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Sur le vif - Page 503

  • Je crois à la terre, le ciel est si loin

     

    Dissertation sur la terre et sur la nation - Samedi 01.06.19 - 10.58h

     

    Défendre la nation comme unité de référence, pour quelques générations encore, des communautés politiques humaines, ça n'est pas être un homme du passé. Loin de là.

    L'idée nationale est révolutionnaire. Elle est apparue dès 1789, pour s'imposer, avec la République, en 1792. Elle a conquis sa légitimité, non par de grands discours abstraits, mais par le sacrifice du sang. Ce furent les Soldats de l'An II, qui surent, à la surprise générale, défendre la toute jeune République contre les forces coalisées d'Europe, qui voulaient maintenir l'Ancien Régime, né de la féodalité, sur l’ensemble du continent. Si ces soldats en haillons avaient perdu, la nation aurait disparu des consciences, pour des générations. C'est l'action patriote qui a sauvé la Révolution, pas les théoriciens de l'universalisme.

    Chaque fois que je dis "nation", un mot qui fait un peu peur en Suisse, c'est à ces moments inoubliables de 1792 que je pense, puis à l'immense aventure, profondément fondatrice et révolutionnaire, qui durera jusqu'au 18 juin 1815

    Les cosmopolites adoreraient imposer la confusion entre partisans de la nation et nationalistes. De même, dans les années qui ont suivi Mai 68, au Collège ou à l'Université, si vous n'étiez pas de la gauche libertaire, on vous traitait immédiatement de fasciste. Tous dans le même paquet ! Que l'on traitât de fasciste un partisan de Mussolini, fort bien. Mais dans ces années-là, même un gentil PDC ou un valeureux radical étaient traités de fascistes. Où étaient l'ignorance, l'inculture, l'incapacité à mettre le mot juste ?

    L'attachement à la nation, ça n'est pas encore le nationalisme. Ce dernier implique un prosélytisme à l'extérieur, un sentiment de supériorité sur les autres pays, une volonté de ne rien voir d'autre que soi-même.

    Telle n'est absolument pas ma conception. Je suis très attaché à mon pays, la Suisse, à son système politique, à sa démocratie directe, à son fédéralisme, mais je n'en fais pas une mystique. J'aime ce système parce qu'il fonctionne. Il permet de vivre ensemble entre communautés différentes. Il fait du peuple, entendez le corps électoral du suffrage universel, la pierre angulaire de l'édifice. J'aime ça. C'est tout.

    Surtout, je ne prône strictement aucune supériorité de la Suisse. J'aime ce que nous sommes, ce que nous avons fait de notre pays, mais je suis attentif à un examen diachronique particulièrement minutieux des destins de chacun des pays qui nous entourent. Mes trois domaines de prédilection sont, comme on sait, l'Histoire allemande, l'Histoire de France, et l'Histoire suisse, avec nos 26 Histoires cantonales. L'Italie de la première partie du vingtième siècle me passionne, je ne l'ai jamais caché. Les Balkans, la Grèce, la Turquie, le monde arabe, etc.

    Et je vois bien que nulle nation n'est supérieure à une autre. Nulle communauté humaine ne vaut plus qu'une autre. Nulle ne doit être méprisée, ni rejetée. Je suis habité par l'idée qu'un être humain en vaut un autre, sans distinction de race, ni de langue, ni d'origine, ni de statut social.

    Seulement voilà. Ce qui me différencie d'un mondialiste cosmopolite, c'est que je ne cherche en aucun cas à abolir le sentiment d'appartenance premier. Au contraire, c'est en ayant des racines profondes que nous pourrons aller tutoyer les hauteurs célestes. En demeurant ce que nous sommes, et surtout pas en troquant notre identité tellurique contre une apparence errante et fantomatique. Je déteste le concept tellement facile, tellement démagogue, tellement prétentieux de "citoyen du monde". Je ne suis même pas sûr que le "monde" existe, hors de nos fantasmes planétaires, style Charlie Chaplin jouant avec sa mappemonde, dans "Le Dictateur".

