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Sur le vif - Page 847

  • La souveraineté n'est pas négociable

     

    Sur le vif - Samedi 06.07.13 - 17.59h

     

    Vous pouvez reprendre tous mes papiers depuis tant d’années, je ne me réfère jamais au Pacte fédéral, ni à la Suisse de 1291. Je respecte infiniment cela, bien sûr, mais j’ai tellement étudié l’Histoire de ce pays, et de ses cantons, à partir de 1798, puis bien sûr 1848, le champ de mes références est tellement ancré dans les deux derniers siècles, où sont nés nos grands partis politiques, que je n’éprouve pas trop le besoin de remonter à la Suisse des origines.

     

    Je sais aussi, pour m’y être penché, ce que fut, au dix-neuvième précisément, la part de récupération mythique, puis folklorique, de ces premières années de la Suisse. Je fais partie des rares Romands (me semble-t-il) à avoir lu en allemand le Wilhelm Tell de Schiller, ou le Götz von Berlichingen de Goethe (que j’ai vu, ébloui, à Nuremberg, en juillet 1971). J’ai travaillé sur le Sturm und Drang, le rôle du romantisme allemand dans l’édification des identités nationales, bref je ne suis pas de ceux qui plongent tête baissée dans la mythologie de la Suisse primitive, sans faire la part de sa reconstruction dans une période au fond très récente.

     

    Ce soir pourtant, je brandis le Pacte. Avec le cœur autant que la raison. Avec la rage. Cette part de fierté, de simplicité de l’immédiate appartenance. Avec peut-être quelque chose de filial. Je brandis le refus des juges étrangers. C’est quelque chose de très important dans l’âme suisse. L’un des fondements de notre souveraineté. Et cette dernière n’est pas négociable. Pour la simple raison qu’aucune souveraineté ne l’est, ne doit l’être, ne peut l’être. De quoi sont nées les nations de la terre ? Vous croyez que leurs voisins, gentiment, leur ont demandé de bien vouloir venir au monde ? Que la naissance de la Suisse a fait plaisir aux Habsbourg ? Que celle des Etats-Unis, en 1776, a rempli de bonheur le roi d’Angleterre ? Que la naissance d’Israël, en 1948, fut attendue avec un tapis rouge par ses chers voisins du Proche-Orient ?

     

    Non, bien sûr. La naissance d’une nation, toujours, survient dans la transgression de l’ordre établi, dans la crise, dans la guerre. Et se scelle par le sang versé, la mémoire des morts. J’use ici de mots que vous trouverez chez Jules Michelet ou Pierre Nora, sans doute davantage qu’à Sciences Po ou HEI. C’est une école de pensée contre une autre, une matrice face à une autre, je l’assume.

     

    Donc, lorsque je vois le secrétaire d’Etat de notre diplomatie, M. Yves Rossier, dont je peine à imaginer qu’il puisse agir sans le blanc-seing de M. Burkhalter, ourdir pour que la Cour de justice européenne tranche, entre l’Union européenne et nous, dans les litiges concernant l’application des accords bilatéraux, je crie au précédent, je dis halte. Lorsque j’entends, avant-hier jeudi 4 juillet 2013, le commentaire matinal de la RSR, dans la droite doxa de Roger de Weck, nous annoncer, sur un ton tellement paternaliste, qu’il n’y a aucun souci à se faire, que deux partis de droite (UDC, mais aussi PDC) « doivent cesser (sic !) de jouer les vierges effarouchées », je commence un tantinet à m’irriter. Ce commentaire nous dit, tout bonnement : « Circulez, y a rien à voir ».

     

    Ce commentaire, qui a dû faire tellement plaisir à M. de Weck, c’est l’acceptation du fait accompli. La génuflexion face aux exigences de Bruxelles. S’agenouiller devant un géant, nous, un tout petit pays de huit millions d’habitants. Nous n’avons guère de matières premières. Nous étions encore pauvres il y a un siècle, et même moins que cela. Cette précarité jusqu'aux années d'après-guerre au fond, mon père, né en 1920, me l'a même racontée. Nous sommes petit, fragile, vulnérable, Notre seule force, c’est notre fierté d’être. Notre seule chance, c'est la rigidité de notre intransigeance sur la question de la souveraineté. L'affaire des juges étrangers en est un élément central. Si nous abdiquons cela, alors oui vraiment, il ne nous restera plus rien.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Un Etat solide, ni plus, ni moins

     

    Sur le vif - Samedi 06.07.13 - 09.33h

     

    Je suis, depuis toujours, très attaché à un État fort. Là où il doit l'être (sécurité, école, assurances sociales, santé publique, grandes infrastructures, etc.). Fort, mais pas tentaculaire. Fort, mais pas providence. Fort et musclé, mais justement pas avec des intendances hypertrophiées et des armées de fonctionnaires. L'Etat doit être au service de la population, et non de son propre fonctionnement. La juste formule, qui résonne encore de ma tête, avait été prononcée il y a quelques années par Pascal Couchepin, sur le plateau de Genève à chaud: "Un État solide, ni plus, ni moins".



    En cela, le rapport des socialistes au sol, et au droit foncier en général, ne peut emporter mon adhésion. Je lis encore ce matin, dans la Tribune de Genève, de la part de telle candidate par ailleurs compétente et crédible, une volonté d'acquisition de terrains qui laisse affleurer à nos oreilles la petite musique des plans quinquennaux. Cela m'avait déjà frappé, d'une autre candidate, lors de la campagne pour la complémentaire du 17 juin 2012. Le rôle de l'Etat est de définir des conditions-cadres pour une politique de constructions juste, équilibrée, au service de l'humain, respectueuse de l'environnement et de la qualité du paysage. Vaste programme, qui exige une puissante vision d'intérêt public.



