Sur le vif - Page 290
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Le souverain, c'est nous !
Sur le vif - Mardi 22.12.20 - 17.10hJ'organiserai, bien sûr, tous les débats qu'il faudra en vue de l'élection complémentaire du 7 mars. Et, le jour venu, j'irai voter. Comme je le fais, sans faille, depuis ma première participation à un scrutin. C'était en septembre 1978, pour dire oui, du fond du coeur, à la création du nouveau Canton du Jura. J'avais vingt ans et trois mois.Mais je répète ce que j'ai déjà dit ici : citoyen, je suis très fâché que les esprits, à Genève, aient à nouveau à se coltiner une histoire de personnes, avec des visages sur des affiches, des promesses de lendemains qui chantent. Bref, ce qu'on appelle une élection.Je n'aime pas les élections. Je les traite à fond, professionnellement, depuis 35 ans. Mais je ne les aime pas. Je n'aime pas la démocratie élective. Je n'aime pas la démocratie représentative. Je connais à fond les enjeux de la politique en Suisse. Je les connais mieux que beaucoup de politiques, beaucoup de candidats, et même beaucoup d'élus. Et je n'ai, comme citoyen actif, passionné par la chose publique, aucune envie, au fond, d'être "représenté" par quiconque.Je milite, vous le savez, pour une démocratie totale, une démocratie directe plus influente qu'aujourd'hui, avec un suffrage universel qui prendrait en mains davantage de sujets. Nous ne sommes plus au temps des ancestrales Diètes, avec des diligences qui conduisaient des "élus" vers la capitale lointaine du pays (Berne, Paris, Berlin), pour qu'ils y siègent de longues semaines !Nous sommes à l'orée de 2021 ! Nous sommes à l'heure des réseaux sociaux, vous connaissez ma passion pour ce mode de communication. Nous sommes au temps du partage des connaissances, de l'accessibilité à des milliards de données à partir d'un écran d'ordinateur, sans avoir à se déplacer dans ces bibliothèques où j'ai passé (avec bonheur, j'en conviens) une partie de ma jeunesse. Nous n'avons plus besoin d'intermédiaires. Plus besoin de partis politiques. Plus besoin de journalistes. Plus besoin de ces prétentieuses "rédactions", qui viennent nous faire croire que "le journalisme est essentiel à la démocratie".C'est faux, archi-faux ! Ce qui est essentiel à la démocratie, c'est le libre accès de chacun à la connaissance. Et le libre droit de chacun à s'exprimer dans l'espace public. On peut le faire grâce au journalisme. On peut, tout autant, le faire sans. Il faut arrêter de nous baratiner, je le dis à ma corporation, avec ces sermons sur la nécessité vitale du journalisme pour sauver nos libertés individuelles. Non, non et non ! Ces libertés, ce sont les citoyennes et citoyens qui se battront pour les préserver. Avec ou sans journaux. Avec ou sans médias. Avec ou sans "rédactions".J'appelle les citoyennes, les citoyens à privilégier à fond les thèmes (donc, les votations, la démocratie directe) sur le cirque électoral des partis. A Genève, le 7 mars 2021, j'irai voter. Mais je ne me fais strictement aucune illusion sur le résultat. Même si nous élisons le meilleur - ou la meilleure - nous n'avons aucune garantie que ce magistrat puisse, à lui seul, élever vers quelque qualité un attelage qui, en trois ans, n'a encore rien prouvé.Méfions-nous des personnes. Méfions-nous du tintamarre électoral. Intéressons-nous aux thèmes, plutôt qu'au gens. Augmentons la démocratie directe. Rappelons aux élus, législatifs autant qu'exécutifs, qu'ils sont au service du peuple, et non le contraire. Au besoin, culbutons-les. Ils ne sont pas les seigneurs. Nous ne sommes pas les sujets. Le souverain, en Suisse, c'est le corps des citoyennes et citoyens. Ce qu'on appelle, pour faire court, "le peuple".Le souverain, c'est nous.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
Trois guerres de retard !