    A cet égard, l'universalisme a toujours éveillé en moi le plus profond des scepticismes. Je me sens une profonde communauté d'appartenance, intellectuellement, spirituellement surtout, avec ces penseurs allemands qui, à partir des années 1770 (la naissance de Beethoven !), ont puissamment rejeté l'Aukflärung, entendez les Lumières, pour aller chercher dans leur langue (comme l'avait fait Luther en 1522 en traduisant la Bible), dans leurs récits anciens, dans le génie de leur culture germanique, un renouveau qui s'appellera d'abord "Sturm und Drang", puis Romantisme. Je crois à la terre, le ciel est est si loin.

    Je crois à la terre, oui. Je crois aux textes, à leur étude, leurs tentatives d'interprétations, je crois à la diversité des langues, je crois à la complexité des formes verbales dans la langue grecque ancienne, je crois à la richesse des dialectes allemands, je crois à l'éblouissante pluralité des religions orientales des premiers siècles de notre ère, mises de côté par la nécessité politique (et non mystique) d'un dogme chrétien unique (bref, Nicée), je crois à tout ce qui surgit de la terre, tout ce qui vient d'en bas.

    Je me méfie, comme de la peste, des discours à prétention universelle ou planétaire, style BHL, Kouchner ou Cohn-Bendit, quand au contraire chacun d'entre nous est circonscrit dans une origine, un périmètre, un environnement, les inflexions d'une langue. Avant de songer à s'en extraire, peut-être faudrait-il commencer par en prendre conscience. Là où nous sommes. Et non dans l'apesanteur céleste de l'univers.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Mais oui, mes agneaux, vous avez gagné !

     

    Sur le vif - Mercredi 29.05.19 - 15.58h

     

    Il faut surtout laisser croire aux macroniens et autres européistes qu'ils ont gagné. Car oui, depuis dimanche soir, arriver deuxième, alors qu'on avait fait une affaire personnelle de finir premier, c'est une victoire.

    Mais oui, mes anges, vous avez gagné. Surtout ne changez rien. Surtout ne pas écouter la puissante exigence, depuis des mois, de justice sociale et de renouveau démocratique. Surtout, ne rien faire.

    Mais oui, doux chérubins, vous êtes les vainqueurs. La seule chose à retenir du scrutin de dimanche, vous soufflent vos courtisans (jusqu'en Suisse, d'ailleurs), c'est que vous avez éliminé la gauche et la droite traditionnelles, ce qu'au demeurant vous fîtes déjà en mai 2017. Que la droite nationale, populaire et souverainiste arrive en tête, devant vous, malgré votre défi de l'endiguer, ne compte pour rien : les vrais vainqueurs, c'est vous ; les vrais vainqueurs, c'est vous ; les vrais vainqueurs, c'est vous.

    Mais oui, mes chers archanges du cosmopolitisme, vous avez terrassé la bête. Saint Georges, face au Dragon ! D'ici la réélection triomphale de Macron, en mai 2022, vous n'avez plus rien à faire. Surtout, ne bougez pas. Dormez bien.

    Mais oui, mes séraphins, vous êtes les caïds. Reposez-vous, vous l'avez bien mérité. N'écoutez plus les colères sociales, ni l'aspiration renaissante à la nation. Endormez-vous sur le doux parfum de laurier de cette magnifique deuxième place. Continuez à cirer les pompes de Macron, lustrez à fond, il en aura besoin pour prendre, dans les chancelleries feutrées d'Europe, son pied géant de prince de l'orléanisme.

    Attendez le printemps 2022. Ne bougez plus. Fermez vos âmes aux noires colères qui montent. Et laissez la rivale de M. Macron, les forces sociales et les bannis de votre petit monde faire leur boulot.

     

    Surtout, ne bougez plus. Ils s'occupent de tout.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • L'Europe, paradoxe amoureux

     

    Sur le vif - Mardi 28.02.19 - 15.36h

     

    Ici, l'un de mes paradoxes. La question européenne me passionne, de façon continue, depuis l'adolescence. En Allemagne, à l'âge de juste seize ans, j'avais rédigé une longue dissertation, en allemand, sur l'Europe à construire, j'avais même eu l'honneur d'être primé pour ce texte. Le jeune homme de 1974, à deux ans de sa Maturité, n'est évidemment pas le même que l'homme d'aujourd'hui, dont vous connaissez le scepticisme - le mot est faible - sur la machine appelée Union européenne.

