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Sur le vif - Page 842

  • L'extase sera libre-échangiste ou ne sera pas

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    Sur le vif - Mercredi 01.01.14 - 17.34h 


    C’est un beau discours, simple et humain, que nous a tenu en ce Jour de l’An le nouveau président de la Confédération, Didier Burkhalter. Des visages d’enfants, des prénoms aux résonances bigarrées, quelques formules qui touchent, oui un discours rassembleur et présidentiel. J’ai apprécié ce discours, parce qu’il nous parle à tous, évoque ce qui nous unit plutôt que nos ferments de dispersion, c’est précisément pour un an le rôle du titulaire de la fonction.

     

    Les formules qui font mouche : « La Suisse est une communauté de destin », « La Suisse est un miracle », ou encore ce rappel du sel importé de Tunisie pour aider nos éleveurs au Moyen-Âge. Il est arrivé dans l’allocution, ce sel providentiel, avec la magie de la myrrhe ou de l’encens, ou de l’or, comme une préfiguration d’Épiphanie. Un discours qui commence par la nécessité « d’ouvrir des perspectives d’avenir » pour nos jeunes, notamment des emplois, et qui se termine, après le rite initiatique du texte, sur la « lumière », qu’on voudra bien entendre avec la chaude intimité d’un petit « L », celle du regard des enfants. J’ai d’autant apprécié ce discours que son auteur, jusqu’ici, nous avait plutôt habitués à une rhétorique froide, celle de la Raison qui s’articule, avance et prouve.

     

    Deux bémols, qui n’atténuent pas la qualité du sentiment dominant. D’abord, il est peu rassembleur d’affirmer que « Notre Suisse est forte parce qu'elle repose sur un Etat libéral ». Tous nos concitoyens ne l’entendent pas ainsi, et notre Histoire de l’après-guerre, de l’AVS en 1948 à la lente construction de nos assurances sociales, et de nos réseaux de solidarité, prouve au contraire l’absolue nécessité d’un Etat fort, ou tout au moins d’un fort sens de l’Etat, à gauche comme à droite, chez ceux qui font nos lois. Le socialiste Tschudi, le radical Delamuraz, le PDC Furgler. Aucun de ces trois hommes ne se réclamait d’un libéralisme qui eût fait abstraction de l’impérieuse nécessité de l’Etat, au service des plus faibles. Le libéralisme est une option politique parmi d'autres, mais n'a rien de consubstantiel à la Suisse. Dans ce passage, hélas, le Président s'est effacé devant le militant PLR.

     

    La seconde réserve concerne ce qu’on appellera la préparation d’artillerie en vue du 9 février. Le président de la Confédération a clairement orienté les esprits vers une apologie du libre-échange, une sanctification de la voie bilatérale (laquelle aurait « permis d’assurer la sécurité et l’indépendance du pays » - Disons que cela ne va pas de soi), qui sont clairement un appel à rejeter, dans un peu moins de six semaines, l’initiative de l’UDC « contre l’immigration de masse ». Admettons que cela soit « de bonne guerre » (RSR. 12.30h), on notera juste que c’est moins rassembleur face à une partie non négligeable de la population, soucieuse de mécanismes protecteurs, désireuse d'une forme de régulation des flux migratoires, et pour laquelle une Suisse à 12 millions d’habitants ne constitue ni rêve, ni pâmoison, ni extase. Fallait-il transformer le premier discours présidentiel de 2014 en acte militant ?

     

    Dans la Berne fédérale, mais aussi dans certains cantons comme Genève, la présence d’élus PLR au premier rang des exécutifs, alors que d’autres signaux que la foi dans le libre-échange absolu ont pu être donnés par l’électorat, dans les Parlements par exemple, devrait inciter ces édiles à un peu plus de réserve dans leur Croisade libérale. Pour peu, tout au moins, qu’ils entendent parler à l’ensemble de la population, et non aux seules instances dirigeantes du patronat.

     

    Mais enfin, ces quelques réserves posées, merci à M. Burkhalter pour ce discours qui a su parler au cœur des gens. A tous les lecteurs de ce blog, qui a entamé sa septième année, j’adresse mes vœux les plus cordiaux pour 2014.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les "valables raisons" de Vincent Maitre

     

    Sur le vif - Samedi 21.12.13 - 19.01h

     

    J’écris ces lignes comme citoyen, né à Genève et y exerçant son droit de vote depuis l’âge de vingt ans, en 1978. Nous, les citoyens, avons élu le 6 octobre dernier cent députés pour siéger entre 2013 et 2018 au Grand Conseil. Ces cent personnes, nul ne les obligeait à se porter candidates à cette fonction. Elues, elles sont pour une législature au service de la population, et non le contraire. Leur devoir est de siéger, avec le moins d’absentéisme possible. Les enjeux lourds qui attendent notre canton ne tolèrent ni amateurisme, ni dilettantisme en l’espèce.

