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Sur le vif - Page 35

  • Maurizio Pollini : volcan et clarté

     
    Sur le vif - Samedi 23.03.24 - 17.03h
     
     
    Maurizio Pollini vient de nous quitter, à l'âge de 82 ans, et c'est une âme qui s'envole, une de plus, vers quels cieux ?
     
    Toute mort est rupture, mystère. Celle d'un aussi grand pianiste, tellement rigoureux, tellement présent dans l'oeuvre et à son service, nous renvoie à l'essence même de la musique. Des sons, des notes, des couleurs comme chez Bartók ou Debussy, un tempo. Des choses simples, au fond, surgies de la nature, du rythme de nos veines. La vie.
     
    Il y a huit jours, le 15 mars, peu avant 22h, je vous invitais ici même à vous précipiter sur Mezzo, qui consacrait à ce pianiste de légende une soirée spéciale. Au piano, Pollini. Au pupitre, l'incroyable Karl Böhm, au sommet de sa sobriété, sa rigueur. L’œuvre, toujours l'oeuvre, la servir, mettre en valeur chaque note, voilà ce qui reliait le Lombard et l'Autrichien. Au programme, ce soir-là, entre autres, le Concerto pour piano no 19 en fa majeur K 459 de Mozart. Mais aussi, Beethoven. Wiener Philharmoniker. Janvier 1976.
     
    La différence Pollini ? On peut poser la question pour tous les géants, Rubinstein, Clara Haskil, Dinu Lipatti, Martha Argerich, tant d'autres. Pour le Milanais qui vient de nous quitter, deux mots me viennent : la fougue, dans la rigueur. L'intensité d'une présence, au service de la phrase musicale. Oui, cet homme était volcan et clarté. Rétention et explosion. Immersion dans l'oeuvre.
     
    Vers quels cieux ? Mozart, Beethoven, Chopin, Schönberg, Boulez, Stockhausen. Allez, disons Schönberg : la nuit, s'il le faut, mais transfigurée.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • La guerre, la mémoire, les morveux du bellicisme

     
    Sur le vif - Lundi 18.03.24 - 10.26h
     
     
    J'ai commencé très tôt, dans mon enfance, à écouter la radio, lire les journaux, regarder les infos à la TV. Pour la radio, j'allumais toutes les heures, pour le flash, sinon j'écoutais les chaînes de musique classique.
     
    Enfant, je suivais la guerre du Vietnam, et m'exaspérais de la règle du flash ne donnant que les derniers événements de l'heure écoulée. Prises à part les unes des autres, sans contexte, sans fil conducteur, sans antécédents, les diverses escarmouches militaires n'avaient, à mes oreilles attentives et passionnées, aucune espèce d'intérêt. Je voulais COMPRENDRE. Pourquoi cette guerre ? Que foutaient les Américains à se mêler d'un conflit à dix-mille kilomètres de chez eux ?
     
    Un jour, j'ai demandé à mes parents de m'expliquer : "C'est quoi, cette guerre au Vietnam ?". Du mieux qu'ils ont pu, ils ont répondu à mes attentes, me rappelant la présence française, Diên Biên Phu, le rôle des communistes dans le Nord, le soutien des Américains au Sud. etc.
     
    Leur topo, quoique sommaire, était franchement excellent : ils arrimaient les événements du jour où nous parlions (ce devait être en 67 ou 68) à des antécédents. Ils venaient, à leur manière, de faire du Thucydide, qui, il y a 25 siècles, nous raconte la Guerre du Péloponnèse en fonction d'une chaîne de causes et de conséquences, économiques et commerciales, principalement. Quelques années plus tard, découvrant cet immense historien dans le texte original, je fus pris d'une rare ravissement intellectuel.
     
    En toute guerre, il faut chercher les causes. Elles ne sont jamais morales, mais charrient les intérêts profonds des communautés humaines concernées. Accès à l'eau, aux céréales, aux métaux, au charbon, aux sources d'énergie. Il faut ancrer la guerre actuelle dans une chaîne d'autres guerres, appelant vengeance. Il faut regarder tout cela froidement, glacialement même, se méfier comme de la peste des Croisades du Bien.
     
    Il faut, surtout, tout faire pour éviter les guerres. Remettre à leur place les bellicistes de salon qui, n'ayant jamais fait un seul jour de service militaire de leur vie (j'en ai faits près de 500), se surexcitent entre eux sur des plateaux télévisés pour "envoyer immédiatement des troupes terrestres". Et se permettent, du haut de leur morgue, de traiter de Munichois ceux qui ne partagent leur point de vue, prônant une solution politique.
     
    Ces petits morveux de l'intervention française en Ukraine, qu'ils aillent la faire eux, cette guerre ! Qu'ils apprennent le métier des armes (je leur souhaite bonne chance), et qu'ils aillent s'enrôler sur le front russe. Ensuite seulement, quand ils auront ressuscité dans les plaines d'Ukraine les Brigades internationales, repris le Dniepr comme on reprend l'Ebre, ils pourront peut-être nous donner des leçons. Mais ici, au chaud, sur les plateaux de la Macronie, c'est un peu facile.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Les valets du pouvoir

     
    Sur le vif - Vendredi 15.03.24 - 09.55h
     
     
     
    Les chaînes privées françaises sont devenues folles, à lier. Elles ne parlent plus que de l'Ukraine, et de l'intervention que la France pourrait y tenir. Plus que cela, toute la journée, avec leur armada de généraux en retraite, d'amiraux en disponibilité, d'anciens commandants de sous-marins nucléaires, "pouvant détruire mille fois Hiroshima".
     
    Cette répétition à l'infini du thème de la guerre, ce ballet d'étoiles et de galonnés, ce Kriegspiel de salon, tout cela constitue, volontairement ou non, une formidable propagande pour le bellicisme de Macron. Non tellement par ce qui est dit, mais par la récurrence obsessionnelle du thème lui-même. Ces chaînes, y compris celle qu'on disait plus indépendante du courant majoritaire, sont désormais toutes noyées dans l'obédience au pouvoir élyséen. Elles en sont le relais, l'écho, le propagateur, l'illustrateur. Macron donne le thème, les surexcités des chaînes en continu organisent la variation musicale.
     
    Ainsi fonctionne la propagande en 2024. Plus besoin d'un ministre en imperméable qui hurle dans un micro face à une foule convertie, non, juste une mise en scène répétitive, martelante, du thème voulu comme prioritaire par le pouvoir.
     
    Tout esprit libre doit se révolter contre ce conditionnement, qu'il soit d'ailleurs interventionniste ou non. Tout esprit libre doit s'efforcer de penser par lui-même. Tout esprit libre doit décrypter les signes et les mécanismes du pouvoir, tout pouvoir, quel qu'il soit. Or, Macron, tout charmant soit-il, excellent devant les caméras (il le fut, hier soir), c'est le pouvoir.
     
    On attend des médias autre chose que cet âme de valets.
     
     
     
    Pascal Décaillet