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Sur le vif - Page 1119

  • Sous le viaduc, l’Enfer

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    A propos d'un film que j'ai vu avant-hier soir, ces quelques mots...

     

    C’est un film sur le film. Un film qui raconte un autre film inachevé, maudit, génial. Il y a un viaduc avec un train à vapeur qui siffle et qui hurle. Il y a un lac artificiel dont on sait qu’il va mourir. Il y a des techniciens qui racontent incroyablement bien les chemins de création de la pellicule. Il y a la peur et l’angoisse dans le visage de Reggiani. Et puis, il y a Romy Schneider. Rien que pour elle, il faut aller voir. Pour elle et pour Clouzot. Pour le cinéma.

    En 1964, Henri-Georges Clouzot a 57 ans. Et déjà, derrière lui, « Le Corbeau » (1943), « Quai des Orfèvres » (1947), « Le Salaire de la peur » (1953). Il veut faire un film sur la jalousie, « L’Enfer ». Dans le rôle du jaloux, Reggiani, le mari. Dans le rôle de sa femme, Romy Schneider, lumière née de la lumière, 26 ans au moment du tournage. A priori, scénario banal, vieux comme le monde. Un type de la Columbia vient visionner les essais, il est tellement séduit qu’il décrète « Crédit illimité ! ». C’est peut-être ce qui perdra le film, ce qui perdra Clouzot.

    Un malade, Henri-Georges. Perfectionniste absolu. Rien au hasard, pas un micron de pellicule. L’équipe de tournage s’installe en juillet 1964 dans le Cantal, à l’Hôtel du Lac, sous le viaduc de Garabit, où passe le train, celui qui hurle. Il y a Romy, il y a Reggiani, il y a 150 techniciens. Et puis, il y a le fou, Clouzot. L’insomniaque, qui réveille ses gens à deux heures du matin, parce qu’il a soudain une idée. Qui fait courir Reggiani jusqu’à l’expectorer. Qui change d’idée trois fois par jour. Et très vite, plus personne ne comprend où il va. Et très vite, commence l’Enfer. Celui du tournage. Les comédiens deviennent fous, les techniciens aussi. Reggiani et Clouzot se haïssent. Reggiani finira par claquer la porte, « rien à foutre du procès » pour contrat cassé, Henri-Georges fera une crise cardiaque quelques jours après, jamais le film ne paraîtra.

    Alors, quoi ? On voit quoi dans le documentaire « L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot », de Serge Bromberg, qui vient de sortir ? D’abord, on voit Romy, ressuscitée des rushes, belle à en crever, elle bouffe l’écran. Elle fait du ski nautique sur le lac artificiel, se pavane sur la terrasse de l’Hôtel du Lac, se laisse approcher par un bellâtre qui torréfie Reggiani de jalousie. Les scènes de l’histoire, en noir blanc. Celles de fantasmes du jaloux, en couleurs. Effets spéciaux qui coûtent des fortunes : l’Américain a été clair : « Crédit illimité ». Alors, Clouzot, au demeurant l’un des plus puissants génies du cinéma, en profite pour se livrer à un peu de recherche. La Nouvelle Vague est dans l’air. Lui, Clouzot, s’en fout. Il ne crée pas sous étiquette. Il fait du Clouzot.

    Le film de Bromberg, donc, montre le film de Clouzot. Enfin ce qui en reste, quelques chutes. Sublimes. Et puis, il nous raconte l’histoire du chantier. Avec d’exceptionnels techniciens qui ont survécu, comme l’assistant opérateur William Lubtanchsky. Ou le grand cinéaste franco-grec Constantin Costa-Gavras, qui nous replonge dans l’effervescence de ce cinéma français des années soixante, première partie. Et cette partie documentaire, où des professionnels (enfin !) parlent de leur art, est la plus saisissante du film.

