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Sur le vif - Page 128

  • Mercredi, les fonctionnaires montent à l'autel

     
    Sur le vif - Lundi 10.10.22 - 16.21h
     
     
    Il va sans dire que la grève des fonctionnaires, mercredi, jouira d'une incomparable popularité auprès de tous ceux qui triment dans le secteur privé.
     
    Auprès de qui ? Auprès des petits indépendants, entrepreneurs, ceux qui n'ont aucune garantie de travail, ni de revenu. Ceux qui paient eux-mêmes l'intégralité de leurs retraites, AVS et deuxième pilier (s'ils en ont contracté un). Ceux qui paient leur perte de gain, au prix fort. Ceux qui ont la trouille de tomber malades.
     
    Auprès de qui ? Auprès des employés du secteur privé, aussi. Ils ont certes droit, eux, à la part patronale pour les retraites, la perte de gain. Mais garantie d'emploi, néant. Problème avec l'employeur, raus ! Difficultés économiques, raus ! Restructuration, raus !
     
    Auprès de qui ? Auprès des chauffeurs-livreurs, qui ADORENT les cortèges de manifs, un après-midi ouvrable, en plein centre-ville, rien que pour emmerder. Auprès de tous ceux qui se lèvent le matin et rentrent le soir, doivent traverser Genève, leurs familles les attendent, le temps compte.
     
    Mais non ! La fonction publique manifeste. Procession sacrée. Fête-Dieu. Ils ont des conditions incroyables de part patronale pour leur Caisse de pension. Ils ont la sécurité de l'emploi. Ils ont des foules d'avantages que le privé n'a pas. Mais il faut bien manifester. Accomplir le rituel. Honorer les syndicats. On procède, dans la rue, dans ces après-midis de petites rencontres, comme on monte à l'autel.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Annie Ernaux : l'écriture, et rien d'autre

     
     
    Sur le vif - Jeudi 06.10.22 - 16.13h
     
     
     
     
    Annie Ernaux. Une femme. Un style. Une écriture. La phrase est simple, courte, indépendante. Le mot est juste, sans emphase. Il désigne, presque cliniquement. L'écriture, et rien d'autre.
     
    Annie Ernaux raconte la vie. L'héroïne des "Années", toujours désignée à la troisième personne, "Elle", lui ressemble comme deux gouttes d'eaux. Mais elle ne dit pas "Je". Elle dit "Elle". C'est le premier récit que j'ai lu d'Annie Ernaux, avant tous les autres. Dès les premières pages, la présence d'un style. C'est rare.
     
    J'invite ici à lire tous ses livres. Les Années, La Place, Une femme, L'Autre Fille, Mémoire de fille, Le Jeune Homme. Et tous les autres.
     
    C'est son histoire, et c'est la nôtre. Les années passent, il y a des naissances et des morts, des affaires de famille, des choses tues, des tabous qui remontent, une mère, une soeur aînée, une colonie un peu particulière, en 1958. Il y a l'événement qu'on dit, celui qu'on tait. Il y a ce qu'on retient et ce qui sort, ce qui s'agrippe, ce qui nous échappe. Il y a la vie des syllabes, tellement belles dans leur cistercienne simplicité.
     
    Il y a un style. Oui, c'est si rare.
     
    Rarement un Nobel fut à ce point mérité.
     
     
    Pascal Décaillet

  • La grève de trop

     
    Sur le vif - Mardi 04.10.22 - 22.32h
     
     
    La grève des fonctionnaires est une insulte de première classe, un soufflet d’esturgeons, à tous ces milliers de minuscules indépendants, à Genève, qui n’en peuvent plus de ramer pour garder la tête dehors.
     
    Une insulte à tous ceux qui triment, crachent au bassinet, n’osent jamais tomber malades, courent derrière l’ombre de leur propre vie, sans jamais la rattraper. Leurs rêves ? Pour un lambeau de ciel bleu, combien d’amertumes, de sentiment de néant, face à la vie qui va ?
     
    Cette grève laissera des cicatrices. Les classes moyennes du privé n’en peuvent plus. Un jour, elles exploseront.
     
     
    Pascal Décaillet