraire, la sourde et permanente conscience du tragique.

     

    Je dis bien « ambition souveraine ». Nul pouvoir n’est absolu, le jeu de nos interdépendances nous impose la tractation, la diplomatie, les alliances, le compromis. A tout moment, nous pouvons sombrer, surtout nous, minuscule pays, tellement fragile, sans matières premières, pauvre encore dans les années trente. Nul destin n’est assuré, en tout cas pas le nôtre : les grandes puissances, avec leurs pressions sans précédent, nous le font bien savoir. Si ces géants pouvaient affaiblir, voire détruire notre place financière, ils le feraient sans pitié. C’est là leur jeu. C’est là, sous les paravents de la morale, leur dessein.

     

    Afficher l'ambition

     

    Définir la souveraineté comme au moins une ambition. Elle n’est pas absolue, rien ne l’est. Mais au moins, faire connaître à nos partenaires de négociations la détermination de notre posture, la puissance de notre aptitude au combat. Exactement le contraire de ce que fait le Conseil fédéral. Le contraire de Mme Widmer-Schlumpf, qui pratique la concession comme un rituel de Canossa. Le contraire de M. Burkhalter, qui laisse son secrétaire d’Etat, M. Rossier, entrer en matière sur la saisine de la Cour européenne de justice comme instance d’arbitrage, sur les bilatérales, entre la Suisse et l’Union européenne. Si l’idée de souveraineté, juste aujourd’hui, progresse dans les consciences, c’est à ce triste petit monde-là qu’on le doit.

     

    La question est simple. Voulons-nous, les Suisses, demeurer maîtres de notre destin ? Avec nos institutions à nous, nos autorités, notre peuple souverain. Ou voulons-nous, c’est assurément une autre option, nous considérer comme l’Etat-membre d’un conglomérat continental ? Le seul véritable dilemme est celui-là. Et sans doute l’immense erreur de Jean-Pascal Delamuraz, le conseiller fédéral que j’ai le plus admiré, a-t-elle été d’esquiver la simplicité de destin de cette question-là, au profit d’une construction complexe, hybride, peu lisible, pour laquelle j’avais voté oui, mais que le peuple et les cantons ont finalement refusée le 6 décembre 1992.

     

    Puissance de la raison et attachement tellurique

     

    J’ai suivi, toute la campagne EEE, d’un bout à l’autre, notamment en Suisse alémanique. Le mot qui revenait le plus souvent, dans les colères des gens face à ce magistrat hors normes par son intelligence et son courage, était « souveraineté ». Delamuraz avait beau, avec toute la puissance de la raison (reine Vernunft), leur dire qu’elle n’était pas en cause dans cet accord-là, on ne l’entendait pas. Le vieil attachement tellurique à la Suisse. Vous pouvez le mépriser, si ça vous chante, le prendre de haut. Moi, pas.

     

    J’en viens à l’isolationnisme. Assurément, il serait suicidaire. Notre petit pays, sans matières premières, vit en grande partie de ses échanges et de ses exportations. Notre diplomatie économique, admirable depuis la guerre, a arraché, un à un, des accords de libre-échange qui font la prospérité de la Suisse. Le dernier en date, avec la Chine, doit être vivement salué. Mais je vous pose la question : en quoi l’affirmation de notre souveraineté politique doit-elle être liée, comme le suggèrent nombre de commentateurs, à l’isolement économique de notre pays ? Une Suisse indépendante et souveraine, oui. Mais une Suisse ouverte, amie des peuples du monde, dynamique dans ses échanges ! La souveraineté n’a aucune espèce de rapport avec l’isolationnisme. Ceux qui veulent nous le faire croire sont ceux qui, ayant déjà abdiqué dans leur tête l’idée d’indépendance, considérant (à tort ou à raison) comme inéluctable l’intégration de la Suisse à un espace supranational,  entreprennent toutes choses pour faire passer les souverainistes pour les bradeurs de notre prospérité. Alors que les deux questions n’ont rien à voir.

     

    Une chose encore : nos chers partenaires de négociations, vous croyez qu’ils vont renoncer, eux, à un misérable millimètre de leur souveraineté ? Les Etats-Unis, première puissance du monde, vous les trouvez particulièrement souples sur la question ? La Grande-Bretagne, cette admirable nation, jamais aussi grande que dans la solitude, vous la considérez très ouverte sur sa souveraineté ? Assurément, quelques fantômes de marins argentins pourraient nous apporter, le cas échéant, des éléments de réponse. Excellent après-midi à tous.

     

    Pascal Décaillet