Commentaire publié dans GHI - Mercredi 25.10.23
J’ai été éduqué, dans les années soixante, par un homme d’exception, trop tôt disparu. Il s’appelait le Père Collomb. Là où j’étais, et où j’ai vécu des années de formation incroyablement ouvertes et heureuses, il nous a enseigné le respect des peuples et des religions, le droit de chaque nation à disposer d’elle-même. A l’âge de dix, onze ans, nous avions déjà une solide formation non seulement sur le christianisme, mais sur le judaïsme et l’Islam. Entre ces trois religions du Livre, il tissait des liens, mettait l’accent sur ce qui rassemble, plutôt que sur les ferments de dispersion. Il nous racontait l’Ancien Testament, le Nouveau, nous initiait au monde musulman. C’était un être de lumière, d’un calme et d’une gentillesse incomparables, je ne l’oublierai jamais.
Il était l’aumônier du primaire, où je suis entré en 1965, jusqu’en 1969, date de mon arrivée à l’école secondaire. De sept à onze ans, mes quatre années avec le Père Collomb ont été les plus formatrices de ma vie. Autre chance : avec ma famille, j’ai eu l’occasion, dès 1966, de visiter des mosquées, au Proche-Orient, puis en 1969 de découvrir les splendeurs de l’Andalousie : mémoire d’un temps de lumière, où les grands courants religieux ont pu, un moment, se côtoyer. Plus tard, je me suis rendu maintes fois au Proche-Orient, pour des reportages, et en Afrique du Nord. Trois fois Jérusalem dans ma vie, trois fois la lumière. En Israël et avec le monde arabe, j’ai noué des liens. Entre eux, je ne choisis pas. Pas question de rejeter l’un, en faveur de l’autre.
Nous sommes en Suisse, nous avons cette chance. La force de notre pays, qui vient de procéder à ses élections fédérales, c’est d’avoir, au fil des siècles et parfois non sans peine, réussi à vivre ensemble. Nous sommes un pays ouvert, un pays neutre. Nous sommes des amis d’Israël, et des amis du monde arabe. Pour ma part, j’ai toujours milité pour un Etat palestinien, il est aujourd’hui moins probable que jamais, et c’est justement maintenant qu’il ne faut pas lâcher prise. Oui, en ces heures où tout semble irrémédiablement perdu, la Suisse doit prendre des initiatives de dialogue. Ne parlons pas de paix, c’est prématuré. Mais soyons le lieu du monde où la parole laisse ouvert le champ du possible. Nous l’avons été pendant toute la Guerre d’Algérie (1954-1962), où d’innombrables rencontres, entre France et FLN, se sont déroulées chez nous, discrètement. Nous devons l’être, aujourd’hui et demain, sur le front du Proche-Orient. Si notre Suisse ne le fait pas, quel pays le fera ?
Pour arriver à ce statut de médiateurs, nous devons absolument, au plus haut niveau de notre parole d’Etat, nous abstenir de réagir à chaud, à la dernière horreur du moment, commise par l’un ou l’autre belligérant. Nous devons maintenir, dans la durée, une ligne d’écoute, de partage, d’ouverture. En nous fondant sur la connaissance, la passion pour l’Histoire et pour les langues, le respect de toutes les convictions spirituelles. C’était cela, le message du Père Collomb, cet homme que j’ai aimé, dans les années soixante.
Pascal Décaillet
Commentaires
Le Père Collomb: cela fait longtemps que je n'ai pas lu son nom... Car, oui, j'ai aussi eu cette chance d'être éduqué, moi, le petit protestant genevois dans cette école dont le patron n'a jamais pu prendre possession de son évêché, la ville étant alors devenue la Rome protestante. Le Père Collomb est le premier à m'avoir inculqué le respect des religions, ne serait-ce qu'en m'acceptant dans ses cours au même titre que mes petits camarades catholiques. J'ai ensuite eu le privilège de faire mon instruction religieuse avec un autre grand homme de foi, le Paster Favre-Bulle, qui lui aussi pronaît le respect et l'ouverture.
Ces histoires personnelles ont en commun de démontrer une fois de plus que seule l'éducation dès le plus jeune age peut limiter l'obscurantisme religieux, et atténuer les ravages de l'extrémisme, quelle que soit la religion que l'on prétend défendre tout en la profanant.
Monsieur Décaillet,
Bel hommage à ce saint homme, celui qui ayant encore les pieds sur la terre a déjà la tête dans le ciel. Vous dites 'Entre ces trois religions du Livre, il tissait des liens, mettait l’accent sur ce qui rassemble, plutôt que sur les ferments de dispersion'. Cela c'est l'oecuménisme véritable, par le haut et non à la tolérance au ras des pâquerettes. Moi je suis catholique traditionaliste, et non extrêmiste à la Lefevbre. J'admire le commentaire de Monsieur Aubert, mon frère protestant.
Voilà également bien longtemps que je n'avais pas entendu parlé du père Collomb.
Merci Monsieur Décaillet pour cet hommage qui me touche.
J'ai en effet aussi eu cette chance de le côtoyer quelques années, à peu près au même âge mais dans les années 80. Il était déjà un vieil homme, du moins aux yeux du jeune garçon que j'étais. Je me rappelle qu'il avait de grandes oreilles, c'était sûrement pour mieux nous écouter. J'ai gardé ces mêmes souvenirs de lui, ceux d'un homme sage et bienveillant, prônant la tolérance, le pardon, la paix, le respect et l'amour de son prochain ainsi que l'ouverture d'esprit par la connaissance et la compréhension des religions du monde. J'ai l'impression d'avoir appris à ses côtés bien plus de choses sur le sens de la vie qu'avec n'importe quel autre enseignant. Il avait su captiver mon attention au point que le petit protestant que j'étais avait obtenu une année le prix de religion au grand dam de mes petits camarades catholiques. Nous avions correspondu les années suivantes et j'avais accouru, dès que j'avais eu connaissance de ses problèmes de santé, pour lui rendre visite une dernière fois alors qu'il était en convalescence à la clinique genevoise de Montana, lui apportant une boîte de bricelets que j'avais voulu coûte que coûte préparer moi-même. J'avais par la suite pu assister à ses funérailles, pleurant à chaudes larmes la disparition de ce grand homme comme si j'avais perdu un membre de ma famille.
Paix à son âme et que sa parole soit entendue, surtout là où la querelle fait rage!