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Sur le vif - Page 639

  • Aigle royal et pie bavarde

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    Sur le vif - Dimanche 11.03.18 - 15.58h

     

    Il y aurait tant à dire sur le total dévoiement du mot "chroniqueur", depuis une dizaine d'années, dans les émissions radio et TV.

     

    A l'origine, un chroniqueur, ou une chroniqueuse, sont l'homme ou la femme d'une courte et intense apparition. Contrairement au meneur de toute une tranche d'émission, le chroniqueur surgit, dense et furtif, pour son moment de gloire. Il doit être silex, feu, étincelles. Puis, s'éclipser.

     

    Ainsi, Mauriac était chroniqueur au Figaro. Ou Clavel, au Nouvel Observateur. Un nombre de signes très réduit, un texte ciselé, serti. Une étoile filante.

     

    Ainsi, le chroniqueur radio. Une minute pour un papier, dense, envoyé, sans appel. Une minute trente pour un commentaire. Et puis voilà. La chute, la révérence, la disparition. Et le meneur qui reprend la parole. Pour passer à autre chose.

     

    Aujourd'hui, hélas, sous l'influence de quelques cercles parisiens où l'on ricane et se congratule entre soi, le mot "chroniqueur" ne désigne plus le sublime passant furtif, mais l'impénitent bavard. Il siège, là, comme un roitelet, tout le temps de l'émission. Il intervient sur tout et sur rien. Donne son avis sur l'ensemble des sujets de l'univers, à commencer par ceux qu'il ne maîtrise pas.

     

    Le chroniqueur était un aigle royal. Il est devenu une pie bavarde.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Anti-68 de la première heure !

     

    Sur le vif - Samedi 10.03.18 - 15.42h

     

    Mon opposition viscérale, féroce, intransigeante à Mai 68 date de... mai 68 ! Elle est née en parfaite contemporanéité des faits. J'allais sur mes dix ans, j'étais sur la fin de l'école primaire, que j'adorais, j'étais conscient des enjeux politiques français depuis la campagne présidentielle française de décembre 1965. Puis, celle des législatives (beaucoup moins spectaculaire, mais je l'avais suivie sur les écrans) du printemps 1967.

     

    Oui, j'ai rejeté Mai 68 au moment même des événements. Parce que mes aînés de dix ans manifestaient contre un système scolaire que, pour ma part (à mon petit niveau de l'école primaire), je trouvais affranchissant et passionnant. J'étais fou d'Histoire, de géographie, de compositions françaises, j'adorais les sciences naturelles, la récitation de poésies, bref je n'avais absolument pas à me plaindre de l'école. Je peinais donc, à tort ou à raison, à partager les griefs hargneux de mes aînés contre une institution scolaire que, pour ma part, là où j'étais, je trouvais ouvreuse de portes infinies, sur les chemins de la connaissance.

     

    Et puis, il y avait de Gaulle. C'était mon héros, depuis décembre 65, sans doute même avant. Nous en parlions beaucoup en famille, ma mère l'adorait, je l'imitais à table, c'était un personnage, il faisait partie de la famille. Et pourtant, à dix ans, je ne savais pas encore - ou à peine - le rôle de libérateur qui avait été le sien, 24 ans plus tôt, en 1944. Cela, je l'ai appris à partir de l'âge de 12 ans, en lisant ses Mémoires de Guerre. Puis, j'ai passé ma vie à creuser.

     

    Bref, j'aimais de Gaulle, passionnément. Et je ne comprenais absolument pas pourquoi mes aînés de dix ans, sous prétexte de lutter contre un mandarinat universitaire dont je veux bien admettre la pesanteur à l'époque, demandaient le départ de cet exceptionnel vieillard qui portait dans le monde la voix de la France.

     

    Alors voilà, j'aimais de Gaulle. Ils le détestaient. Donc je les détestais. C'est aussi simple que cela. J'ai tout rejeté, violemment, en bloc, toute ma vie, depuis exactement un demi-siècle. J'ai rejeté Mai 68. J'ai rejeté la mouvance intellectuelle, scolaire notamment, hélas portée pendant des décennies par ce mouvement. J'ai rejeté l'idée libertaire, par amour intransigeant de la République, austère, égalitaire et régalienne. J'ai rejeté dès le mois de mai l'insupportable personne de Cohn-Bendit. J'ai rejeté le refus de vieillir, et d'assumer sa génération, de tous ces adultes qui voulaient plaire au mouvement des jeunes. J'ai passé ma vie à lire des milliers de livres d'Histoire de France, d'Histoire allemande aussi, avec le récit des guerres et des batailles, des traités, la permanence du tragique, du sacrifice et de la mort.

     

    J'ai passé un demi-siècle à haïr 68.