    Mais le rôle de de l'Etat désolé, n'est pas d'acquérir lui-même des terrains.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Nos enfances, nos matrices

     

    Sur le vif - Mardi 02.07.13 - 18.02h

     

    Mes cours d’Histoire, au primaire, dès l’âge de huit ans, ont consisté à apprendre toutes les guerres et toutes les batailles, avec des dates, des traités, des alliances, des renversements de rôles. Aujourd’hui encore, comme pour la grammaire latine, j’ai tout retenu, je dis bien tout. Alors que je serais mal pris s’il fallait vous ressortir une formule chimique ou un théorème de maths.

     

    Question de passion personnelle, d’adhésion. Inutile de dire que pour l’Histoire (c’était celle de la France), l’enseignement que j’ai eu, et que j’ai adoré, est exactement celui que Mai 68 a voulu foutre par terre, avec succès d’ailleurs. Il ne fallait surtout plus d’événement, de chronologie, plus de batailles ni de guerres, juste la lente évolution des sociétés. Fondamental sans doute, mais totalement rasoir. Disons qu’ayant eu dix ans en Mai 68, avec l’effet retard de quelques années pour que leur idéologie entre en action, je me considère comme un total veinard, un sauvé des eaux, l’ultime génération ayant échappé in extremis aux matrices structuralistes qui, selon moi, ont tué tout plaisir dans la transmission du savoir historique ou géographique.

     

    Pour l’Histoire, j’ai bénéficié de maîtres nous enseignant l’école du réalisme, confinant parfois au cynisme. Nous parlions de pays ou (à partir de la Révolution) de nations qui luttaient pour leurs intérêts, forgeaient leur identité par le sang versé, les lieux de mémoire (dont a magnifiquement parlé Pierre Nora, NRF), le respect  des ancêtres, le culte des morts. On ne nous parlait jamais (à tort, j’en conviens) de droits de l’homme, ou alors juste pour 1789, on ne mélangeait pas la morale avec la politique : on prenait acte des défaites et des victoires, on passait beaucoup de temps à explorer les causes, notamment économiques, des guerres. On ne jugeait jamais.

     

    Bref, mes maîtres pratiquaient une vision historique classique, nous citaient Tocqueville, Clausewitz, Bismarck. C’était, clairement, une vision de droite, se réclamant du réalisme. C’était, j’en suis parfaitement conscient, une imprégnation idéologique, j’ai largement eu le temps de faire la part des choses. Et j’aime autant vous dire que je ne regrette rien, tant cette école de pensée (que je retrouverai à l’Université par une lecture approfondie de Thucydide) me correspond parfaitement. Elle m’a appris, notamment, à ne jamais vouloir trop mêler le monde de la morale avec celui des intérêts supérieurs d’un pays. Ce qui ne signifie évidemment pas qu’il faudrait, à l’inverse ou par excès de cynisme, verser dans un culte de l’immoral, voire de l’amoral.

     

    Le moins qu’on puisse dire, aussi, est que nos maîtres nous apprenaient à nous méfier des structures internationales. Au secondaire, ils ne pouvaient nous parler de la SDN sans un rictus d’ironie qui en disait long sur l’impuissance des conglomérats multilatéraux, lorsque venait à poindre, pour l’Abyssinie comme pour la France, la mort possible des nations. « Ecoutez, Pascal, me disait au Rwanda, en mai 1994, mon ami le chef de la délégation du CICR à Kigali, la communauté internationale n’existe pas. Elle s’est envolée ». Ce constat terrible, glaçant, résonne en moi depuis près de vingt ans.

     

    Ces antécédents ont établi pour moi, avec pas mal d’observateurs d’aujourd’hui, une fracture non politique, mais culturelle. Quand je vois d’éminents esprit s’étonner (ou feindre) que nous soyons tous espionnés, à longueur de journées, par la première puissance du monde, je me demande dans quel monde ils vivent, je veux dire avec quelles références historiques, quels horizons d’attente. Comme si les nations, dans leur esprit, étaient a priori amies. Alors que la réalité est contraire. A priori, chacun roule pour soi et tente d’augmenter sa puissance. Et ne confondons surtout pas, en politique, alliances de circonstance avec amitié fiable. En politique, comme dans la vie, tout peut se retourner, à tout moment.

     

    De même, la tribune excessive attribuée par certains quotidiens, comme le Temps, à la prétendue dimension planétaire, ou multilatérale, ou supranationale des approches. Difficile de ne pas y percevoir une forme de snobisme du déracinement. Ils seraient les entomologistes, et nous, les différents nationaux accrochés à l’archaïsme de nos terres, ne serions que d’étranges insectes, en voie d’extinction. A la vérité, je n’aime pas cela du tout. J’y vois le produit d’autres écoles de pensée, qui, de Genève, ont façonné des générations de journalistes, dans la vénération du petit monde d’organisations internationales – les unes utiles, d’autres moins – qui, gravitant autour d’eux, les imprégnaient. Nous sommes tous le produit d’une éducation, de matrices de pensée, moi comme eux, je ne suis pas meilleur qu’eux, j’ai juste été élevé dans d’autres références.

     

    Oui, mon problème avec les gens du Temps, les apôtres de l’internationalisme et du multilatéral, n’est pas politique. Il est profondément culturel. Autant dire, essentiel, fondamental. Viscéral.

     

    Pascal Décaillet