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Commentaires GHI - Page 49

  • Le bonheur de faire campagne

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 11.10.23

     

    Nous sommes en pleines élections fédérales. Depuis 1987 (j’étais au Journal de Genève), ce sont mes dixièmes comme journaliste. Et comme citoyen votant, mes douzièmes. Eh bien croyez-moi, je ne me suis jamais autant passionné que cette année ! Vous connaissez ces mots magiques de René Char, « le désir demeuré désir », le choc de ces syllabes pourrait résumer mon bonheur à couvrir l’actualité politique. Non que je goûte la cuisine des officines, le micmac des états-majors, vraiment pas. Mais les enjeux, pour le pays ! Notre souveraineté, notre contrôle de l’immigration, nos assurances sociales (sans doute le sujet que j’ai le plus creusé, en quarante ans de métier), nos régimes de retraites, nos grands projets routiers et ferroviaires, nos relations avec l’Europe, nos finances fédérales, notre agriculture, notre industrie, notre système de formation, l’avenir de nos jeunes.

     

    Jamais je ne me passionnerais autant pour ces sujets si je n’étais, comme tous les Suisses de plus de dix-huit ans, un citoyen actif. Pas question, comme chez nos amis français, de regarder le pouvoir d’en bas, sans avoir d’autre prise sur le destin que d’élire, tous les cinq ans. Comme s’il y avait, d’un côté, la caste politique, et de l’autre la masse de ceux qui les contemplent. En Suisse, le suffrage universel, ce qu’on appelle en grec le démos (le peuple qui vote), ne se contente pas d’élire, il intervient directement sur les thèmes. L’outil, incomparable, de l’initiative populaire, lui permet de concevoir lui-même un sujet, le lancer à l’approbation de cent mille signataires, puis à celle, un beau dimanche, du corps électoral tout entier. C’est totalement génial.

     

    Une élection fédérale, c’est la rencontre de deux paramètres : les thèmes, les personnes. Pour les premiers, des débats, tous les soirs. Pour les seconds, ces fameux Visages de Campagne que vous voyez défiler pendant deux mois. Là, l’aspect cérébral de la politique cède la place à l’incarnation. Je peux, le temps de six minutes, m’émerveiller de l’humain qui me fait face, tout en détestant ses idées. Je crois que tout journaliste politique doit se confronter, un jour ou l’autre, à ce paradoxe : on ne juge pas un homme ou une femme sur ses seules idées, mais sur la magie de sa personne, ses passions, son enthousiasme, son grain de folie. En cela, le journalisme me semble être un humanisme.

     

    Couvrir une campagne politique, en radio ou en TV, les médias chauds, où il faut être un peu cinglé, torréfié par l’actualité, les rebondissements, c’est, d’une certaine manière, faire campagne au milieu des candidats. Vivre, courir, haleter, perdre son souffle, se surexciter à leur rythme. Eux roulent pour un parti. Nous, pour peindre la campagne, la raconter, la faire vivre. C’est une forme de fusion, qui en aucun cas ne doit devenir confusion des rôles. Mais action commune, sur la scène. Non comme acteur. Mais peut-être comme éclairagiste, régisseur. Ou tout simplement vendeur de glaces, à l’entracte. Vous préférez vanille ou citron ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les faux amis

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 04.10.23

     

    Parce qu’ils sont alliés, les Verts et les socialistes sont considérés par les gens comme des familles politiques proches. Les deux, au fond, qui constituent la gauche. Comme, naguère, les socialistes et les communistes.

     

    Etudions, en profondeur, l’Histoire de ces deux partis. Et nous saisirons à quel point ils sont différents. Les socialistes, c’est le grand parti de gauche, historique, ancré, depuis 120, ou 130 ans, dans nos pays d’Europe : la Suisse, la France, l’Allemagne. Chez nous, ils sont au Conseil fédéral, en continu, depuis 1943. Huit décennies où ils ont contribué à construire le pays.

     

    Les Verts ne sont là que depuis quatre décennies. Ils ne viennent pas de la lutte des classes, encore moins du monde ouvrier, mais surgissent de mouvances décentralisées, autour de la protection de la nature ou d’idéologies libertaires. Les socialistes, comme les radicaux, ont un parfum d’Etat, les Verts pas du tout.

