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Sur le vif - Page 295

  • L'inconnu de Lübeck

     

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    A l’occasion du 50ème anniversaire, aujourd’hui, de la génuflexion de Willy Brandt devant le monument aux morts de Varsovie, je republie, ici, ma chronique du 6 mai 2004 dans la revue « Choisir ». Willy Brandt est, avec de Gaulle, Mendès France et Mitterrand, l’homme d’Etat européen du vingtième siècle qui m’a le plus impressionné.

     

     

    L’inconnu de Lübeck

     

     

    Il y a juste trente ans, le 6 mai 1974, Willy Brandt, le plus énigmatique, mais aussi à coup sûr le plus grand chancelier allemand du vingtième siècle, envoyait au président de la République une lettre de démission de treize lignes, écrite à la main : « J’assume la responsabilité politique de l’affaire Guillaume ». Brandt quittait la chancellerie, laissant la place à un autre grand homme, Helmut Schmidt. Il allait encore vivre dix-huit ans, présider son parti, et même l’Internationale socialiste, vivre deux décennies en vieux sage ayant tutoyé l’Histoire, cerné d’honneurs et de louanges, mais Brandt au pouvoir, cette aventure allemande de l’après-guerre, se terminait ainsi d’un coup, bêtement, suite à une histoire d’espionnage entre Allemands que plus personne, de nos jours, ne pourrait imaginer.

     

    Willy Brandt, homme du nord né à Lübeck, le 18 décembre 1913, d’une mère de dix-neuf ans qui ne lui révèlera qu’en 1947 la véritable identité de son père, et mort le 8 octobre 1992, aura donc connu l’Allemagne impériale, traversé la Grande Guerre, la République de Weimar, le Troisième Reich (en exil en Scandinavie), les années de désolation et de reconstruction, la scission en deux de sa patrie, avant de connaître enfin, peu avant sa mort, plus heureux que Moïse, la chute d’un Mur qu’il avait toujours haï, les yeux embués en cette ville de Berlin dont il avait été, de 1957 à 1966, le maire éblouissant. Avant d’être un grand homme d’Etat, celui de l’Ostpolitik et de la génuflexion de Varsovie, avant d’être ce vieillard fatigué et sublime regardant s'écrouler le Mur aux côtés de Kohl et Genscher, en cette nuit du 9 novembre 1989, avant tout cela, Willy Brandt c’est d’abord, comme Mitterrand, le charme étrange et romanesque d’un destin.

     

    La politique, aujourd’hui, n’aime plus guère les aventuriers. Elle préfère les technocrates. C’est dommage. Que serait l’Italie sans Garibaldi et le tumulte de son parcours ? Il faut lire la vie des grands hommes, à la Plutarque, si on veut saisir les véritables enjeux de leurs paris politiques. L’enfant Louis XIV traumatisé par la Fronde, le jeune Léon Blum et l’affaire Dreyfus, les rapports terribles de Frédéric II avec son père. Pour cela, il faut accepter de lire des biographies, ce genre passionnant, longtemps et scandaleusement méprisé par les historiens de la mouvance de Mai 68, ceux qui préfèrent les structures aux hommes, la matière à l’esprit, la coupe synchronique, désincarnée, au fil magique d’une vie.

     

    Il faut aussi regarder les albums de photos. Le collégien Willy Brandt, 1930, debout en pantalon de golf, posant devant un plan d’eau, sans doute un canal de sa ville natale de Lübeck. La beauté de son visage, la retenue de sa posture, le brin de mélancolie de l’ensemble, la force de solitude intérieure d’un regard pourtant porté vers le lointain. Est-ce déjà Willy Brandt, au destin scandinave et futur prix Nobel de la Paix ? Ou n’est-ce, encore, que Herbert Ernst Karl Frahm, son premier nom, celui de son enfance hanséatique, lui qui allait, d’exil en exil, en porter plusieurs, remplaçant une énigme par une autre. Tout est là, oui déjà, dans cette tristesse semi-éclairée, immensément séduisante, de l’inconnu de Lübeck. Enfin, coïncidence ou non, 1930, l’année de cette photographie si troublante, est celle de son adhésion au SPD, le parti social-démocrate : rien, jusqu’à la mort, ne l’en séparera.

     

    Willy Brandt : un destin allemand. Il aurait pu être raconté par une nouvelle d’Heinrich Mann, ou incarné dans l’un des innombrables personnages de Günter Grass, son ami. J’irais plus loin : j’irais chercher dans Schiller, celui des jeunes années, le Schiller de Don Carlos et du Sturm und Drang, le ressort exceptionnel de Brandt. Une vie nécessairement en mouvement, mais d’un chemin non-tracé, où l’invisible surpasse le prévisible, le rend futile, dérisoire. Les plans de carrière volontaristes sont pour les personnages de deuxième choix, les grands commis, les grands exécutants. L’homme de caractère, lui, accepte les chemins de traverse, la surprise du vent.

     

    Brandt, un destin. Mais aussi un certain sens de la formule, du symbole. A genoux devant le monument aux morts de Varsovie, recueilli au Mémorial de Yad Vashem, ou hagard devant les burins de fortune qui détruisent le Mur, c’est toujours le même homme, le même sens du destin et de l’Histoire. « Jetzt wächst zusammen, was zusammengehört », s’était-il contenté de déclarer en cette nuit allemande du 9 novembre 1989 (Maintenant va pouvoir croître ensemble, ce qui est du même terroir). Et si le combat social-démocrate, tout en étant parfaitement sincère, n’avait été, toute une vie, que le paravent d’un autre enjeu, plus fondamental, plus inavouable : le combat national pour enfin donner un champ d’éclosion à une patrie ravagée, et au fond tant aimée, comme une mère qu’on retrouverait, intacte et prometteuse, au soir de sa propre vie ? La force des grands hommes, Brandt, de Gaulle et les autres, c’est qu’ils nous donnent l’impression, à chaque fois, de recommencer l’Histoire.

