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Sur le vif - Page 1122

  • La Suisse n’avait pas à présenter d’excuses

    Jeudi 20.08.09 - 20.15h

    Des excuses, des excuses, des excuses. Il n’y a plus que cela : des excuses.

    Aujourd’hui, Monsieur, en Suisse, on ne fait plus de politique : on saigne ses genoux sur le chemin rugueux de Fatima, celui de la rédemption par la repentance, brûlante, sous la canicule.

    Que la police genevoise ait interpellé de façon trop musclée, quant à la forme, le fils Kadhafi, c’est probable. Qu’il y ait eu disproportion, soit. Mais enfin, il y a surtout eu maltraitance de domestique, c’est cela qui est inadmissible, cela que la loi suisse – la seule qui vaille en nos frontières – condamne. En Suisse, il n’y a ni gueux, ni fils de prince : il y a l’égalité de tout humain, quel qu’il soit, devant la loi. À cet égard, les autorités genevoises n’ont pas eu tort, sur le fond, d’interpeller Hannibal Kadhafi, comme elles l’auraient fait pour n’importe quel autre justiciable.

    Au final de cette lamentable affaire, voici donc le chef de l’Etat suisse en situation de Canossa devant ce très grand défenseur des droits de l’homme qui, depuis juste quarante ans, avec la sagacité qu’on sait, préside aux destinées de la Libye. La Suisse, vieille démocratie, d’au moins 161 ans, modèle à bien des égards, pieds nus et en chemise devant le maître de Tripoli. L’image, pour l’opinion publique de notre pays, pour le principe d’égalité devant la loi, est tout simplement insupportable.

    Non, Monsieur Merz, la Suisse n’avait pas à présenter d’excuses.


    Pascal Décaillet





  • Christian Grobet, le démon politique dans les viscères

    Lundi 10.08.09 - 06.10h

    C’est fait. La Tribune de Genève nous le confirme ce matin, sous la plume de mon confrère Jérôme Faas : Christian Grobet est candidat au Grand Conseil. Ce qui était patent, dès ce printemps, pour qui sait lire un peu la politique entre les lignes, est donc réalité. Grobet est candidat, et c’est une excellente nouvelle. Car cet homme incroyable, conseiller municipal dès 1967, député dès 1969, conseiller national, douze ans conseiller d’Etat, puis reparti de zéro après sa chute, est habité, jusqu’aux tréfonds de l’âme, par ce qui manque à tant de politiques : la fureur d’un démon intérieur. Se battre, encore se battre, jusqu’au bout, et peu importent les quolibets, et peu importent les coups : cette dimension, qu’on aime ou non Christian Grobet, qu’on partage ou non ses options, force l’admiration.

    L’admiration, oui. Pourquoi ? Mais parbleu, tout simplement par le contraste qu’elle offre avec le petit jeu d’ambitions camouflées, de reports d’aveux, de semi-signaux et de semi confidences, des plus hauts politiques suisses en cet été de succession de Pascal Couchepin. « Je veux peut-être, pour l’heure je ne veux pas, je ne sais si je veux, j’aimerais vouloir, je voudrais aimer, je me tâte, tu te tâtes, nous nous tâtons, il faut voir avec la commission électorale, laissez-moi encore réfléchir », enfin toute cette somme de faux-fuyants, face à laquelle voici l’irruption d’un homme : Christian Grobet.

    Un homme. Qui n’a jamais caché ni ses désirs ni ses ambitions. Il y a des élections ? Il s’y présente ! Cela serait interdit ? Il crée des listes, juste pour lui ? Et alors ? Les élections sont faites de listes, les électeurs jugent. Et qu’on ne vienne surtout pas nous avancer l’argument, haïssable, de l’âge : Christian Grobet est dans une forme olympienne.

    Surtout, voilà une candidature qui sonne (eh oui, déjà) la fin de la pause d’été à Genève, et le réveil de la campagne. Si la gauche de la gauche ne se dilue pas dans ses éternelles divisions, elle peut représenter une donne importante de ces élections cantonales. En son sein, voilà en tout cas une locomotive. À cela s’ajoute, sur cette nouvelle liste, la présence de Salika Wenger, une politicienne aux idées claires et qui sait porter haut le verbe politique. Un véritable tempérament, aussi.

    La politique n’est pas faite que d’idées, mais d’hommes et de femmes, qui les incarnent. Des parcours humains, avec leurs chutes, leurs accidents, leurs cicatrices. La richesse d’un vécu. Les vibrations d’une mémoire. L’éternité, comme dans les mythes, de certains retours. La réinvention de la vie, et peut-être aussi celle de la jeunesse. Par l’intensité du désir. C’est cela qu’incarne Christian Grobet, l’homme aux cent mille ennemis.

    Mais quoi de plus beau, en politique, qu’un ennemi ?

    Pascal Décaillet

  • 1er août ou 12 septembre ?

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    « Le 22 septembre, aujourd’hui, j’en fous » - Georges Brassens

    Interrogé par mes confrères du Matin sur son rapport au 1er août, Fulvio Pelli a laissé entendre que la vraie fête nationale suisse devrait être le 12 septembre. C’est ce jour-là, en 1848, qu’avait été adoptée la première Constitution fédérale suisse. Bref, la naissance de la Suisse moderne.