     

    Allez visiter le Musée de la Mine, à Bochum, dans la Ruhr. Vous y sentirez le poids historique du SPD, la social-démocratie allemande, le parti de Willy Brandt. Le vent de l’Histoire.

     

    Rapport radicalement différent à l’Etat. Souches fort éloignées. Cette alliance, au fond, va-t-elle beaucoup plus loin qu’une conjonction d’intérêts électoraux ? Sentons-nous libres d’admirer les uns, sans pour autant voter pour eux. Et d’afficher notre totale incompréhension face aux autres.

     

    Pascal Décaillet

  • La parole politique est en cendres

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 04.10.23

     

    Vous avez lu l’Iliade ? Ce poème d’exception, huitième siècle avant notre ère, qui fut longtemps chanté avant d’être écrit, commence, au chant 1, par une engueulade monumentale entre Achille et Agamemnon au sujet d’une captive, Briséis. Achille, demi-dieu, roi des Myrmidons, le plus valeureux de tous les combattants, face au roi des rois, Agamemnon, roi de Mycènes et d’Argos, le chef de l’expédition des Grecs contre Troie. Deux caïds, qui s’affrontent par la parole, avec une puissance inouïe. La joute aurait pu dégénérer, si Athéna n’avait retenu Achille. J’ai lu cette scène saisissante, dans le texte, très tôt dans mon adolescence, elle m’a poursuivi toute ma vie, comme d’ailleurs l’intégralité de l’Iliade.

     

    Ces deux coqs royaux, qu’on imagine nez à nez, à s’envoyer les pires mots, incarnent la querelle de pouvoir, la violence de la politique, le rôle du verbe dans la guerre, les mots comme des flèches, surgis des viscères. Tout est là, dans cette scène littéralement homérique, depuis trois millénaires. Ça vaut tous les « Paris libéré ! », tous les « I have a dream », tous les « Ich bin ein Berliner », c’est le verbe en fusion, prêt à tuer.

     

    Aujourd’hui, la parole politique n’est plus que cendre et poudre. Les élus, les candidats, peuvent émettre des mots, on ne les écoute plus. Prenez l’assurance-maladie, en Suisse : trente ans d’échec. Ruth Dreifuss, Pascal Couchepin, Didier Burkhalter, Alain Berset, des gens très bien, très intelligents, des socialistes, des radicaux, deux grands partis qui ont fait la Suisse, mais au final, le fracas sur le récif. Aucun de ces quatre n’a réussi à enrayer l’inéluctable montée des primes, celle qui aujourd’hui nous étouffe tous. Ils ont pourtant parlé, exposé, argumenté, tout entrepris pour convaincre. Mais un élu se juge à ses actes, non à ses paroles. Combien de débats, radio ou TV, ai-je organisés sur notre système de santé, pendant ces trente ans ? Sans doute une bonne centaine ! Résultat : l’échec, l’échec, encore l’échec.

     

    Ces gens-là n’ont pourtant pas menti. Leur bonne foi n’est pas en cause. Ni leurs efforts sincères pour tenter de changer le système. Mais, sur trente ans, le politique, tous partis confondus, n’a jamais été capable de s’imposer, dans ce dossier, sur les puissances de l’argent. C’est un échec républicain. Et c’est une faillite du verbe. La parole politique est ruinée, son crédit dévasté, les gens n’écoutent plus, ils sont au bord de la révolte.

     

    Macron non plus, plus personne ne l’écoute. Oh, il parle bien, avec intelligence, quand il reçoit les journalistes à l’Élysée. Mais, en six ans, il a trop péroré, trop promis, ses syllabes ne touchent plus les âmes, elles s’envolent. Partout en Europe, la parole politique est en état de chute de crédit vertigineuse. Les gens veulent des actes. La fidélité à une parole donnée, une seule, et pas trente-six, à l’image d’un Pierre Mendès France. Et le chemin sacrificiel pour parvenir à un résultat. Le reste, comme dans Shakespeare, ce sont des mots. Toujours des mots.

     

    Pascal Décaillet