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Commentaires GHI - Page 85

  • Ils sont artistes ? Et alors !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 20.04.22

     

    Vous aimez les spécialités parisiennes ? Il en est une qui devrait vous ravir : les pétitions « d’artistes », ou « d’intellectuels », à quelques jours d’une élection. On se donne quelques coups de téléphone, entre privilégiés du gratin, on tartine un manifeste, on le fait signer par une liste de stars, on y dénonce la bête immonde, le retour au fascisme, le syndrome des années trente, et il y a toujours un moment, dans le texte, où apparaît la formule « Plus jamais ça ! ». Ainsi, nos élites Rive Gauche auront fait leur boulot, elles pourront aller siroter leur drink sur une terrasse de Saint-Germain-des-Prés, en se prenant pour Sartre ou pour Beauvoir, ou pour Juliette, ou pour Camus : le sentiment du devoir accompli. Elle est dure, la vie d’intellectuel : on le mérite, son capuccino sur la table ronde du Flore, avec Le Monde et le Canard entre la saccharine et l’amaretto.

     

    Ils nous ont fait le coup en 1988, deuxième tour. Réélection de François Mitterrand, pour sept ans. La bête immonde s’appelait Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation sortant. Ce républicain pure souche, pétri des grandes valeurs qui ont fait la France, une sorte de rad-soc des Troisième et Quatrième Républiques, ils ont réussi à nous le décrire comme une antichambre du fascisme en France. Ils étaient tous là, les « artistes », les « intellos », concerts à la bougie, chœurs effarouchés, « Tonton, laisse pas béton », pour ériger François Mitterrand en saint, voire en « Dieu », et nous diaboliser Chirac. Dieu fut réélu, le Corrézien dut attendre sept ans.

     

    Ils nous ont refait le coup, puissance mille, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est permis l’outrecuidance de se hisser au second tour, en 2002, à la place de Jospin, lamentable troisième. J’entends encore l’un d’entre eux, fort bon acteur au demeurant, prendre un air de gravité monastique, et oser nous sortir « Dès ce jour, nous entrons en résistance ». Le ridicule ne tue pas. Tant mieux pour l’acteur : il est toujours parmi nous. Et cette fois, c’était Chirac en face : le méchant de 1988 était devenu le sauveur de 2002. Et la vie, à Saint-Germain, continuait, tranquille, comme le cours de la Seine, immuable depuis Victor Hugo, Esmeralda et Quasimodo.

     

    Je vous passe 2017, Macron-Marine no 1, glissons à 2022, Macron-Marine no 2. Et ils sont toujours là, nos artistes, nos intellos ! Pétitions, dans les journaux branchés. Grandes leçons, sur l’avènement des régimes autoritaires. Les fronts, plissés. Les airs, emplis de gravité. L’index, érigé vers le ciel. Ils n’ont sans doute pas lu, pour l’écrasante majorité d’entre eux, ni Thomas Mann, ni son frère Heinrich, ni Klaus. Ils n’ont jamais étudié la République de Weimar, encore moins l’Italie de 1922. Mais pour la leçon de morale, ils sont toujours là. Ils ont compris, mieux que le peuple français, la douceur du Bien contre l’acidité du Mal. Ils sont prêts à monter sur l’autel. Non pour jouer, ni pour chanter. Mais pour prêcher.

     

    Pascal Décaillet

  • Non, l'Otan n'est pas un club de gentils !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 13.04.22

     

    Le PLR serait-il devenu le parti de l’étranger ? Son président national, Thierry Burkart, appelle clairement, dans le Tages-Anzeiger du vendredi 8 avril, à un rapprochement de la Suisse avec l’Otan. Il ne dit pas « adhésion », certes, mais enfin, au nom de la Realpolitik, et d’un diagnostic sur la modestie et la fragilité de nos systèmes de défense, il estime que la Suisse doit collaborer avec cette organisation, entraînements communs par exemple, ou achats d’avions de combat américains. C’est au moins clair. Dès le lendemain, samedi 9 avril, l’UDC suisse, réunie en Assemblée, lui répondait par un non cinglant, rappelant que la neutralité du notre pays n’était pas négociable. L’UDC lui a répondu cela, et ma foi, elle a eu raison.

     

    Bien sûr que la Suisse est fragile. C’est justement pour cela qu’il ne fallait en aucun cas, ces dernières décennies, sous prétexte de fin de l’Histoire et de mirages de paix éternelle sur le continent européen, relâcher nos efforts de défense. Un pays qui renonce à assumer lui-même le prix de sa souveraineté (militaire, agricole, alimentaire, industrielle, énergétique, numérique, etc.), est un pays déjà mort, comme nation indépendante. Il ne lui reste que la soumission, ou l’intégration à un grand ensemble. Aucune de ces deux options ne correspond à l’Histoire, ni aux intérêts supérieurs de notre pays. Soumis, personne ne veut l’être, évidemment. Devenir membre d’un Empire, c’est la fin de la Suisse. Il nous faut donc nous défendre nous-mêmes, c’est la seule solution.