    Un film sur la jalousie. Sur l’angoisse de création. Sur la tyrannie du créateur. Très accessoirement, la machine à folie dans le cerveau de Serge. Comme si le corps même de l’histoire s’évaporait pour laisser place à l’histoire de l’histoire, celle qui tourne en boucle, jamais ne s’arrête. Cela porte un nom, en effet : cela s’appelle l’Enfer.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Ils étaient grands, ils sont vieux, ils sont partis


    Dans l’histoire des libéraux-radicaux suisses, ce lundi de solstice restera comme un grand moment de nuit et de silence, au milieu de ceux qui se disent de parole et de Lumières. Existent-ils encore, les radicaux ? Ceux de ma jeunesse, les Delamuraz, les Segond, les Petitpierre, les Comby, les Thierry Béguin, les Schoch, les Rhinow, les Fritz Schiesser ? Ces hommes, ces femmes qui, tout en défendant la vitalité de l’économie, incarnaient une certaine idée de l’Etat, une certaine majesté de la fonction publique, qui consistait non à se servir, mais à servir.

    Hier, la presse alémanique a dévoilé un projet, en matière de santé, dont j’ai dit l’hygiénisme, limite eugénisme, dans mon précédent texte. Aujourd’hui, nous avons tenté de les appeler, ces libéraux-radicaux partis à la chasse aux gros. A part Christian Lüscher, qui, lui, assume, nous voici devant l’armée des ombres. Les murs, on les rase. Les lèvres, on les maintient bien serrées. Manifestement, on enrage que ce projet soit sorti sur la place publique, on s’étouffe, on piafferait d’exprimer son désaccord, mais non. Motus.

    Il est fort, Pelli, tout de même, pour imposer le silence, aligné couvert, à un parti dont le nom lui-même, si beau (Freisinn), appelle pourtant à la liberté de l’esprit, celle de la conscience, de l’arbitre intérieur, ce que les Lumières ont produit de plus fort. Du coup, l’univers radical, si prompt depuis 160 ans à railler les fidélités ecclésiales, apparaîtrait presque, lui, comme une forme de cléricature. A matrice froide.  Avec un chef, qui dit la grand-messe. Une parole déjà écrite, qu’il ne resterait qu’à lire. Et l’armée des intermédiaires, qui nous aiment et qui veillent.

    Mais veiller, en cette période de l’année où les nuits sont si longues, n’est-ce pas le propre de ceux qui cherchent à nous sauver ? Grâce leur en soit rendue. A cela près qu’en intercédant pour notre salut, ils oublient leur propre perte. Vivement que les jours rallongent. Et qu’on y voie plus clair.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Micheline Calmy-Rey et la Sainte Messe de l’humour

     

    Dans l’émission « Le Grand Oral » à paraître demain soir, Micheline Calmy-Rey confirme définitivement détester le monde de l’humour et des humoristes. Elle se dit blessée par la caricature, déteste sa marionnette, ne trouve absolument pas drôle qu’on tourne en dérision les politiques, qui font tant pour la Cité. Voilà qui est dit. Voilà qui est clair.

    Voilà surtout qui ne manque pas de franchise. Ni de courage. A reconnaître aussi crûment sa propre susceptibilité, on risque évidemment de s’en prendre doublement plein la poire dès les gazettes du lendemain. C’est le jeu.

    Au fond, il y a trois catégories : les gens comme elle, rarissimes ; quelques autres, presque aussi rares, qui ont vraiment le coffre d’encaisser, je les tiens pour ma part pour des saints, issus de quelque limbe ; le défilé, entre ces deux extrêmes, de tous ceux qui sont blessés, mais préfèrent rire jaunes, parce que l’humoriste, un peu comme le prêtre, c’est sacré. Ils ont appris ça, dans des cours de communication, faire le dos rond. Rester souriants, cools, surtout ne pas craquer : ce serait dévastateur pour l’image.

    Micheline Calmy-Rey, très simplement, reconnaît ne pas être une femme d’humour. Elle ne triche pas, ne tente pas de donner le change. Elle casse ce tabou par lequel il faudrait être en génuflexion devant l’intouchable officiant de la sacralité humoristique.

    Au fond, c’est elle qui transgresse. Mais il ne faut pas le dire trop fort. Ca manquerait d’humour.

     

     

    Pascal Décaillet