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Sur le vif - Page 1123

  • Le Jura : noir comme l’âme du Diable

     

    Il existe, quelque part au nord-ouest de la Suisse, une terre maternelle et sauvage, latine comme une Louve porteuse, à la fois frondeuse quand il s’agit de son statut et étrangement conservatrice sur des sujets de société (le PACS), enracinée dans sa profondeur et pourtant ouverte aux vents de l’Europe. Paisible, aussi. Et pourtant colérique comme mille volcans de lave. Cette terre, attachante comme la noirceur de l’âme du Diable, s’appelle la République et Canton du Jura.

    Oh, je ne raconterai pas ici toute l’histoire de ce canton ! La première fois de ma vie que j’ai voté, c’était en septembre 1978, pour un oui du cœur et de l’âme, sans appel et sans hésitation, au Jura. Disons qu’il y a le nord et le sud, ce qui relevait de l’évêché de Bâle et ce qui n’en relevait pas, ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas, les Béliers et les Sangliers, la langue de Faust et celle de Pascal, les chevaux des Franches-Montagnes et la vieille ville de Porrentruy, le cloître de Saint-Ursanne, les machines-outils, les décolleteuses, l’ombre de Gonzague de Reynold, quelques fragrances des Guerres de Religion : le Jura, c’est l’inconscient affectif de la Suisse romande, sa part de cicatrices et de jouissances, le refoulé de son Histoire. Trois siècles de psychanalyse n’y suffiraient pas. Au fond, seul un Valaisan peut comprendre le Jura. Ou un fou. Ou le bienheureux qui appartiendrait à l’intersection de ces deux cercles.

    N’en pouvant plus de leurs désaccords sur le chemin de leur destin, les Jurassiens du Nord et ceux du Sud ont eu l’étrange idée de confier, il y a quelques années, à une Assemblée le mandat de leur inventer un désir de vivre ensemble. Après de longues et laborieuses réflexions, cette Assemblée, dite « interjurassienne », présidée par un ancien conseiller d’Etat valaisan aux petites lunettes cerclées d’or, Serge Sierro, est arrivée à la puissante conclusion… qu’il appartenait au peuple de trancher l’avenir du Jura !

    Ah, les braves gens ! Mille ans de cogitations pour en arriver là ! Alors, quoi ? Alors, en effet, que le peuple vote ! Que les trois districts du Nord  confirment leur élan d’indépendance des années septante. Que ceux du Sud confirment Berne ou transgressent, ce sera exactement comme ils voudront, c’est leur vie, ce sont eux les acteurs, nous les spectateurs. Mais qu’ils reprennent la scène, oui : leur cause, à l’excès, s’était assoupie, ils étaient devenus des Suisses comme les autres, de petits destins dans de petites querelles. Et là, voilà qu’une Assemblée, courageuse et prophétique comme une Cassandre dans la torpeur de sa sieste, en appelle au seul acteur qui ait jamais écrit l’Histoire du Jura : le peuple.

    Car ils sont plébiscitaires, en ces contrées-là. Buveurs, peut-être, bouillants, sudistes. Mais le peuple, c’est sacré. Alors, voilà une Assemblée qui n’aura strictement rien réglé. Mais qui, au moins, aura parachevé sa sainte inopérance par l’invocation du seul démon pouvant encore nous raconter une histoire. Revoilà le Jura. Hosannah.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Elections à Neuchâtel : le temps des cerises

    Sur le vif - Dimanche 26.04.09 - 18.30h

    Fulvio Pelli, le président du parti libéral-radical suisse, est, depuis cet après-midi, un homme heureux. Avec trois membres de ce parti, sur cinq élus au Conseil d’Etat neuchâtelois, revoilà, ne serait-ce que l’espace d’un printemps, le mirage des belles années, celles où le grand vieux parti régnait en maître sur le pays. Après les années difficiles, après la mauvaise performance aux élections fédérales d’octobre 2007, le temps des cerises serait-il de retour ? Franchement, malgré l’éclat des apparences, il serait bien prématuré de l’affirmer.

    Les faits, d’abord. Aujourd'hui à Neuchâtel, la droite a reconquis la majorité au gouvernement. Il devra vive en cohabitation avec un parlement de gauche. Sont élus deux socialistes : Jean Studer (33.279 voix), ancien candidat au Conseil fédéral et véritable homme fort du canton, et Gisèle Ory (32.819), conseillère aux Etats. Puis, trois libéraux-radicaux : Frédéric Hainard (29.546), Claude Nicati (28.701), et Philippe Gnaegi (28.440). Un vrai gouvernement radical-socialiste, « radsoc », digne des très riches heures de la Troisième République française ! Une authentique composition de la belle époque, celle où l’UDC mangeait les pâquerettes et où les Verts, faute d’annoncer l’Apocalypse, n’avaient pas encore vécu leur Genèse.

    Les Verts : parlons-en ! Il doit l’être, Ueli Leuenberger, le très climatique président national du parti, conquistador en herbe du premier siège, un jour, au Conseil fédéral. Oui, il doit être, cet homme aussi aimable qu’avide d’expansion, vert de rage. Contre Fernand Cuche, conseiller d’Etat sortant de son parti, ex-icône de « la politique autrement », la politique plus douce, la politique par homéopathie, la politique à temps partiel. « La pluie est toujours bonne, vient de déclarer, non sans humour, cet homme affable et sympathique, parce qu’elle participe à la vie ». Belle prise de congé, d’un être attachant, mais qui ne parviendra pas à masquer l’ampleur d’un échec. Celui des Verts, pourtant bien placés au parlement. Mais surtout celui de l’homme. Qui déclare, désormais, vouloir retourner, au sens propre, sur ses terres.

    Au gouvernement, donc, des libéraux-radicaux, des socialistes. Punkt, Schluss. Les deux grandes forces, au fond, qui ont fait ce canton, lui ont donné ses plus grands hommes, un grand nombre de conseiller fédéraux. Comme si Neuchâtel s’en retournait à quelques fondamentaux historiques et philosophiques. A l’axe antagoniste, dialectique, qui a construit sa pensée et sa pratique politiques. Reste à voir comment ce Conseil d’Etat de droite vivra avec un parlement de gauche. A l’heure de la crise économique où des décisions fort douloureuses, hélas, ne manqueront pas d’être prises.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Arte : un Messie à lacérer les âmes

    Des hommes aux visages d’anges, des voix à lacérer les âmes, des vierges comme des filles de l’enfer, costards cravates, robes d’aujourd’hui. C’était hier soir, sur Arte. C’était le Messie, de Haendel. Vienne. Ensemble Matheus. Chœur Arnold Schoenberg. Si la télévision doit servir à quelque chose, c’est à ce genre de bonheur. Absolu.

    Le Messie, pour une fois avec une mise en scène. D’une intelligence époustouflante. Au service de l’oratorio, juste pour mettre en action ce qui doit l’être. Rien de trop, juste l’essentiel : les regards qui se croisent, un homme qui danse, une mortelle qui traduit en langage des sourds-muets l’aveuglante obscurité de la prophétie.

    Des hommes et des femmes d’aujourd’hui, devant un cercueil. Celui de qui ? Quelle peine ? Quelle douleur ? Quelle espérance ? Un Messie exhumé des entrailles de l’Histoire. Nul autre costume que celui de l’actualité. Le génie de Haendel. Et la bouleversante actualité de la souffrance des hommes. La chair incarcérée dans l’incertitude. Juste la voix pour dire la mort. L’affronter, peut-être. Mais la dire, oui. Au moins cela.

     

    Pascal Décaillet