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Commentaires GHI - Page 85

  • La dérive autoritaire du Conseil d'Etat

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 16.03.22

     

    La fin de règne la plus pesante de l’Histoire politique genevoise. Et il reste plus de quatorze mois ! Jamais une équipe n’aura, à ce point, donné l’impression d’être à bout de souffle, toucher le fond, multiplier les impairs. Le DIP est dévasté par les affaires, il n’a plus ni pilote, ni cohérence. L’Aéroport de Genève est décapité de sa Présidente, par le seul fait du Prince. Les conférences de presse sont des monceaux de théâtralité ratée. Telle ministre s’enferme dans le déni. Tel autre s’engonce dans l’arrogance. Ils parlent, mais le message ne passe plus. On leur parle, ils n’entendent pas. Il n’y a plus ni dialogue, ni échange : il n’y a plus qu’une désespérante juxtaposition de sept voix. Nous sommes au bout de l’exercice, au bout du rouleau.

     

    Dans n’importe quel autre système, ce gouvernement aurait, en bloc, été démis, à la faveur d’une autre équipe, reposée, innovante, enthousiaste. Mais à Genève, on laisse faire : les élections approchent (printemps 2023), les partis veulent s’y préparer avec temps et méthode, ils savent que la situation est pourrie, mais ne feront rien. C’est trop tard, dans la législature, pour s’offrir une crise politique. Trop tard, pour une élection complémentaire, d’autant qu’on a déjà donné ! Alors, on laisse faire. On laisse couler. On laisse pisser. Quatorze mois sacrifiés, alors que les enjeux, autour de nous, sont immenses. Guerre en Ukraine, afflux possible de réfugiés, pénurie énergétique, flambée du prix de l’essence, érosion du pouvoir d’achat, architecture de notre sécurité nationale à réinventer.

     

    Comment certains conseillers d’Etat ont-ils pu en arriver là ? Entre la conférence de presse totalement ratée de Mme Emery-Torracinta sur le Foyer de Mancy, et les réponses ubuesques données par M. Dal Busco, une semaine plus tard, sur l’éviction de la Présidente de l’Aéroport, on se dit, face à cet étranglement du sens, que quelque chose de fondamental ne joue pas. Comme déjà écrit précédemment, ici même, les qualités individuelles des ministres ne sont pas en cause : ni leur intelligence, ni leur souci du bien public. Mais il y a comme un os, une arête dans la gorge, une impossibilité à se reprendre. Nul chef, face au public, ne peut se permettre cela. L’effet est dévastateur. Y compris sur leurs collègues, qui, eux, fonctionnent.

     

    Et puis, il y a la dérive autoritaire. Flagrante chez M. Dal Busco, dans sa gestion de l’affaire de l’Aéroport. Triste et gênante, chez la cheffe du DIP, quand elle se contorsionne sur Mancy. Et puis, d’autres faits du Prince, encore, comme ces magistrats qui contournent le refus du budget 2022 en venant constamment faire l’aumône, pour des « crédits complémentaires », auprès de la trop complaisante Commission des finances. A cet égard, rappelons à certains députés qu’ils sont là pour contrôler l’action du gouvernement, et non pour exécuter les ordres du magistrat de leur parti. Lorsque ce type de député vient d’un mouvement naguère protestataire, on se dit que le Parlement a tout à regagner, pour s’affirmer comme le premier pouvoir, et non une joyeuse équipe de godillots. A tous, excellente semaine !

     

    Pascal Décaillet

  • Thucydide, vous connaissez ?

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 02.03.22

     

    Face à une guerre, nous devons utiliser notre cerveau. Et tenter de comprendre. C’est le registre dans lequel je vous invite ici, celui qui a toujours été le mien, notamment dans le décryptage des guerres balkaniques, pendant toute la décennie 1990-2000. Cela n’empêche ni la compassion, ni l’action humanitaire. Mais avant tout, puisque nous nous targuons d’éclairer les phénomènes politiques, nous devons nous forger des clefs de compréhension. Et cet exercice-là se fait avec la tête froide, les outils de l’analyse, la connaissance historique, la prise en compte de tous les points de vue, la volonté de restituer les chaînes de causes et de conséquences.

