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Sur le vif - Page 232

  • Tous les 17 juin, je pense à la DDR

     
    Sur le vif - Jeudi 17,06.21 - 22.46h
     
     
    Tous les 17 juin, je pense à la DDR. Et aux événements de Berlin, en 1953. Et surtout, au traitement littéraire absolument époustouflant que leur a donné, beaucoup plus tard (1966), Günter Grass, futur Prix Nobel de littérature (1999), l'un des grands auteurs de mes jeunes années.
     
    Le livre de Grass est une pièce de théâtre. Elle s'appelle "Les Plébéiens répètent l'insurrection". "Die Plebejer proben den Aufstand". L'action se déroule au Berliner Ensemble, dont le fondateur, Bertolt Brecht (personnage de la pièce de Grass), met en scène le "Coriolan", de Shakespeare.
     
    Nous sommes le 17 juin 1953. Berlin se révolte. Les comédiens, les gens de théâtre, mettent en cause l'autorité du metteur en scène. Coriolan, c'est Shakespeare. Mais dans la mémoire intime de tout Allemand, Coriolan c'est Beethoven. On ne remet pas en cause Shakespeare. On ne remet pas en cause Brecht. On ne remet pas en cause Beethoven. L'Allemagne est encore en ruines, elle commence à peine à se relever. Il lui reste la culture. On ne remet pas en cause la culture, ultime relique de l'âme allemande. Sauf là, dans la pièce de Günter Grass.
     
    "Les Plébéiens répètent l'insurrection", que je connais depuis une quarantaine d'années, n'est pas une pièce contre le communisme. Ni contre la Stasi. Ni contre l'essence même de la DDR, sa légitimité, tout aussi fondée que celle de l'Allemagne de l'Ouest.
     
    Non. C'est une pièce sur le pouvoir. Tous les pouvoirs, d'où qu'ils viennent. Celui, vulgaire, de l'oppression sociale et politique. Celui, infiniment plus subtil, du talent. Et même, celui du génie.
     
    Il faut lire cette pièce de Günter Grass. Profs d'allemand, lisez-là, à haute voix, avec vos élèves. Parlez-leur de Grass. Parlez-leur de Brecht. Parlez-leur de Shakespeare. Parlez-leur de Beethoven. Et foutez-leur la paix avec l'écriture inclusive.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Genève, la paix du monde, les crayons d'Adrien Deume

     
    Sur le vif - Jeudi 17.06.21 - 09.40h
     
     
    L'échelon multilatéral du monde n'existe pas. Il est juste une fiction, particulièrement accentuée à Genève : parce que nous hébergeons des organisations, ce qui est fort bien, nous avons tendance, depuis 1919, à nous imaginer comme le centre d'un monde cohérent : celui où la discussion prévaudrait sur les rapports de forces.
     
    Et ce monde, depuis 1919, juste après la boucherie de la Grande Guerre, serait nécessairement nouveau, délivré du Mal, affranchi des passions nationales, promesse d'une planète sans guerre, où la Raison cosmique (la Vernunft de l'Aufklärung) l'emporterait enfin sur l'archaïque noirceur de la nature humaine, du pouvoir, des liens d'intérêts.
     
    Mais enfin, comment peut-on, un siècle après, oser encore l'éloge du multilatéralisme façon 1919 ! La SDN a été, face à l'Histoire, un échec absolu. Déjà, on se pressait au Palais Wilson, dans une ambiance jamais aussi bien décrite que par Albert Cohen, avec Adrien Deume qui taille ses crayons. Déjà, on se congratulait dans les cocktails. Déjà, on était un monde en soi, déraciné, coupé du réel. On n'a vu venir ni la Marche sur Rome d'octobre 1922, ni le 30 janvier 1933 à Berlin, ni la Guerre d'Espagne, ni la montée de l'impérialisme nippon. Non, déjà on disait "Genève internationâââle", comme si la convergence géographique d'organisations, en un bout du lac habité par la grâce, constituait la moindre garantie de paix future.
     