     

    Dès lors, tout citoyen, oui tout membre du corps électoral du canton, est parfaitement légitimé à savoir, en parfaite transparence, qui, parmi les députés, se rend aux séances, qui s’y rend un peu moins, qui ne s’y rend jamais. Cela fait partie du contrat social, du pacte de confiance avec l’élu. C’est vrai, je me suis étonné, depuis quelques semaines, de l’absence totale, cet automne, du député Vincent Maitre. C’est mon droit le plus strict, mon droit de citoyen, je n’ai aucune intention d’y renoncer. M. Maitre a sollicité la confiance du peuple, l’a obtenue le 6 octobre, il doit donc siéger. Il ne s’y est, pour l’heure, jamais rendu, n’a donc pas prêté serment. N’aurait-il pas pu au moins le faire, de façon à avoir un suppléant ?

     

    On m’a parlé de « valables raisons ». Je veux bien, j’en prends acte. Mais alors, avec M. Maitre, il y a un problème. N’ayant pas mis le moindre pied au Parlement, alors que nous sommes deux mois et demi après l’élection, et que le Grand Conseil vient de se pencher deux jours sur l’acte amiral de son mandat, l’examen du Budget 2014, M. Maitre est loin d’être pour autant le muet des « valables raisons ». Sur un réseau social, il a passé ces deux mois et demi à intervenir tous azimuts, prendre parti, moraliser, donner de grandes leçons, et parfois même blesser les gens.

     

    Face à cette providentielle vitalité de « l’Absent pour valables raisons », en pétaradante forme pour la morsure vipérine comme pour l’imprécation, souffletant par ci, griffant par-là, on se dit qu’un aussi admirable tempérament bretteur aurait davantage sa place dans l’enceinte d’un Parlement, au service d’une population qui lui a fait confiance, que, "de quelque part", sur un réseau social. Mais voilà : « valables raisons », nous dit-on. Cela serait-il la manière polie de nous inviter à circuler, parce qu’il n’y aurait rien à voir ?

     

    Aujourd’hui, de « là où il est », M. Maitre joue les victimes. Pour ma part, je n’aime pas du tout cette affaire, ni le climat de gêne et d’omerta qui suinte, lorsqu'on l'évoque, le corporatisme parlementaire. M. Maitre, hier, m’a fait écrire par son avocat. Aujourd’hui, il m’attaque par lettre ouverte. C’est son droit. Le mien, c’est de demeurer dans ma posture citoyenne, en attente de transparence. C’est mon droit. Et c’est celui des dizaines de milliers de membres du corps électoral de ce canton, celui qu’on appelait naguère le « Conseil général ». Les élus sont au service de la population. Ils ne sont là ni pour l’insulter, ni pour tenter de l’intimider.

     

    Pour ma part, M. Maitre peut m'envoyer tous les avocats qu'il veut. Je ne reculerai pas, dans cette affaire.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'inconnu de Lübeck

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    En ce jour de centième anniversaire de la naissance de Willy Brandt (1913 - 1992), je republie ici ma chronique parue le 6 mai 2004 dans la Revue Choisir, de mes amis Jésuites. Je n'ai jamais eu l'occasion, hélas, de rencontrer Willy Brandt, mais je me souviens de très beaux échanges sur lui avec son successeur Helmut Schmidt, que j'étais allé interviewer à Hambourg en avril 1999.

     

     

    L’inconnu de Lübeck

     

     

    Il y a juste trente ans, le 6 mai 1974, Willy Brandt, le plus énigmatique, mais aussi à coup sûr le plus grand chancelier allemand du vingtième siècle, envoyait au président de la République une lettre de démission de treize lignes, écrite à la main : « J’assume la responsabilité politique de l’affaire Guillaume ». Brandt quittait la chancellerie, laissant la place à un autre grand homme, Helmut Schmidt. Il allait encore vivre dix-huit ans, présider son parti, et même l’Internationale socialiste, vivre deux décennies en vieux sage ayant tutoyé l’Histoire, cerné d’honneurs et de louanges, mais Brandt au pouvoir, cette aventure allemande de l’après-guerre, se terminait ainsi d’un coup, bêtement, suite à une histoire d’espionnage entre Allemands que plus personne, de nos jours, ne pourrait imaginer.

