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Sur le vif - Page 501

  • La Turquie avec Moscou : et alors ?

     

    Sur le vif - Mardi 16.07.19 - 04.34h

     

    C'est bien mal connaître la fascinante Histoire de la Turquie que de s'étrangler à l'idée qu'elle puisse passer une alliance avec la Russie. S'il y eut une anomalie, ce fut bien, dès le départ, sa présence biscornue dans l'OTAN, le club des affidés de Washington.

    Cette grande nation, qu'elle fût byzantine, ottomane ou kémaliste, a toujours eu un tropisme, dans la guerre comme dans la paix, vers le monde cyrillique, ne serait-ce que par les relations entre patriarcats.

    Relation souvent douloureuse, certes. Mais autrement moins artificielle que son ancrage, après la dernière guerre, dans l'amicale des valets de l'Oncle Sam.

    Étudions l'Histoire turque au-delà des idéologies, et de la nature du pouvoir d'un moment. Scrutons-la dans sa continuité nationale. Et nous verrons vite que l'alliance au Nord-Est se justifie bien davantage que la vassalité humiliante à une nation mondialement impérialiste, située des milliers de kilomètres à l'Ouest.

    Et surtout, de grâce, cessons d'appliquer à la Turquie des critères moraux. Dans nos analyses, soyons froids, politiques, et conscients de l'arrière-pays historique.

    Souvenons-nous enfin de la grande Turquie, celle où se signala le jeune Mustafa Kemal, et de sa prodigieuse réponse aux Anglo-Saxons. C'était dans les Dardanelles, en 1915. Et le chef de la catastrophique expédition britannique était un certain... Winston Churchill.

    L'un des innombrables échecs du grand homme, un quart de siècle avant qu'il n'entre dans l'Histoire, lors de la bataille de Londres.

    Ces échecs sanglants, ainsi que sa responsabilité directe dans la boucherie aérienne sur les villes allemandes, entre 1943 et 1945, où des centaines de milliers de civils furent massacrés aveuglement, souvent sans nécessité stratégique immédiate, ce qui fut si longtemps passé sous silence, sont à mettre au bilan - plus que contrasté - de cet homme de légende, dans tous les sens du mot.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'Europe et le Bien : histoire d'un malentendu

     

    Dissertation sur la moralisation de l'idée européenne - Lundi 15.07.19 - 11.43h

     

    L'Histoire de l'Europe communautaire, depuis les premiers frémissements, juste après la guerre, pour conjurer la froidure des hivers dans des villes détruites, autour du charbon et de l'acier (CECA), jusqu'à aujourd'hui, c'est celle d'un immense malentendu. Dans les termes. Mais aussi, dans la conception même que les consciences avaient - et ont encore - de cette construction continentale.

    Ce malentendu, au fil des décennies, a perduré. Il ne s'est jamais dissipé. Pire : il s'est considérablement aggravé lors de la deuxième période (cf. mes deux papiers précédents), celle de 1992 (Maastricht) à aujourd'hui, celle des équilibres rompus, du respect oublié, celle de la construction d'un Empire autour de son pays le plus puissant, l'Allemagne. Il n'y aurait évidemment jamais eu 1992, s'il n'y avait eu, trois ans auparavant (9 novembre 1989), la chute du Mur.

    Le malentendu, c'est d'avoir, dans les esprits, associé l'idée européenne à l'idée du Bien. Il faut s'imaginer l'Europe en 1945. Les villes allemandes sont détruites. Certaines, comme Hambourg (1943) et Dresde (1945) l'ont été avec une sauvagerie inimaginable, qui en passant ne relevait pas des Américains, mais des Britanniques. Peut-être avez-vous entendu parler du boucher Harris, nous y reviendrons. Dans le Nord de la France, notamment en Normandie, ça n'est pas mieux. Ne parlons pas de nombreuses villes italiennes, belges, hollandaises, sans oublier bien sûr l'Europe centrale et orientale, ni les Balkans.

    Bref, notre continent est dans un état catastrophique. L'idée de "mettre en commun" le charbon et l'acier, notamment entre l'Allemagne (dont les ressources en matières premières, au milieu des décombres, sont intactes), la France et l'Italie, est une idée géniale. Elle recrée un certain équilibre entre anciens belligérants, permet aux foyers les plus déshérités de se chauffer, répartit le redémarrage industriel sur le continent. Qu'on en ait profité, en passant, pour piquer aux Allemands vaincus leur charbon, ou le leur acheter à vil prix, constitue un élément modérément relevé, jusqu'ici, par l'historiographie officielle de l'Europe.

    Mais la CECA, ça marche. Et lorsque, en 1957, le Traité de Rome, pierre angulaire de la construction européenne, fixe un cap commun à six pays (Allemagne, France, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas), douze ans seulement après l'Année Zéro, et dix-sept ans seulement après la plus grande défaite jamais connue par la France, les esprits s'enthousiasment. On commence à croire à un continent sans guerre, on commence à parler de la fin des nations, on commence à rêver d'une construction néo-carolingienne, solide et crédible, entre les deux blocs qui dominent ce monde de la Guerre froide.

    Alors, du coup, on commence à associer cette construction européenne, qui n'en est à l'époque que dans sa phase économique, au camp du Bien. Les nations n'ayant conduit, après un épisode qu'on peut dater de 1813 (Leipzig) à 1945 (Année Zéro), ou de 1792 à 1945, qu'à la destruction du continent, on se dit qu'on pourrait donner sa chance à un autre modèle, avec délégations de souverainetés à un pouvoir supranational. Le camp du Bien, ce serait la vision continentale. Le camp du Mal, ce serait l'attachement à la nation.