     

    Haïr, oui je sais, le mot est fort. Mais c'est ainsi.

     

    Je n'ai pas eu besoin d'attendre Sarkozy, cet orléaniste gesticulant, pour prendre une totale, viscérale, absolue et définitive distance face à cette idéologie éruptive, jeuniste, individualiste et libertaire, qui représente ce que je rejette le plus au monde.

     

    Et ça n'a rien à voir avec la droite ou la gauche. J'ai maintes fois voté à gauche. J'étais pour Mitterrand en 81, et même encore en 88. Willy Brandt, Pierre Mendès France, font partie de mon Panthéon.

     

    Non. C'est la question de la République et de l'Etat, contre le désordre libertaire, donc au fond libéral.

     

    Bonne journée à tous.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Et ça surgit au moins du ventre !

     

    Sur le vif - Samedi 24.02.18 - 17.08h

     

    La radio est un métier. Il faut y faire ses gammes de longues années, pour apprendre tous les registres de la voix. Le rythme. Les césures. Les silences. Les ruptures de ton. Les éclats. La sourdine. La plénitude. Le murmure.

     

    Apprendre tout cela, comme il en va d'un solfège, les premières années de l'apprentissage musical. Travailler avec le ventre, le diaphragme, le souffle, les tripes parfois.

     

    Faire des centaines d'émissions. Des milliers, plutôt. Des flashes, des journaux, des revues de presse, des directs sur le terrain, des manifs de paysans sur la Place fédérale, de longues soirées électorales, des élections du Conseil fédéral, en décembre à Berne. Des directs à l'étranger, aux quatre coins du monde, au milieu des foules, sur la chaleur d'un événement.

     

    Faire des centaines d'émissions en direct dehors, oui. Et pas en studio. Greffés sur l'événement. Comme le reporter sportif, sur son match.

     

    Apprendre à improviser, tout en gardant la rigueur, l'exactitude, la densité de l'information. Mais sans texte pré-écrit. Juste un ou deux mots-clefs. Ou rien. Tout cela, dans un timing donné, à la seconde.

     

    Si l'on tient à avoir un texte, alors apprendre à lui donner volume, intensité, souffle et vie. Chaque syllabe, chaque virgule, est un empire, un univers. S'exercer sur les Fables de La Fontaine. Le Héron, par exemple, avec ses "h" aspirés, sa versification virevoltante, suffocante de surprises.

     

    Aujourd'hui, sur les ondes radiophoniques publiques, dans certaines chroniques, on balance le premier venu à l'antenne. On croit lui rendre service, en lui épargnant le parcours initiatique de l'apprentissage de l'oralité, comme si l'on pouvait accélérer la fermentation naturelle d'un vin. Hélas, on le tue.

     

    Envoyer sur le front des jouvenceaux non-préparés, c'est les flinguer. Il ne s'agit pas d'en vouloir à ces victimes expiatoires, mais bien à l'irresponsabilité de ceux qui leur offrent cet aller-simple vers le casse-pipe.

     

    Le jouvenceau, vous l'aurez compris, peut être sexagénaire. Il est, simplement, celui qui ne s'est jamais rompu à l'ascèse radiophonique. Ou qui s'imagine pouvoir échapper à cette dernière. Ainsi, dans les ineffables cénacles de bavards qu'on appelle aujourd'hui "chroniqueurs" (ce qui est un dévoiement du sens de ce mot), la glaçante solitude de celui qui, interrompant la palabre générale, a une minute pour nous lire, les autres soudain tus, son papier d'humeur. C'est ce moment-là le verdict, celui qui fait la différence. Tel roitelet de la presse écrite, qui règne par le syllogisme, soudain se perd et s'évapore, se meurt et balbutie.

     

    Parce que pérorer en rond, tout le monde peut. Mais habiter cette minute-là, seul, c'est un peu plus difficile.

     

    Mais d'où peut donc venir cette illusion que le premier venu puisse, comme ça, se saisir d'un micro et tenir une émission, ou une chronique, sans la lente, la patiente maturation d'un chemin personnel vers l'oralité ? Les cadres, mexicains dans le fatras de leurs armadas, qui affichent cette insoutenable légèreté en matière de formation, doivent être appelés à en répondre. Quand une bataille est perdue, on limoge le général, pas la soldatesque.

     

    Parce qu'une émission (ou, plus difficile, une irruption, c'est cela la vraie chronique) ne se fait pas en se contentant de remuer les lèvres. Mais par un don de soi, généreux et puissant, qui passe par toutes les fibres du corps, tout ce qui génère et produit la voix, et ça surgit au moins du ventre. Une émission, ce sont des fragments d'âme, jetés là.

    Ou alors, autant faire autre chose. Tiens, surintendant d'une usine à gaz, par exemple.

     

    Pascal Décaillet