     

    Willy Brandt, homme du nord né à Lübeck, le 18 décembre 1913, d’une mère de dix-neuf ans qui ne lui révèlera qu’en 1947 la véritable identité de son père, et mort le 8 octobre 1992, aura donc connu l’Allemagne impériale, traversé la Grande Guerre, la République de Weimar, le Troisième Reich (en exil en Scandinavie), les années de désolation et de reconstruction, la scission en deux de sa patrie, avant de connaître enfin, peu avant sa mort, plus heureux que Moïse, la chute d’un Mur qu’il avait toujours haï, les yeux embués en cette ville de Berlin dont il avait été, de 1957 à 1966, le maire éblouissant. Avant d’être un grand homme d’Etat, celui de l’Ostpolitik et de la génuflexion de Varsovie, avant d’être ce vieillard fatigué et sublime regardant d’écrouler le Mur aux côtés de Kohl et Genscher, en cette nuit du 9 novembre 1989, avant tout cela, Willy Brandt c’est d’abord, comme Mitterrand, le charme étrange et romanesque d’un destin.

     

    La politique, aujourd’hui, n’aime plus guère les aventuriers. Elle préfère les technocrates. C’est dommage. Que serait l’Italie sans Garibaldi et le tumulte de son parcours ? Il faut lire la vie des grands hommes, à la Plutarque, si on veut saisir les véritables enjeux de leurs paris politiques. L’enfant Louis XIV traumatisé par la Fronde, le jeune Léon Blum et l’affaire Dreyfus, les rapports terribles de Frédéric II avec son père. Pour cela, il faut accepter de lire des biographies, ce genre passionnant, longtemps et scandaleusement méprisé par les historiens de la mouvance de Mai 68, ceux qui préfèrent les structures aux hommes, la matière à l’esprit, la coupe synchronique, désincarnée, au fil magique d’une vie.

     

    Il faut aussi regarder les albums de photos. Le collégien Willy Brandt, 1930, debout en pantalon de golf, posant devant un plan d’eau, sans doute un canal de sa ville natale de Lübeck. La beauté de son visage, la retenue de sa posture, le brin de mélancolie de l’ensemble, la force de solitude intérieure d’un regard pourtant porté vers le lointain. Est-ce déjà Willy Brandt, au destin scandinave et futur prix Nobel de la Paix ? Ou n’est-ce, encore, que Herbert Ernst Karl Frahm, son premier nom, celui de son enfance hanséatique, lui qui allait, d’exil en exil, en porter plusieurs, remplaçant une énigme par une autre. Tout est là, oui déjà, dans cette tristesse semi-éclairée, immensément séduisante, de l’inconnu de Lübeck. Enfin, coïncidence ou non, 1930, l’année de cette photographie si troublante, est celle de son adhésion au SPD, le parti social-démocrate : rien, jusqu’à la mort, ne l’en séparera.

     

    Willy Brandt : un destin allemand. Il aurait pu être raconté par une nouvelle d’Heinrich Mann, ou incarné dans l’un des innombrables personnages de Günter Grass, son ami. J’irais plus loin : j’irais chercher dans Schiller, celui des jeunes années, le Schiller de Don Carlos et du Sturm und Drang, le ressort exceptionnel de Brandt. Une vie nécessairement en mouvement, mais d’un chemin non-tracé, où l’invisible surpasse le prévisible, le rend futile, dérisoire. Les plans de carrière volontaristes sont pour les personnages de deuxième choix, les grands commis, les grands exécutants. L’homme de caractère, lui, accepte les chemins de traverse, la surprise du vent.

     

    Brandt, un destin. Mais aussi un certain sens de la formule, du symbole. A genoux devant le monument aux morts de Varsovie, recueilli au Mémorial de Yad Vashem, ou hagard devant les burins de fortune qui détruisent le Mur, c’est toujours le même homme, le même sens du destin et de l’Histoire. « Jetzt wächst zusammen, was zusammengehört », s’était-il contenté de déclarer en cette nuit allemande du 9 novembre 1989 (Maintenant va pouvoir croître ensemble, ce qui est du même terroir). Et si le combat social-démocrate, tout en étant parfaitement sincère, n’avait été, toute une vie, que le paravent d’un autre enjeu, plus fondamental, plus inavouable : le combat national pour enfin donner un champ d’éclosion à une patrie ravagée, et au fond tant aimée, comme une mère qu’on retrouverait, intacte et prometteuse, au soir de sa propre vie ? La force des grands hommes, Brandt, de Gaulle et les autres, c’est qu’ils nous donnent l’impression, à chaque fois, de recommencer l’Histoire.

     

    Pascal Décaillet