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Commentaires GHI - Page 75

  • Macron et l'océan du convenable

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.04.22

     

    La victoire d’Emmanuel Macron, ce dimanche 24 avril, nous invite à nous interroger sur un phénomène, d’une présence écrasante dans le monde de la presse et des médias, que j’appellerais « l’océan du convenable ». De quoi s’agit-il ? De l’incroyable propension des commentateurs, éditorialistes, pies bavardes des chaînes privées françaises (à quelques belles exceptions près), à se ranger instinctivement, comme par atavisme, du côté du pouvoir. Comme si le journaliste était devenu un être tellement faible, tellement fragile (il l’est souvent économiquement, il faut le reconnaître), qu’il aurait besoin d’un protecteur. Un mécène, comme dans la musique, jusqu’à la fin du dix-huitième siècle. Alors, pourquoi prendre des risques ? On veut bien être un bel esprit, faire briller sa plume ou sa voix, décocher des chroniques comme des flèches de curare, mais l’insolence a ses limites.

     

    Entre Marine et Macron, ce beau petit monde choisira toujours le second. Par conviction ? Sans doute, la sincérité n’est pas ici en cause. Mais c’est justement là l’inquiétant : tous sont pour Macron, ou presque, alors que plus de deux Français sur cinq (13 millions, près de 42%) ont donné leur voix à Marine. Ça pose tout de même un léger problème de représentativité des journalistes, non ? De même, en Suisse, connaissez-vous beaucoup de médias (à part la Weltwoche) qui affichent ouvertement leur sympathie pour les idées de l’UDC, premier parti du pays, près d’un Suisse sur trois ? Ils est où, l’éditorialiste sur trois qui partagerait au grand jour les valeurs de cette famille politique ? A la vérité, il n’y en a pas un sur vingt !

     

    En Suisse aussi, nous avons notre océan du convenable : il faut être à gauche, ou alors dans la droite européiste et libre-échangiste, bref PLR ou Centre. Là, vous n’aurez jamais aucun problème. Nul ne vous cherchera noise. Nul ne vous collera d’étiquettes, du style (chaque fois qu’on présente un journaliste de la Weltwoche) : « proche de l’UDC ». En clair, votre « proximité » ne sera précisée que si elle relève du camp du Mal. Pour celui du Bien, nulle estampille ne sera nécessaire. Là, on vous considère comme normal. Rafraîchissant, non ?

     

    La réélection d’Emmanuel Macron est sans appel. L’homme est légitimé, pour cinq nouvelles années, à présider la France. Il faut bien sûr en prendre acte. Mais le risque est énorme, avec la servilité naturelle des médias français, et surtout des petits marquis surexcités des chaînes privées parisiennes, d’un phénomène « Dieu », avec tout ce qu’il a de ridicule, comme au début du second septennat de François Mitterrand. Que les partisans de Macron se prosternent devant lui, grand bien leur fasse. Mais enfin, les journalistes ! Ils peuvent bien être macroniens, aucun problème. Mais, à deux ou trois exceptions près, où sont les résistants ? Où sont ceux qui oseront dire, cartes sur table : « Ces deux Français sur cinq qui soutiennent Marine, ces 42%, ces treize millions, j’en fais partie ».

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Colleurs d'étiquettes

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 20.04.22

     

    Se contenter de coller des étiquettes sur l’adversaire, pour le disqualifier et éviter tout débat, ça marche de moins en moins. Et bientôt, ça ne fonctionnera plus du tout. « Fasciste », « xénophobe », « populiste », les bonnes vieilles rengaines, si commodes pour jeter l’autre dans le camp du Mal, et s’ériger soi-même dans celui du Bien, c’est bientôt fini. Le truc est usé, laminé, jusqu’à la moelle.

    Elle date de quand, cette vieille ficelle ? Au moins de Mai 68, lorsque fleurissaient, sur les murs de Paris, des slogans aussi efficaces (à l’oreille) que scandaleux sur le fond. Exemple : « CRS-SS ! », où les Compagnies républicaines de sécurité, qui n’étaient certes pas des tendres dans les manifs, se voyaient comparées, 23 ans après la guerre, avec les tueurs nazis. Le slogan sifflait, il était d’une incroyable efficacité acoustique, mais l’assimilation était tout simplement scélérate. A l’âge de dix ans, très informé déjà de la Seconde Guerre mondiale, je trouvais ces cinq syllabes inadmissibles.

