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Commentaires GHI - Page 77

  • La prospérité oui, la surchauffe non !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.09.22

     

    Des poussins, derrière la vitre d’une couveuse, qui naissaient en direct, perçant l’œuf de leur bec, sous l’œil émerveillé des dizaines de milliers de passants. J’étais l’un d’entre eux, j’avais six ans. C’était en 1964, l’Expo Nationale de Lausanne. Par deux fois, avec ma famille, nous avions, de Genève, emprunté la toute nouvelle autoroute pour aller nous plonger dans cette Suisse de la croissance, sur les bords du lac, à Vidy. Par deux fois, j’avais adoré. Mon père était ingénieur, partisan du développement des sciences et des techniques. C’était une époque folle : moins de vingt ans après la guerre, la Suisse était prospère, les bébés n’en pouvaient plus de naître, les poussins de l’Expo en étaient évidemment l’allégorie. A six ans, je ne connaissais ni le mot croissance, ni le baby-boom, je n’avais aucune idée de la manière dont j’étais moi-même venu au monde, mais je contemplais l’éclosion des poussins, j’étais émerveillé. C’est mon souvenir le plus fascinant de cette Expo, celui qui a marqué ma conscience.

     

    Tout cela, pour vous parler d’Antonio Hodgers. Le ministre, au cœur de l’été, a eu des mots sur la nécessité, selon lui, de ralentir quelque peu la machine économique genevoise. Chez les libéraux, pas seulement ultras, mais aussi chez des libéraux humanistes, on lui est tombé dessus. Le patron des patrons, à la Rentrée des Entreprises, a rétabli la doxa de la croissance à tout prix. Je ne suis pas un homme de gauche, je suis même sacrément un homme de droite. Mais désolé, la surréaction du patronat en dit plus long sur la dimension dogmatique d’un certain libéralisme, celui qui depuis trente ans ne tolère aucun aménagement au libre-marché. Et, désolé encore, les propos du conseiller d’Etat chargé du Territoire, donc des équilibres et de la qualité humaine de la vie, méritaient autre chose qu’un tel tollé, en guise de chiquenaude.

     

    L’univers intellectuel et philosophique de la droite ne se résume de loin pas, Dieu merci, au libéralisme, comme je l’esquissais ici la semaine dernière. Il existe une droite non-libérale, fraternelle, populaire, patriote et nationale : j’en fais partie. Ses sources sont multiples, il y a une souche catholique (Léon XIII), mais il en est d’autres, du côté d’Emmanuel Mounier, de la Revue Esprit, et d’autres encore. Il ne s’agit pas, de mon point de vue en tout cas, de nier la nécessité de croissance, je suis moi-même un petit entrepreneur, partisan de la concurrence. Il s’agit de trouver des équilibres. Une Genève à un million d’habitants, c’est non. Une Genève surbétonnée, au détriment de la zone agricole, d’espaces de respiration, c’est non. Une Genève surdensifiée, c’est non. Une société humaine n’ayant pour seules valeurs que la croissance économique, oubliant le lien social, la cohésion des âmes, le sentiment d’appartenance à la patrie, c’est non. Ces idées-là, depuis l’adolescence, ont toujours été miennes, y compris il y a trente ans, lors de la folle Révolution néo-libérale. Je ne suis pas un partisan de M. Hodgers, mais désolé : ses propos d’été méritent d’être étudiés. Le débat qu’il a lancé est même passionnant.

     

    Pascal Décaillet

  • Rerum Novarum

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 31.08.22

     

    Homme de droite, profondément marqué par la philosophie de cette pensée politique, je ne suis pour autant pas d’une droite libérale. En tout cas pas, au sens où, depuis la chute du Mur de Berlin (1989) et la remise en cause mondiale de l’Etat, l’entendent les ultras, les dérégulateurs, les boursicoteurs, les surexcités du profit à court terme. Le radicalisme suisse, celui de 1848, des Grandes Ecoles, des institutions, des chantiers gigantesques qui ont percé les Alpes, de l’industrie, de l’artisanat, des PME, m’inspire davantage, je ne l’ai jamais caché.