    On n'a vu venir ni les colères allemandes, suite au catastrophique Traité de Versailles, porteur des germes d'une inévitable revanche, ni le besoin de cohérence dans une Italie en total désordre après l'Armistice. On s'est juste réjoui, à Genève, d'être entre soi, dans un monde internationââââl. Les nations, pourtant, sous ce vernis, préparaient déjà la guerre future : non seulement l'Allemagne se réarmait, mais l'Angleterre, et même la France, qui contrairement aux idées reçues, n'a cessé ce produire du matériel pour une nouvelle guerre. Eh oui, la France, et même celle du Front populaire : en 1940, au moment décisif, ses chars sont excellents, mais la doctrine d’utilisation a vingt ans de retard sur celle des Allemands. Les Français continuent de faire des chars les auxiliaires de l'infanterie ; les Allemands déboulent le 10 mai avec des divisions blindées autonomes, chaque char étant relié à l'ensemble par radio.
     
    Aujourd'hui, rien n'a changé. Le multilatéralisme politique n'existe pas, et il n'est même pas certain que Joe Biden entende le relancer. Nous avons des nations rivales, adversaires, la guerre en matière de cybersécurité fait rage, la présence de l'Otan en Pologne et en Ukraine provoque une Russie sur les Marches de son territoire. La Chine devient première puissance mondiale. Chacun lutte pour soi, pour ses intérêts profonds.
     
    Genève fut hier le théâtre d'une belle rencontre. la Suisse a magnifiquement organisé les choses. La police, les militaires, doivent être félicités, ce fut impeccable. Et en plus, il a fait un temps splendide. Mais entre 1919 et 1939, à Genève, il y eut aussi de magnifiques journées. Pendant qu'Adrien Deume taillait ses crayons. Et qu'Ariane, trottinant de félicité, s'en allait conter fleurette à Solal.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Biden-Poutine : on parle sérieusement ?

     
    Sur le vif - Mercredi 16.06.21 - 16.32h
     
     
    Je suis le premier à adorer Genève, j'y suis né, j'y ai passé presque toute ma vie (à part mes années à Berne, comme correspondant parlementaire pour la RSR, et mes très nombreux séjours dans les Allemagnes), je suis infiniment sensible au charme de cette ville. Son Histoire, sa culture, son ouverture au monde du savoir, ses liens avec la planète, la marque spirituelle et intellectuelle de la Réforme, la splendeur de ses parcs et de ses arbres, tout cela m'habite, et m'accompagnera jusqu'au dernier souffle.
     
    A ce titre, je partage la fierté de beaucoup d'entre nous, celle que notre ville puisse accueillir un Sommet mondial comme celui d'aujourd'hui. Mon père, en 1954, avait vu passer les grands de ce monde, sous ses fenêtres, pour la Conférence de Genève sur l'Indochine, celle qui allait faire de Pierre Mendès France le seul véritable homme d'Etat de la Quatrième République. J'étais dans la Messe de Paul VI, avec ma mère, en juin 1969, au Parc Lagrange. Avec mon père, nous avons vu passer Hiro-Hito, Empereur du Japon, devant le Jardin botanique, je crois que c'était en 1971.
     
    De tout cela, nous pouvons être fiers. Mais de grâce, n'allons pas imaginer, une seule seconde, que l'événement unique d'aujourd'hui, le Sommet Biden-Poutine, soit le signal quelconque d'un retour au "multilatéralisme". Pourquoi ? Mais parce que nous sommes, éminemment, dans une rencontre bilatérale ! Entre l'homme qui représente les intérêts profonds, historiques, vitaux, des Etats-Unis d'Amérique, et celui qui défend exactement les mêmes, du côté de la Vieille Russie. Nous sommes là dans des mouvements de fond, séculaires, qui n'ont rien à voir avec les émulsions, les excitations provinciales de l'hôtelier qui veut bien mettre sa magnifique ville à disposition.
     
    Je vous invite donc, maintenant que nous nous sommes tous (moi le premier, depuis mon balcon) bien excités sur l'événementiel, à tenter, dans les jours qui viennent, de commenter cet événement pour ce qu'il est : un bras-de-fer impitoyable entre deux hommes qui ne s'aiment pas, autour d'intérêts vitaux, politiques, économiques, énergétiques, financiers. Et en l'absence d'un troisième larron, qui s'appelle la Chine.
     
    Des choses, à Genève, se seront passées, ce mercredi 16 juin 2021. Nous en saurons plus dès ce soir. Intéressons-nous à elles, froidement, sans idéaliser le décorum de la "Genève internationale", sans retomber dans les cruelles illusions "multilatérales" de l'Entre-Deux-Guerres, mais sans non plus bouder l'éclat renouvelé du blason de notre ville, à cette occasion.
     
     
    Pascal Décaillet