    Les colleurs d’étiquettes seront bientôt à bout de souffle. Parce que leur vieux truc ne marche plus. En France, en Suisse, dans toute l’Europe, les gens veulent des réponses sur le fond. La souveraineté de leur pays. Son indépendance. Un contrôle drastique des flux migratoires. Une éducation de qualité, sans fadaises. Une maîtrise nationale de l’agriculture, de l’industrie, de l’alimentaire. Une fiscalité raisonnable. Un pouvoir d’achat correct. Ils veulent que l’on parle de cela. Les étiquettes, ils s’en foutent.

     

    Pascal Décaillet

  • Ils sont artistes ? Et alors !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 20.04.22

     

    Vous aimez les spécialités parisiennes ? Il en est une qui devrait vous ravir : les pétitions « d’artistes », ou « d’intellectuels », à quelques jours d’une élection. On se donne quelques coups de téléphone, entre privilégiés du gratin, on tartine un manifeste, on le fait signer par une liste de stars, on y dénonce la bête immonde, le retour au fascisme, le syndrome des années trente, et il y a toujours un moment, dans le texte, où apparaît la formule « Plus jamais ça ! ». Ainsi, nos élites Rive Gauche auront fait leur boulot, elles pourront aller siroter leur drink sur une terrasse de Saint-Germain-des-Prés, en se prenant pour Sartre ou pour Beauvoir, ou pour Juliette, ou pour Camus : le sentiment du devoir accompli. Elle est dure, la vie d’intellectuel : on le mérite, son capuccino sur la table ronde du Flore, avec Le Monde et le Canard entre la saccharine et l’amaretto.

     

    Ils nous ont fait le coup en 1988, deuxième tour. Réélection de François Mitterrand, pour sept ans. La bête immonde s’appelait Jacques Chirac, Premier ministre de cohabitation sortant. Ce républicain pure souche, pétri des grandes valeurs qui ont fait la France, une sorte de rad-soc des Troisième et Quatrième Républiques, ils ont réussi à nous le décrire comme une antichambre du fascisme en France. Ils étaient tous là, les « artistes », les « intellos », concerts à la bougie, chœurs effarouchés, « Tonton, laisse pas béton », pour ériger François Mitterrand en saint, voire en « Dieu », et nous diaboliser Chirac. Dieu fut réélu, le Corrézien dut attendre sept ans.

     

    Ils nous ont refait le coup, puissance mille, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est permis l’outrecuidance de se hisser au second tour, en 2002, à la place de Jospin, lamentable troisième. J’entends encore l’un d’entre eux, fort bon acteur au demeurant, prendre un air de gravité monastique, et oser nous sortir « Dès ce jour, nous entrons en résistance ». Le ridicule ne tue pas. Tant mieux pour l’acteur : il est toujours parmi nous. Et cette fois, c’était Chirac en face : le méchant de 1988 était devenu le sauveur de 2002. Et la vie, à Saint-Germain, continuait, tranquille, comme le cours de la Seine, immuable depuis Victor Hugo, Esmeralda et Quasimodo.

     

    Je vous passe 2017, Macron-Marine no 1, glissons à 2022, Macron-Marine no 2. Et ils sont toujours là, nos artistes, nos intellos ! Pétitions, dans les journaux branchés. Grandes leçons, sur l’avènement des régimes autoritaires. Les fronts, plissés. Les airs, emplis de gravité. L’index, érigé vers le ciel. Ils n’ont sans doute pas lu, pour l’écrasante majorité d’entre eux, ni Thomas Mann, ni son frère Heinrich, ni Klaus. Ils n’ont jamais étudié la République de Weimar, encore moins l’Italie de 1922. Mais pour la leçon de morale, ils sont toujours là. Ils ont compris, mieux que le peuple français, la douceur du Bien contre l’acidité du Mal. Ils sont prêts à monter sur l’autel. Non pour jouer, ni pour chanter. Mais pour prêcher.

     

    Pascal Décaillet