     

    Tenez, je vous invite à une lecture. Pas facile. Austère, même. Mais totalement passionnante. Tentez de lire la Guerre du Péloponnèse, de l’historien athénien Thucydide (5ème siècle avant JC). C’est un livre difficile à lire, parce qu’il ne fait strictement aucune concession au plaisir du lecteur. Il se refuse à raconter des histoires, des anecdotes. Il restitue le conflit complexe entre les Cités grecques partisanes de Sparte, et celles d’Athènes. De façon sèche, cérébrale, il démonte les mécanismes.

     

    Dès l’âge de 18 ans, ce que j’ai retenu de cette lecture, ce ne sont pas tant les événements eux-mêmes que le génie de la méthode. Thucydide nous dit, pour faire court : « Voilà ce qui s’est passé. Voilà les causes apparentes. Et voilà les causes réelles ». Et cet homme, il y a vingt-cinq siècles, va chercher dans les besoins économiques des Cités les vraies raisons de leur participation à telle ou telle bataille. C’est Marx, deux millénaires et demi avant l’heure. C’est impitoyablement intelligent. C’est glacial de constat. C’est quelque chose de très fort. C’est un diagnostic cynique de la nature humaine, hyperréaliste. Chez Thucydide, il n’y a ni bons, ni méchants : il y a juste des intérêts en jeu, et la noirceur du pouvoir en toile de fond.

     

    Face à toute guerre, inspirons-nous de Thucydide. Avant de juger, tentons de comprendre. Pour cela, il faut étudier l’Histoire. Et cette étude ne peut en aucun cas se faire en quelques jours, ni quelques semaines, ni quelques mois. C’est le travail d’une vie. Car l’approche historique exige un long cheminement dans la complexité. Il faut s’imbiber de toutes les perspectives, à commencer par celles qui sont antagonistes. Nul ne comprendra jamais rien, par exemple, aux 132 ans de présence française en Algérie (1830-1962), sans avoir étudié en profondeur le point de vue des colons, celui des colonisés, celui des Européens, celui des Arabes, celui des Juifs, celui des Berbères, ceux des différentes factions de la résistance à la France, qui forgeront un jour le FLN. Pour cela, il faut lire, lire, et lire encore. Et plus vous lirez, mieux se révélera, dans votre cerveau, la photographie du réel, dans toute sa complexité. Et plus vous lirez, moins vous verrez les bons, ou les méchants. Et plus vous vous direz : « C’est la polyphonie de tous qui est chemin de vérité ».

     

    Pascal Décaillet

  • Mon amoureux

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 23.02.22

     

    Non seulement la gauche a déserté le peuple, mais le peuple ne veut plus de la gauche. Au fond, comme dans la sublime chanson de Brassens, la gauche et le peuple ne sont plus d’accord que sur un point : la rupture. Il se sont connus, jadis, du temps de Zola et de la Révolution industrielle, du temps de Jaurès, ils se sont tant aimés, mais aujourd’hui c’est du passé. Le temps des passions est révolu.

    Le plus fou, c’est que la gauche, dans son discours, donne l’impression d’y croire encore. Elle prétend parler au nom des classes populaires ! Les connaît-elle, seulement ? Se rend-elle compte, un peu au moins, de l’émigration de ces dernières vers d’autre rivages ? Tente-t-elle, un minimum, de saisir les causes de ce grand transfert ? Ou croit-elle sincèrement que l’ouvrier suisse, le chômeur suisse, le travailleur pauvre suisse, le retraité précaire suisse, votent encore pour elle ?

    En réalité, tant d’âmes de gauche vivent dans le déni. Elles veulent croire, encore un peu, à la grande mythologie de la fraternité industrielle, à la fusion des cœurs, à l’ardeur des adhésions. « Encore un peu », comme dans une autre chanson de légende, celle de Piaf : « Mon amoureux ».

    La gauche est une chanteuse perdue, sur le bord de la scène. Aveuglée par les spots, elle se dit que le public est encore là, à l’ovationner. Comme Piaf, toujours elle, la gauche ne regrette rien. Elle n’a commis nulle erreur. Le peuple est parti, mais c’est lui qui a eu tort. Il ne l’a pas comprise. Salaud de peuple.

     

    Pascal Décaillet