     

    Pascal Décaillet

  • Journalisme : le corporatisme moralisateur d'une profession qui se meurt

     
    Sur le vif - Dimanche 06.12.20 - 17.55h
     
     
    Il faut arrêter de parler des journalistes et du journalisme. Ces discussions-là n'intéressent, au mieux, que les... journalistes ! Je dis cela, alors que j'exerce ce métier, avec passion, depuis 35 ans comme professionnel.
     
    Laissons les journalistes discuter entre eux. Affirmer que "les médias sont indispensables à la démocratie", et y croire, si ça les chante.
     
    Ce métier magnifique, né avec la Gazette de Théophraste Renaudot, sous Louis XIII, ayant surtout éclos avec la Révolution industrielle, atteint son apogée sous l'Affaire Dreyfus (sur laquelle, comme on sait, je me suis penché de très près, pour une Série radio, en 1994), est doucement en train de disparaître.
     
    Tout le monde a le droit d'informer ses contemporains. Tout le monde a le droit de vérifier ses sources, ça n'est pas une pratique interdite ! Tout le monde a le droit de publier. Tout humain a le droit d'interviewer un autre humain, de brosser son portrait par écrit, de rédiger des carnets de route, de nous croquer la vie, la dessiner, la filmer, la mettre en ondes. Toute citoyenne, tout citoyen, a le droit le plus absolu d'exprimer son opinion, sous la forme d'un commentaire, dans le champ politique. Nul de ces exercices n'est réservé aux journalistes.
     
    Alors, qu'est-ce qui est encore réservé aux journalistes ? Réponse : rien. STRICTEMENT RIEN. Aucun des actes recensés ci-dessus n'est réservé aux journalistes, aucun ne leur est interdit non plus.
     
    Les histoires de journalistes entre eux n'intéressent personne. Tout au plus, quelques... journalistes ! Les problèmes économiques, liés à une rédaction en faillite, un journal qui cesse de paraître, une chaîne qui se plante, ne doivent pas capter notre intérêt davantage que la fermeture de n'importe quelle PME de taille équivalente, dans le circuit économique autour de nous. Intéressons-nous aux restaurateurs ! Intéressons-nous aux cafetiers ! Intéressons-nous à tous ces commerçants, par dizaines de milliers en Suisse, jetés au bord de la faillite pas les autorités, en cette belle année 2020. Et cessons de pontifier avec l'ineffable "aide à la presse" !
     
    Bien sûr, il y a des techniques du journalisme. Notamment en radio : l'écriture, l'improvisation sur mots-clefs, le rythme, le souffle, l'énergie pour tenir une émission. Cela s'enseigne, cela s'apprend. Mais cela peut se transmettre, et se pratiquer, entre citoyens de bonne volonté, désireux d'en découdre avec le micro, l'oralité, sans se coller à la peau ce titre prétentieux de "journaliste".
     
    Qui sommes-nous, tous, dans le débat public ? Réponse : des citoyennes, des citoyens ! C'est le seul titre qui vaille, le seul dont nous ayons à nous revendiquer. Le reste, c'est le corporatisme moralisateur d'une profession qui, telle Henriette d'Angleterre, se meurt.
     
    Nous avons mieux à faire. Existons dans la Cité ! Soyons citoyens ! Tous, avec les mêmes droits. L'égalité, la vraie. Dans une démocratie totale, vitale, surgie d'en bas, sans médiateurs, sans intermédiaires. Sans moralisateurs qui, au fond, sont juste là pour défendre leur caste.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Les Fleurs du Mâle

     
    Sur le vif - Dimanche 06.12.20 - 10.38h
     
    Deux hommes de droite blancs, âgés de plus de cinquante ans, vont présider les Chambres fédérales en 2021.
     
    Merci au Matin dimanche de dénoncer cet ABSOLU SCANDALE. Ca fait du bien, une telle prise de risque éditoriale, une telle impertinence. Ca vous défrise le Parthénon.
     
    L'un est paysan, l'autre assureur. Ah, les sales types ! Comment de tels lascars ont-ils osé se présenter aux élections ?
     
    Merci, aussi, d'utiliser le mot "mâles", comme le font de plus en plus souvent les féministes, avec l'infinie finesse qui les caractérise. "Vieux mâle" est leur expression favorite, pour qualifier un homme ayant dépassé la cinquantaine, ou la soixantaine. C'est si délicat, non ? C'est tellement beau, comme insolence, tellement courageux, ça vous transgresse le prévisible, on s'imagine skiant hors-piste en période de Covid.
     
    "Mâles". "Vieux mâles blancs de droite". Floraisons de grâce et de finesse ! Alchimie d'une écriture qui fera vocaliser les lendemains.
     
    Soucieux de la plus parfaite égalité, nous nous sentirons désormais autorisés, et même encouragés, constitutionnellement incités, à parler, dans l'autre sens, de "femelles".
     
    D'avance, nous savons que ça leur fera tellement plaisir.
     
     
    Pascal Décaillet