     

    Il nous faut surtout, très gentiment, expliquer à M. Burkart, au demeurant le meilleur des hommes, que l’Otan, ça n’est pas un club de gentils. Cela, c’est l’image qu’ils veulent donner, face à l’Empire du Mal (un jour la Serbie, vingt ans plus tard la Russie). Non, M. Burkart : l’Otan, c’est l’organisation militaire à la botte des Etats-Unis d’Amérique. Le vrai patron de l’Otan, c’est M. Biden, le reste c’est du bidon. C’est une organisation hégémonique, au service de l’impérialisme américain. Depuis la chute du Mur, et contrairement à la promesse faite aux Russes, le club des affidés de Washington ne cesse d’étendre ses griffes vers l’Est de l’Europe. Le Pacte de Varsovie s’est dissous, l’Otan continue, plus que jamais. C’est son jeu. C’est le jeu des Etats-Unis. Il nous faut au moins le savoir, et ne pas prendre tout ce petit monde atlantiste pour de gentils protecteurs du « monde libre », détestable expression qui fleure le maccarthysme, et légitime depuis trois quarts de siècle les appétits d’expansion des Américains.

     

    Nous, Suisses, ne changerons pas l’Otan. Ni la politique américaine. Nous sommes bien trop petits pour cela. Mais au moins, ayons la sagesse de demeurer à l’écart de tout Empire, toute tutelle supranationale. Et celle de garder la main sur nos systèmes de sécurité. La garder, ou la reprendre : les trois dernières décennies nous ont plutôt habitués à la niaiserie du pacifisme. Notre survie, comme nation souveraine, exige le sursaut.

     

    Pascal Décaillet

  • Socialistes, génération Minitel

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 06.04.22

     

    Les plus jeunes, parmi ceux qui me font l’amitié de lire cette chronique, ne connaissent sans doute pas le Minitel. Pour faire court, disons que c’est une invention un peu hybride, dans la France des années 80, entre un téléphone et un écran d’ordinateur, laideur verdâtre, génération préhistorique, vous en trouverez sans doute dans les musées d’Histoire de l’informatique. Aujourd’hui, ça paraît complètement ringard, mais à l’époque, premières années du règne de François Mitterrand, c’était un truc ravageur, révolutionnaire. On se l’arrachait, pour des fonctions aussi existentielles que réserver une table, au restaurant, en tapotant sur un clavier, plutôt qu’en appelant le bistrot. On pensait le Minitel éternel, et puis non, les ordinateurs ont évolué, il est très vite devenu le symbole de la mode qui se démode, la jeunesse qui vieillit.

     

    En écoutant Mme Hidalgo, candidate officielle des socialistes français, le parti de Jaurès, le parti de Mitterrand, le parti de Pierre Mauroy dans la grande tradition du Nord, des mines et de Zola, il m’arrive toujours de penser au Minitel. Intrinsèquement et sans ironie, je la trouve plutôt bien, la Maire de Paris. De la classe. De l’élégance. Des convictions. Une certaine rhétorique. Le problème, c’est le fond de ce qu’elle avance. Son discours est taillé dans le marbre des années 80 et 90. Les années Jospin. Un socialisme justicier, moralisateur, persuadé d’incarner la noirceur des colères ouvrières, mais complètement à côté de la plaque, tant il est devenu bobo, déconnecté. En un mot, le socialisme qui n’a pas vu venir ce dimanche d’avril 2002, où Jean-Marie Le Pen a ravi à Lionel Jospin la place au deuxième tour.

     

    A Genève, en Suisse, en France, le socialisme est infesté par le syndrome du Minitel. Les logiciels de pensée sont dépassés, depuis longtemps. Mais on s’y agrippe, comme à une bouée de sauvetage. C’est le cas de Mme Hidalgo. C’est le cas de toute une génération caviar de socialistes genevois, allaités aux mamelles du pouvoir partagé. Les postes. Les prébendes. Les Conseils d’administration des grandes régies. Les réceptions internationales de la Ville de Genève, droits de l’homme, canapés, flûtes de champagne, on est si bien entre soi. On milite dans une organisation onusienne, on a pour soi la rectitude morale, la justice éternelle. Les ouvriers votent maintenant pour la droite patriotique et populaire, on regarde ça de haut, avec mépris. On hausse les épaules, on enfourche son vélo, on court à la réception suivante, en anglais si possible, on condamne ces « relents populistes », on se dit que ça passera, tout rentrera dans l’ordre. Comme avant. Comme du temps de François, à l’Elysée, de Manuel à la Mairie de Genève. Ce temps des camarades qui réchauffaient les cœurs : on avait avec soi les élans de justice, l’ardeur des électeurs, les parfums de la rose, l’éternité du bien. La nuit, juste un mauvais rêve, de temps en temps, toujours le même : on est invité à l’Elysée, esturgeons et tapis rouge. Juste un détail, un peu pénible : souriante, avenante, c’est Marine qui nous y accueille.

     

    Pascal Décaillet