Sur le vif - Lundi 21.12.20 - 11.41hLe papier du Matin dimanche sur le "changement d'ambiance", de Pierre Maudet à Nathalie Fontanet, pour les milieux de l'économie à Genève, ne correspond absolument pas à la réalité.De deux choses, l'une. Soit il relève d'une instrumentalisation de la rédaction de ce journal par les milieux libéraux et une branche très libérale du patronat genevois, n'ayant qu'un rapport lointain avec les petites entreprises. Soit il révèle une complicité éditoriale de la même rédaction avec l'appareil de propagande libéral en faveur de Mme Fontanet.Nous avons des élections, à Genève, le 7 mars. Il s'agit, pour certains milieux, d'entreprendre toutes choses pour éliminer un homme. Qui a peut-être commis des fautes, la justice tranchera. Mais qui n'a ABSOLUMENT PAS démérité, pendant les mois de la crise sanitaire où il était aux affaires, dans ses relations avec le monde des petits entrepreneurs en difficulté, à Genève. Lui nier cet actif, c'est tout simplement dégueulasse.J'invite les observateurs de la vie politique à ne pas avoir toujours trois guerres de retard dans leurs analyses des mécanismes du pouvoir. Et à se méfier plutôt des puissants - et des puissantes - que de ceux qui sont à terre. Administrer à ces derniers un énième coup de grâce, alors qu'ils n'en finissent plus de gésir, ne grandit ni le journalisme, ni le citoyen soucieux de clairvoyance, ni surtout l'homme d'honneur.Quant à Mme Fontanet, chez laquelle nous percevons surtout une grande capacité d'adaptation à se maintenir dans toute dynamique de pouvoir, nous sommes prêts à en dire le plus grand bien. Le jour où elle aura réduit le déficit et la dette, allégé le fardeau fiscal des classes moyennes, soulagé ceux qui se lèvent le matin pour aller bosser, pour peu qu'un ukase de la bureaucratie sanitaire n'ait pas fermé leur établissement. Hélas, je ne sache pas qu'elle ait, pour l'heure, emprunté ce chemin-là.Pascal DécailletLien permanent Catégories : Sur le vif -
Série Allemagne - No 29 - Vienne, 7 mai 1824 : la Missa Solemnis
Dimanche 20.12.20 - 17.29h
*** L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 29 – L’événement se passe à Vienne. C’est la Première (non-intégrale) d’une Messe en latin. L’auteur est certes allemand, mais toute sa carrière créatrice s’est déroulée en Autriche. Il la dédie à un Archiduc autrichien. Nous sommes 18 ans après la dissolution du Saint-Empire. Pourtant, nous avons choisi, en toute connaissance de cause, d’intégrer la Première viennoise de la Missa Solemnis, de Ludwig van Beethoven, dans notre Série allemande ! Parce que le compositeur est profondément allemand. Parce que nous sommes au cœur de l’Histoire musicologique allemande. Parce qu’il faut comparer cette œuvre, encore marquée d’une latinité conventionnelle d’Ancien Régime, à une autre, immense, parue 44 ans plus tard : le Deutsches Requiem, de Johannes Brahms, composé cette fois sur texte allemand, celui de la traduction de la Bible par Luther, en 1522.
Vienne est une ville autrichienne, elle en est même la prestigieuse capitale. A Vienne, on parle allemand. Vienne n’est pas une ville allemande. Mais, comment dire, elle n’est pas, non plus, une ville détachée des Allemagnes. Nous aborderons, plus tard, dans notre Série en 144 épisodes, la très complexe question autrichienne, liée à mille ans d’Histoire du Saint-Empire, un lien coupé en 1806, mais jamais totalement. Les Autrichiens ne sont pas des Allemands. Mais le verbe et la musique, les contours de l’Histoire, la puissance de la langue, font de leur lien avec l’Allemagne une question historique de premier ordre, très délicate et très difficile à traiter.
Ludwig van Beethoven, né à Bonn en 1770, mort à Vienne en 1827, est un Allemand ayant fait sa carrière en Autriche, d’abord dans les dernières années du Saint-Empire, puis sous l’Empire d’Autriche. Il est Allemand de Vienne. Mais il est Allemand, jusqu’au bout des ongles. Il est le compositeur allemand, par excellence. Nul n’aurait l’idée de le classer dans la musique autrichienne, et Dieu sait si cette dernière nous a livré le plus haut degré du sublime : Haydn, Mozart, Schubert, Bruckner, Mahler, Alban Berg, Schönberg. Et tant d’autres. Et Dieu sait, aussi, si le jeune Beethoven, arrivé à Vienne dans son adolescence, doit un legs impérissable à ses maîtres autrichiens. Avec eux, notamment, il étudie l’harmonie et le contrepoint.