    Dans ces conditions, je m’étais opposé, il y a 25 ans, à la privatisation du marché de l’électricité, mascotte des ultra-libéraux de l’époque, des ennemis de l’Etat, bref de tous ceux qui cherchaient le profit à court terme, souvent au détriment de l’intérêt général. Sans être socialiste (le Ciel m’en préserve !), il m’apparaissait que des valeurs comme l’eau, l’énergie, parmi d’autres, devaient être reconnues dans l’universalité de leur utilité à l’humain. Donc, extraites de lois du marché. Je pense la même chose de l’agriculture.

    Les jouisseurs du profit sans entraves m’avaient traité de ringard, tout juste bon à lire et relire l’Encyclique Rerum Novarum, du Pape Léon XIII, qui, en pleine Révolution industrielle (1891), défendait en effet la valeur humaine contre l’oppression de la machine et du gain financier. Un quart de siècle plus tard, alors que les thèmes « eau » et « énergie » reviennent comme des comètes au premier plan, avais-je vraiment tort ? Chacun de vous en jugera.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La population ? Non : le peuple !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 31.08.22

     

    Lisons Zola, ou Jules Vallès. Lisons Jaurès. C’était le temps où la gauche s’occupait du peuple. C’était la Révolution industrielle, ses côtés les plus noirs, la machine qui broyait l’homme. Des enfants dans les mines. Des faubourgs de misère. Alors oui, il y avait la gauche, le socialisme principalement, mais aussi le communisme, celui d’avant la Révolution russe de 1917. Il y avait des gueules noires qui hurlaient leurs colères. Des syndicalistes, des vrais, qui organisaient la solidarité pour survivre. Des répressions policières, militaires parfois, d’une cruauté inimaginable. On tirait dans la foule. Il y avait des morts. C’était il y a un peu plus de cent ans.

     

    En Suisse, en France, dans nos pays d’Europe, la gauche, qu’est-elle devenue ? La réponse est terrible : on dirait que le peuple ne l’intéresse plus. Au point qu’elle n’utilise plus ce magnifique mot, « le peuple », elle le laisse à ceux qu’elle qualifie avec mépris de « populistes ». En lieu et place, elle dit « la population ». C’est un gravissime délit de langage, qui invite la triste, l’insipide démographie de constat, évacue la citoyenneté (le « démos » des Grecs), prend congé de toute la part d’émotion, certes manipulable, que contient ce mot, « peuple », quand il a le souffle de l’Histoire, celui des grandes conquêtes sociales, souvent dues justement à la gauche, celle d’il y a un siècle.

     

    La gauche suisse nous dit : « L’UDC nous a piqué le mot peuple, alors, laissons-le lui, traitons-les de populistes, drapons-nous de morale ». Elle a tort, à un point que nul ne peut imaginer : l’UDC a bien raison de se réclamer du peuple suisse, c’est d’ailleurs dans son nom en allemand, « SVP », mais la gauche, elle, se fourvoie en lui laissant ce mot, cet emblème, ce fleuron. Et en lui substituant le pitoyable vocable démographique de « population », qui évoque à la fois les statistiques sur la tuberculose à l’époque de Thomas Mann, les commissions d’experts sur le Covid, les recherches sur les taux d’allergies, pour thèses en médecine. Toutes choses prodigieusement enthousiasmantes, comme on sait. La gauche évacue le mot « peuple », elle abandonne le terrain. Tant pis pour elle.

     

    Bien sûr, le mot « peuple » est ambigu, j’ai publié une analyse détaillée, il y a vingt ans, sur ce thème, dans la Revue Choisir. Pour les uns, il évoque la masse générale des gens. Pour d’autres, dont votre serviteur, attachés au démos, il décrit l’énergie et l’implication citoyennes. En Suisse, ce peuple-là, sous cette acception, est une institution. Au même titre qu’un parlement, un gouvernement, un corps judiciaire. Mieux : en bout de chaîne, c’est lui qui décide. Il n’est pas la base, il est le souverain. Et cette prodigieuse conception, d’une incroyable modernité, qui remet à leur place les corps intermédiaires, les profs de droit, les moralistes, les apôtres du Bien, cette verticalité inversée, digne des rêves les plus fous des Jacobins et des Montagnards, la gauche d’aujourd’hui n’est même plus capable de reconnaître sa vertu. Elle laisse à l’UDC le monopole de cette lucidité citoyenne. La gauche a tort, immensément. Elle le paiera cher. Tant pis pour elle.

     

    Pascal Décaillet