    Sur le fond, Fulvio Pelli a raison. Il s’est passé, entre la Révolution helvétique de 1798 et la grande année 1848, celle de toutes les Révolutions en Europe, quelque chose d’incroyablement fort dans l’Histoire de notre pays. Découverte des grands principes de la Révolution française, conquête de la liberté du commerce et de l’industrie, liberté de penser et d’éditorialiser, liberté de la presse, affranchissement de la caste des patriciens, Révolution industrielle, oui une certaine Suisse, celle d’aujourd’hui, est née dans le maelström de ces années-là.

    Ayant travaillé toute une année, en 1998, sur les 150 ans de l’Etat fédéral, fouillé toutes les Histoires cantonales de cette période, réalisé des émissions spéciales dans la plupart des cantons suisses, j’ai pu mesurer, avec mes collègues, le legs inestimable du dix-neuvième siècle sur nos consciences, nos systèmes juridiques, notre rapport à l’Etat. Cette grande année de séries historiques, à la RSR, s’était justement achevée, le 12 septembre 1998, par une émission spéciale de plusieurs heures, en direct de la Place fédérale, où nous avions interviewé en direct tous les conseillers fédéraux, en fonction ou anciens, encore vivants.

    Plus fondamentalement, grâce à une exceptionnelle collaboration des historiens cantonaux, notamment en Suisse romande, nous avions aidé nos auditeurs à découvrir la férocité des combats de ces temps-là, malheureusement encore si discrets dans les manuels scolaires. Naissance et essor de la pensée libérale-radicale, contre-courant catholique-conservateur, combats acharnés entre ces deux visions, dans des cantons comme le Valais, vivacité de la presse d’opinion, importance du facteur confessionnel, rôle capital du développement économique, et tant d’autres choses. À titre historique et cérébral, Fulvio Pelli a décidément raison : le 12 septembre, oui, devrait être notre fête nationale.

    Le problème, et qui est d’ailleurs celui de Fulvio Pelli, de sa personne, de son rapport au verbe et à l’émotion, de son hypertrophie cérébrale au détriment de l’instinct, c’est que le 12 septembre ne dit strictement rien à personne ! On peut s’en plaindre, regretter que le travail de prise de conscience historiographique ne soit pas mieux entrepris dans les écoles, mais enfin c’est ainsi : le 12 septembre, à part Fulvio Pelli, Olivier Meuwly, les frères Bender et votre serviteur, c’est un peu comme dans un refrain de Brassens : tout le monde s’en fout.

    Alors que le 1er août, date infiniment plus fumeuse, tissu d’événements recréés par une mythologie au fond assez récente (lire Anne-marie Thiesse – « La création des identités nationales », Seuil, 1999), beaucoup de Suisses adorent. Cette fête du feu et de la nuit, archaïque et primitive, pleine de chaleur et de lumière, amicale, simple et fraternelle, a su toucher le cœur de nos compatriotes. Qui serions-nous pour le leur reprocher ? Le 1er août, c’est la fête, au fond, que le peuple suisse, de partout, a voulue, plébiscitée, celle qui lui parle et lui convient. Elle donne l’impression de « venir d’en bas », sans cesse recréée, spontanément, et non d’être imposée par les autorités. C’est sa force, sa très grande force.

    Et c’est là, symboliquement, au détour d’une petite allusion à mes confrères du Matin, que viennent saillir, en même temps que ses qualités, les limites de Fulvio Pelli. Le 12 septembre, au fond, ce serait la fête des radicaux, les triomphateurs de 1848, la fête des Lumières, de la Raison, de la Jeune Suisse contre la Vieille Suisse, de la pensée articulée, soupesée, le logos, face à la tellurique obscurité des mythes.

    Le problème, c’est que les mythes ont la vie dure. Et les feux dans la nuit, année après année, de partout, rejaillissent. Et la puissance de ces signaux, à défaut de précision de leur message exact, en impose. Oh, les raisonnables pourront hausser leurs épaules tant qu’ils voudront, parler d’archaïsme, de primitivisme, de fauvisme nocturne, ils n’y pourront rien changer. C’est qu’à tant lire Montesquieu (et Dieu sait s’il faut le lire), ils ont omis d’ouvrir, ne serait-ce qu’une fois, « La Colline inspirée » de Barrès, et quelques autres livres sur l’irrationnel du sentiment de communauté nationale. Ce petit quelque chose qui vient d’en bas, s’adresse au cœur plutôt qu’à l’esprit, vous tient un peu – ou beaucoup – quelque part.

    Que vous soyez cérébral ou instinctif, Suisse ou étranger, avec ou sans papiers, avec ou sans reconnaissance de ceux qui vous entourent, partisan du 1er août ou du 12 septembre, sensible ou non aux feux follets, partisans de la Jeune Suisse ou de l’Ancien Régime, je vous souhaite à tous une belle fête nationale.

    Je dédie ces quelques réflexions à tous mes amis de la commune d’Evionnaz (VS), qui m’avait proposé le discours du 1er août, ce que j’ai dû décliner pour cause de déplacement à Munich. Où, rassurez-vous, je ne signerai aucun Accord.


    Pascal Décaillet