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Sur le vif - Page 129

  • Nous sommes des misérables, vous ne comprenez pas ?

     
    Sur le vif - Mercredi 15.03.23 - 14.25h
     
     
    Candidats en herbe, soyez vigilants et concentrés : c'est dans la dernière ligne droite de la campagne que tout se joue. Au moment où tout le monde (dont votre serviteur !) est crevé, lessivé. Les dix-huit jours qui restent seront les plus dangereux, les plus riches en pièges et attaques de toutes sortes, les plus cruels, les plus révélateurs sur la noirceur de la nature humaine (celle de vos adversaires, mais aussi la vôtre propre).
     
    C'est pendant ces dix-huit jours que beaucoup d'entre vous, épuisés, dégoutés, décideront d'arrêter la politique, s'en voudront d'avoir commis l'erreur de se lancer dans la bataille, verront à quel point tous les coups sont permis, lorsqu'il est question d'un enjeu de pouvoir. Car la vraie saloperie en ce monde, c'est celle du pouvoir. Tout pouvoir, d'où qu'il vienne. Cette noire sécrétion ne tombe pas d'une cheminée d'usine polluée, ni d'un smog londonien du temps de Dickens, non elle surgit de l'intime malédiction de chacune de nos âmes, nous tous, eux, vous, moi, tous les humains. Nous sommes des misérables, vous ne comprenez pas ?
     
    Pendant ces dix-huit jours, les candidats plus expérimentés, les briscards, les vieux grognards de la guérilla et des chausse-trappes, tiendront. Il n'y a nul reproche à leur adresser. C'est le jeu. C'est la règle. En cela, la politique est un métier. Elle exige de la passion. Mais aussi de l'opiniâtreté, de la précision, un sens inné du renseignement, un cloisonnement des informations, une capacité combattive hors du commun.
     
    Car c'est un champ de bataille. C'est cela, une campagne. Le vétéran, toujours, aura quelque avantage sur le cadet. Il revient du Front de l'Est, lui, il en a vu d'autres. Méfiez-vous de tous, surtout à l'intérieur de votre camp ! Méfiez-vous du miel dans le creux des syllabes, méfiez-vous des sourires.
     
    A tous, je souhaite une excellente fin de campagne. Dans l'extase. Et sur les rotules.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Vas-y, bon sang, vas-y !

     
    Sur le vif - Vendredi 10.03.23 - 17.42h
     
     
    Observer le réel, puis le commenter. Avancer un choix, une perspective. Le sujet, puis l'angle d'attaque, puis se fondre dans l'écriture ou - toujours mieux - la voix vive.
     
    L'objectivité n'existe pas, et n'a d'ailleurs pas lieu d'être. Celui qui prend sa plume, ou chauffe sa voix, monte au front. Personne ne l'y contraint, si ce n'est le murmure intime de cette petite voix, qui lui dit : "Vas-y, bon sang, vas-y !".
     
    J'attaque toujours un texte, alors que j'ai autre chose à faire, de plus sérieux. A l'école, je détestais lire les bouquins obligatoires pour le programme, mais seul dans ma chambre, ou en bibliothèque, je dévorais l'équivalent de vingt fois le volume du livre boudé. Des poèmes, des biographies historiques, des kilomètres d'encyclopédie.
     
    Prendre la plume, prendre la voix, chez moi, c'est toujours là où il ne faut pas. Toujours à côté. C'est une vie latérale à la vie physique, laquelle prime ?
     
    Je ne suis pas un écrivain, et détesterais l'idée de l'être. Je n'ai aucun culte de l'écriture, je lui préfère la voix, celle des cantatrices par exemple.
     
    Je suis très heureux que des écrivains existent, puisque je les lis. Mais je rejette toute mystique de l'écriture. C'est très violent, c'est en moi, j'ignore d'où ça vient. Je ne veux pas savoir. De quelle noirceur ?
     
    Je lis les poètes, depuis toujours. En français, en allemand, en grec. Je lis Pasolini en italien, en édition bilingue. Le poésie est ce qui me touche le plus, juste après la musique.
     
    A toi aussi, je dis "Vas-y !". Lance-toi ! Laisse en putréfaction l'ahurissant concept d'objectivité. Assume ton bide. Assume tes viscères. Assume ton sang. Assume ta passion pour les mots. Assume l'immensité de ta nostalgie. Tes échecs. Tes regrets. Ton inachèvement. Toute la misère de ton être profond.
     
    Assume, et attaque. Monte au front. Une fois encore.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Tout pouvoir est menteur

     
    Sur le vif - Jeudi 09.03.23 - 16.01h
     
     
    La propagande politique, ça passe par des mots. Celui qui impose son vocabulaire a déjà gagné la partie.
     
    Ainsi, "pacifier". Ce sont les Verts qui, les premiers, ont lancé ce verbe : "pacifier" le centre-ville, "pacifier" la ceinture urbaine, etc.
     
    D'abord, le poids de l'Histoire. J'ignore si les Verts la connaissent, mais moi oui, alors j'y viens. Le mot "pacifier" a été, pendant toute l'époque coloniale, un euphémisme éhonté pour couvrir une réalité, qui était le contraire même de son sens : "pacifier" l'Algérie, c'était conduire des opérations de guerre particulièrement sanglantes. "Pacifier" l’Aurès, la Kabylie, c'était traquer le FLN, dans une guérilla sans merci.
     
    Au Maroc aussi, on a "pacifié", notamment en 1925, lorsqu'on a envoyé le Maréchal Pétain, 69 ans, régler l'affaire du Rif, à la place de Lyautey. En Afrique occidentale, en Afrique équatoriale, dans le Tonkin, en Cochinchine, on a "pacifié". Pour faire passer l'opération dans l'opinion publique en Métropole, on lui balançait un euphémisme, une hallucinante édulcoration du réel.
     
    Bref, nos amis Verts auraient pu réfléchir un peu, il y a quelques années, lorsqu'ils ont lancé ce verbe. Les mots ont un poids, une Histoire, des vibrations, des résonances. On ne balance pas n'importe lequel, sans conséquences.
     
    Aujourd'hui, c'est M. Dal Busco qui utilise le verbe "pacifier". C'est un homme cultivé, il connaît l'Histoire. Lui aussi, aurait pu réfléchir un peu. N'importe quel esprit au parfum de l'Histoire récente du monde, et notamment de cet immense travestissement du sens que fut la colonisation, freine ses ardeurs avant d'utiliser certains vocables.
     
    Aujourd'hui, Dieu merci, on ne tue plus. Mais on distille la propagande, tous le font. "Pacifier", en langage Vert, ou en plagiat dalbusquien, ça veut juste dire "faire triompher nos thèses", en les couvrant sous un mot doux. "Pacifier", en 2023, ça veut dire éradiquer implacablement la voiture du centre-ville.
     
    Je ne reproche pas aux Verts d'avoir leurs thèses. Je reproche un peu plus férocement à M. Dal Busco de les avoir embrassées, avec la fougue d'un Jeudi Saint, à la tombée du soir. J'invite chacun de nous à scruter les mots. Surtout ceux qui viennent du pouvoir.
     
    Tout pouvoir, d'où qu'il vienne, est propagandiste par essence. Tout pouvoir dévoie les mots. Tout pouvoir est menteur.
     
     
    Pascal Décaillet