    Nous sommes là dans une vision de géomètres. Une vision de philosophes des Lumières. Une vision qui met en avant l'idée de progrès. Une vision qui croit à l'amélioration de la nature humaine, avec les générations. Une vision qui a foi dans le triomphe de la Raison. Après le Sturm und Drang, après le Romantisme allemand, après les Frères Grimm, après la Guerre de 1870 et l'horreur de deux Guerres mondiales, il y aurait là comme un retour aux dix-huitième siècle de l'Aufklärung (Lumières) et de la Vernunft (la Raison, celle dont disserte le philosophe Kant). En clair, la camp du Bien, pour écraser à jamais le camp du Mal.

    Le problème, c'est la chute du Mur. Là aussi, on nous serinait la victoire du camp du Bien (le capitalisme occidental) contre le camp du Mal (le communisme planificateur, avec ses queues devant des commerces vides). Pour généraliser le Bien, il fallait donc se réjouir de la chute du Mur, passer par pertes et profits un pays qui s'appelait la DDR, accepter que l'Allemagne se réunifie, c'était tout bonus : on allait, avec une gloutonnerie sans précédent, gommer de la carte un État du monde, passer sous silence ce qu'il avait de positif (éducation, écoles, Universités, système social très avancé pour les plus démunis), on allait laisser l'Ogre Kohl phagocyter tout cela. Et en plus, on applaudissait. Le camp du Bien, comme dans les tableaux représentant Saint-Georges et le Dragon, terrassait le camp du Mal. Pour les esprits manichéens, souvent recrutés dans ceux qui ne se donnent pas la peine de lire les livres d'Histoire, le scénario était idéal.

    Le problème no 2, c'est qu'on laissait se recréer une Allemagne totalement délivrée de ses complexes politiques. J'ai maintes fois, ici même, décrit la politique sournoise - parce que nationale, sous paravent européen - de l'Allemagne de Kohl dans les Balkans, puis de celle de Merkel en Europe centrale et orientale, notamment dans les Pays Baltes et en Ukraine. Là aussi, nos esprits moralistes et manichéens ont associé au Bien tout ce qui venait de l'Allemagne augmentée appelée "Europe", et au Mal ce qui cherchait à en contrarier les desseins devenus franchement dominateurs, notamment face aux Slaves russophones, dans l'affaire ukrainienne.

    Oh, le paroxysme avait déjà été atteint auparavant, dans les Balkans, entre 1990 et 1999 : diabolisation de ce qui avait tenté, depuis 1919, de tenir une Fédération des Slaves du Sud ; exaltation de la reconquête économique, par l'Allemagne et l'Autriche, de leurs Marches d'antan, en Slovénie et en Croatie. Ces années du mensonges, sous couvert de morale et de droit d'ingérence, furent les abominables années BHL et Kouchner.

    Aujourd'hui, dans les consciences continentales, la mythologie du camp du Bien contre le camp du Mal prend un sacré coup dans l'aile. D'en bas, on se rend compte avec quelle perversité l'idée nationale a été diabolisée. A l'inverse, à quel point les véritables enjeux (qui demeurent des rivalités nationales) de la "construction européenne", notamment la puissante renaissance politique de l'Allemagne, l'affaiblissement de la France, ont été passés sous silence. De partout, on se rend compte que le langage tenu n'a pas été un langage de vérité. D'un bout à autre du continent, on prend conscience avec effroi du déficit démocratique dans l'édifice européen.

    La thèse du camp du Bien ne tient plus. Il va falloir trouver autre chose. En commençant par l'essentiel : lire des livres d'Histoire, plutôt que des traités de morale. Laisser parler toutes les voix, tous les témoins, à commencer par ceux qu'on s'était empressé de maudire. Ne laisser aucune communauté s'approprier, par exemple sous prétexte de morale victimaire, le champ historiographique. Bref, constater les faits, dans leur complexité, leurs chocs de paradoxes. Corriger continuellement sa propre vision, en fonction des lectures nouvelles. Laisser le Bien ou le Mal aux moralistes, ou aux théologiens, comme on voudra. Affronter le tragique de l'Histoire sans tabous, les yeux ouverts.

     

    Pascal Décaillet

     

  • On ne siffle pas le chef des Armées

     

    Sur le vif - Dimanche 14.07.19

     

    Je suis, comme on sait, totalement opposé à la politique menée par Emmanuel Macron. Opposé à son libéralisme économique. Opposé à la relation qu'il entretient avec les puissances financières cosmopolites, qui l'ont tant aidé à se hisser au pouvoir. Opposé à son européisme gravissime, en réalité une relation non avouée de vassalité par rapport à l'Allemagne.

    Opposé, oui. Mais désolé, lors du défilé du 14 Juillet, on ne siffle pas le Président de la République. Quel qu'il soit. Il est le chef des Armées, c'est ainsi, c'est dans la Constitution. En vertu d'une très vieille tradition française, bien antérieure à la Révolution, qui veut que le commandement militaire suprême incombe, non au connétable, mais au souverain. C'est ainsi. C'est la tradition française.

    On peut attaquer tant qu'on veut le chef de l’État dans le débat d'idées. Mais on ne siffle pas le détenteur suprême de l'épée, lorsque défilent devant lui les remarquables troupes de la Nation. Celles qui portent la mémoire de Valmy, Fleurus et Rivoli. Celles dont le sacrifice a tant de fois sauvé le pays.

     

    Pascal Décaillet