    Mais une chose est sûre : 45 ans après ce texte, qui plaidait avec vigueur pour la réconciliation franco-allemande, pour une Europe des peuples et des cœurs (dans laquelle j'incluais la Suisse), une Europe de Dante et de Goethe, je me rends compte que j'ai passé ma vie à réfléchir sur le destin de ce continent qui est le nôtre.

    Je suis Genevois d'origine valaisanne, je suis Suisse, et je suis aussi, du fond de mes fibres, profondément européen. Entendez que je me sens de ce continent. Je m'y sens à Genève, ma ville natale, en position totalement centrale, traversée par les grandes lames historiques qui ont déferlé sur l'Europe : les grands ordres chrétiens, l'imprimerie, l'humanisme, la Réforme, la Contre-Réforme, les Lumières, la Révolution française, le Romantisme, la Révolution industrielle, les grands principes républicains, les deux Guerres mondiales, etc.

    Européens, nous sommes. Mais puissamment sceptiques sur la machinerie actuelle de l'UE, nous sommes aussi, pour un très grand nombre d'entre nous. J'ai suivi Jean-Pascal Delamuraz, en 1992, sur l'Espace économique européen, j'ai plaidé pour le oui, voté oui, je ne renie rien de cela. Jusqu'en 1992, jusqu'à Maastricht, jusqu'à l'avènement de cette Europe monétaire et libérale, au services des intérêts économiques et financiers d'une Allemagne en pleine renaissance politique (depuis le 9 novembre 1989), j'étais favorable à la construction européenne.

    Et puis, tout a basculé. Ils ont voulu construire l'Europe sur le marché, sur le dogme libéral, sur la destruction des services publics, ils se sont dit que le reste allait suivre. Évidemment, non ! C'est le sang versé dans une communauté de destin, un rapport à ses morts, à la mémoire, à l'identité profonde, à la narration de son Histoire, qui crée les nations, et non le volontarisme de quelques horlogers célestes de la pensée. On a mis du marché partout, on en a fait un but un soi, on s'est prosterné devant le Veau d'or, comme l'avait fait le frère de Moïse, on a voulu faire du fric et du profit, on n'a plus écouté les peuples, on voit le résultat.

    L'Europe dont je rêve, et qui n'adviendra pas avant de longues générations, doit être celle des lois sociales de Bismarck comme celle de l'Encyclique Rerum Novarum de Léon XIII (1891), celle des grands principes républicains issus de la Révolution française, celle de la démocratie directe et du fédéralisme suisses, celle de la traduction de la Bible en allemand par Luther, celle des des Psaumes de Bach, celle des oratorios de Haendel, celle des Frères Grimm, celle de Brecht et celle de Hölderlin, celle de Wagner et celle de Debussy. Les échanges Erasmus, c'est bien joli, mais c'est à l'échelle de l'ensemble des peuples qu'il faut, dans les siècles qui viennent, produire ce prodigieux mélange. Et non pour la seule caste privilégiée des étudiants.

    Nous avons besoin d'hommes et de femmes de coeur et de culture, pétris d'Histoire et d'imagination, car "seule la tradition est révolutionnaire" (Péguy). L'Europe des marchés, l'Europe des marchands du Temple, l'Europe de l'usure et du profit, vous pouvez oublier : l'Europe sera sociale, égalitaire et fraternelle, culturelle, ou elle ne sera pas. Pour advenir, elle devra dépasser la nation dans l'ordre de l'émotion : nous en sommes encore si loin.

    Voilà. On peut être l'un des Suisses romands les plus notoirement eurosceptiques, et en même temps un passionné viscéral de notre identité continentale. Je vous avais avertis : ce texte est l'histoire d'un paradoxe. Mais dans la vie, rien n'est jamais très simple.

     

    Pascal Décaillet