Sur le vif - Lundi 26.04.10 - 11.15h
Le 2 avril, à Nantes, une femme a été verbalisée pour avoir porté, au volant, un niqab (masque couvrant le visage, sauf les yeux, porté dans certains pays musulmans). Dont acte. Il y a sans doute un article du Code de la route qui exige un minimum de vision latérale quand on conduit. En soi, l’affaire est totalement mineure, et ne présente d’intérêt que pour l’étude du champ ophtalmologique en Loire-Atlantique.
C’était compter sans Brice Hortefeux. Ministre de l’Intérieur, obsédé par l’idée des récupérer les thèmes sécuritaires – et surtout identitaires – du Front national, ce proche de Nicolas Sarkozy est en train d’instrumentaliser allégrement cette infraction routière pour réécrire l’histoire de Charles Martel et de Poitiers.
Il est vrai qu’en creusant un peu le pédigrée de l’infortunée conductrice, les choses ne s’arrangent pas : elle serait l’une des épouses d’un polygame, appartenant à une mouvance radicale, et fraudant l’aide sociale. Toutes choses devant à coup sûr être sanctionnées. Il existe, pour cela, des lois. Nul n’en disconvient.
Mais l’aubaine était trop belle. Dans une lettre aux autorités, et aussitôt remise à la presse, donc adressée en fait à l’opinion publique, le ministre écrit ceci : « Je vous serais très reconnaissant, en outre, de bien vouloir faire étudier les conditions dans lesquelles, si les faits étaient confirmés, l’intéressé pourrait être déchu de la nationalité française ».
Déchoir un Français de sa nationalité. Oh, je sais, plein de lecteurs trouveront cela très bien, un excellent exemple. Mais savent-ils seulement quels démons historiques la seule évocation de cette mesure vient convoquer ? Ont-ils entendu parler de Vichy ? Des lois d’octobre 1940 ? Je ne doute pas que le polygame fraudeur soit un individu peu recommandable, mais la construction, en l’espèce, d’un bouc émissaire pour faire passer le principe d’une mesure scélérate, est trop évidente pour ne pas être relevée.
Entre un ministre de l’Intérieur qui serait sans doute mieux dans ses bottes au Front national et un président de la République à bout de souffle, on se dit que notre grand voisin et ami, ce pays qui nous a tant nourris par son Histoire et ses étincelles de Lumières, mériterait mieux. Qui, quoi, je n’en sais rien. Mais mieux, à coup sûr. Parce que 2012, c’est encore très loin.
Pascal Décaillet