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Sur le vif - Page 292

  • Joe Biden : Bonne nuit, les petits !

     
    Sur le vif - Samedi 27.02.21 - 16.54h
     
     
    Non, chers amis de Biden, vous qui avez passé quatre années à vomir sur Trump, quoi qu'il fît, votre vieux monde ne renaîtra pas.
     
    Votre champion, c'est celui de la Restauration. Dans vos têtes, Trump n'a été qu'une parenthèse. Un cauchemar. Avec Biden, on se réveille, on revient à la vraie vie, celle d'avant. On rétablit, comme en 1815, l'ordre ancien, celui qui à vos yeux n'aurait jamais dû disparaître.
     
    L'ordre ancien, c'est celui d'une Amérique qui camoufle son hégémonie mondiale derrière le paravent de la toile multilatérale. En Corée, puis beaucoup plus tard dans le Golfe persique, on ne disait pas "expédition américaine", mais "troupes de l'ONU". Quand on a bombardé Belgrade, en avril 1999 (pendant que j'interviewais l'ancien Chancelier Helmut Schmidt, dans son bureau de Hambourg), on disait "troupes de l'OTAN".
     
    Troupes de l'ONU, troupes de l'OTAN : personne n'est dupe, personne ne l'a jamais été. Derrière ces entités prétendument pluralistes, il y a une puissance, un empire, devenu hégémonique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis d'Amérique. Il faut nommer les choses pour ce qu'elles sont.
     
    L'ordre multilatéral, 1945-2016, c'est le Congrès de Vienne des vainqueurs américains à l'Ouest, qui ne disent pas "Nous dominons le monde", mais "L'ordre du bien, dont nous ne sommes que l'une des parties, doit s'imposer". C'est un mensonge, tout le monde le sait : il ne sont pas "une partie", ils sont le moteur, le chef.
     
    Pendant quatre ans, Donald Trump nous a proposé autre chose. Conformément à ses engagements de campagne, il a retiré son pays de cette toile mondialiste dont il saisissait parfaitement la vanité. Il a rompu avec le discours de gendarme du monde, ou ne l'a tenu que pour défendre, là où il fallait des signes, les intérêts supérieurs de son pays. Dans le même temps, à l'interne, il a redressé la situation économique et sociale, jusqu'à la crise sanitaire, dont je ne sache pas qu'il faille lui imputer la responsabilité. Début 2020 encore, les États-Unis avaient renoué avec une santé économique plus vue depuis longtemps.
     
    Joe Biden fera-t-il mieux ? Nous verrons. Mais pour l'heure, il apparaît comme le farouche restaurateur de l'Ancien Monde. Pendant huit ans, sous Barack Obama, il était le vice-président des États-Unis d'Amérique. Il partage en cela toute la responsabilité de ce qui a été commis, notamment en termes de bombardements continuels, sur des théâtres d'opérations souvent peu médiatisés. Il n'est pas le successeur de Donald Trump. Il est son prédécesseur. Il incarne la vision du monde de la seconde partie du vingtième siècle, 1945-2016. Il veut à tout prix restaurer cet Ancien Régime, qui conditionne tous les logiciels de son cerveau.
     
    Il est une sorte de Louis XVIII, apaisant et débonnaire. Il ne déborde jamais, ne dérape jamais, ne transgresse jamais la bienséance de cette Amérique-là. On le verrait presque en Nounours, ou en marchand de sable, du sommet de son nuage, nous disant avec une paternelle bienveillance : "Bonne nuit, les petits !".
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Quand Joe fait la bombe

     
    Sur le vif - Samedi 27.02.21 - 09.35h
     
     
    Donald Trump : strictement aucune guerre, en quatre ans.
     
    Joe Biden : premiers bombardements après un mois au pouvoir. Il en reste 47 !
     
    Ça lui a fait plaisir, à Joe. Ça lui rappelle les huit ans où il était vice-président de Barack : une bombe, toutes les vingt minutes, quelque part dans le monde. La plupart du temps, sur des théâtres d'opérations oubliés, délaissés par les médias.
     
    Le voilà de retour, le vieux bellicisme démocrate. Et nos belles âmes applaudissent ! "S'il a bombardé, c'est qu'il avait ses raisons". La bonne cause. La cause du Bien.
     
     
    Pascal Décaillet

     
  • Philippe Jaccottet : l'autre vie

     
    Sur le vif - Vendredi 26.02.21 - 16.27h
     
     
    Je repense à Philippe Jaccottet. Je viens de visionner plusieurs de ses interviews, dont certaines magnifiques, chez lui à Grignan. L'écouter est impressionnant : il parle de poésie en termes très simples, avec un souci de précision, de cadastre des mots, qui laisse imaginer la dureté, et sans doute jusqu'à une certaine férocité, de son chantier avec le texte, quand il écrit, ou quand il traduit.
     
    Il parle de la Drôme provençale, de la lumière, de la source, de la mort. Il parle de cette retraite, qu'il avait choisie avec son épouse dès 1953, comme d'une possibilité d'éclore, une condition nécessaire à la vie. Il ne va pas à Grignan pour fuir le monde, mais pour enfin y accéder. Trouver la vie.
     
    Quelle vie ? L'autre vie ! Celle des mots, celle des textes.
     
    Et puis, je viens de visionner aussi une autre émission, qui m'a bouleversé : le journaliste Jean-Pierre Moulin, début 1977, évoque les Romantiques allemands, en compagnie des deux hommes, peut-être au monde, les plus aptes à en parler : Philippe Jaccottet, qui a fréquenté certains d'entre eux jusqu'à tenter l'aventure de la traduction ; et puis, mon professeur Bernhard Böschenstein. A l'époque de l'interview, j'étais son étudiant. C'est un homme qui m'a infiniment marqué : au gamin que j'étais, il a jeté des pistes, il est possible que j'aie pu en saisir une ou deux.
     
    Enfin, je pense à Jaccottet traducteur de Thomas Mann. Je suis en train de relire "Der Tod in Venedig", en allemand, je n'ai plus en tête la version de Jaccottet, mais à chaque mot, à chaque souffle, à chaque silence, je ressens dans ma chair la difficulté du chemin qui a dû être celui du traducteur. Il arrive, dans ce texte, que la phrase soit d'une extrême complexité : le passeur doit restituer cela en français, le rythme musical, tout en établissant la plus limpide des clartés. Traduire, c'est cheminer dans ce paradoxe.
     
    Je suis heureux d'avoir revu ces interviews. On y découvre un homme simple, presque austère, très aimable, parlant sans fioritures ni souci d'effets, refusant toute espèce de sacralisation lyrique, ou éthérée, de la poésie. Il nous invite sur un chemin de précision, où le contour de chaque mot est ciselé dans la lumière. Êtes-vous dans la Drôme pour Dieu ou pour la terre, lui demande le journaliste ? Pour la terre, répond-t-il simplement.
     
     
    Pascal Décaillet