Beethoven compose sa Missa Solemnis au sommet absolu de son art : il a entre 48 et 53 ans, ce sont les dernières années de sa vie, il est complètement sourd, mais cela ne l’empêche pas une seule seconde de composer. Les notes, les accords, la polyphonie des voix, il les a dans sa tête, il sait exactement ce que cela donnera, dans l’univers de ceux qui entendent. C’est l’une des œuvres qui lui coûtent le plus de temps : cinq années d’un travail acharné. Il la considère comme le meilleur de ses ouvrages, « le plus grand ». Il présente pourtant, exactement au même moment, sa fameuse Neuvième Symphonie, dont la terre entière connaît le Final, l’Hymne à la Joie, sur le poème de Friedrich Schiller. Ce sont aussi les années des derniers Quatuors, ceux qui font avancer de deux siècles l’Histoire de la musique.
L’Histoire de la Missa Solemnis a été étudiée à fond par les musicologues. Saviez-vous, par exemple, que la véritable Première s’était déroulée non à Vienne, mais à Saint-Pétersbourg, trois mois plus tôt, le Tsar ayant fait partie des premiers souscripteurs ? On ajoutera aussi que la Première viennoise, le 7 mai 1824, au Kärntnertortheater, le Théâtre de la Porte de Carinthie, ne pouvait être complète, le régime de Metternich interdisant qu’une Messe fût représentée ailleurs que dans une église ?
Reste l’immensité des questions posées. Pourquoi le répertoire sacré occupe-t-il si peu de place (par rapport à Mozart, notamment), dans une œuvre aussi totale ? On pense certes au Christ sur le Mont des Oliviers, et à la Messe en ut. Pouvait-on, en 1824 à Vienne, présenter une Messe autrement qu’en latin ? Là, la réponse est clairement non, et c’est là qu’il faut comparer l’aventure de Beethoven avec celle, en 1868, du Deutsches Requiem de Brahms, dans un contexte d’Unité allemande triomphante (Cf. le numéro 9 de ma Série, "Lepizig, 1869 : Ein Deutsches Requiem", publié le 31 juillet 2015). Quel est le rapport de Beethoven à la religion ? Il se dit certes croyant (dans sa Correspondance, notamment), mais comment se définit-il par rapport à l’Etiquette religieuse étouffante de la Vienne de Metternich, toute sonore de latinité et de liens avec l’Italie pontificale ? Et puis, surtout : pourquoi l’auteur d’une Messe aussi époustouflante n’a-t-il pas davantage consacré d’énergie à la musique religieuse ? A la plupart de ces questions, les réponses fouillées demeurent à trouver.
Reste une œuvre immense, notamment dans la répartition des voix entre les quatre solistes. La discographie est impressionnante. Nous retiendrons Toscanini, Böhm, Karajan (en plusieurs versions), Klemperer, Giulini, Herreweghe, parmi tant d’autres. Pour, ma part, l’une d’entre elles, plus que les autres, résonne en mon âme : celle que j’ai écoutée hier soir, samedi 19 décembre 2020, sur Mezzo : le Concertgebouw d’Amsterdam, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. En y pensant, 20 heures plus tard, j’en ai encore des frissons. Entre Mozart et Brahms, il y a, quelque part dans l’univers, cette Messe en latin d’un compositeur allemand qui a révolutionné la musique. Tout en acceptant, dans le cas présent, de s’inscrire pour l’apparence dans la codification traditionnelle de la musique sacrée autrichienne, d’expression latine. Un sacré paradoxe, que dissout seulement l’écoute de l’œuvre : elle vous emporte, au-delà du monde. Au-delà de l’Histoire.
Pascal Décaillet
*** L'Histoire allemande en 144 tableaux – Une Série racontant le destin allemand, de 1522 (traduction de la Bible par Luther) jusqu’à nos jours. Les 24 premiers épisodes ont été publiés en 2015, et peuvent être lus directement en consultant ma chronique parue le 11 juillet 2020, ici :
https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2020/07/11/serie-allemagne-c-est-reparti-307498.html .
La Série n’est pas chronologique, elle suit mes coups de cœur, mes envies, mes lectures. Lorsqu’elle sera achevée, une version rétablissant la chronologie vous sera proposée.
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