Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.08.25
Oh, j’ai eu, moi aussi, ma période américaine. C’était il y a 62 ans. En juin 1963, pour mes cinq ans, j’ai reçu une tenue complète de cow-boy, qui m’avait comblé de joie. Il doit exister encore quelque part, dans un carton, sous un fatras d’archives non-classées, une photo, prise à l’angle du 107, rue de Lausanne et de l’avenue de France. Quelques mois plus tard, le 22 novembre, Kennedy était assassiné, je m’en souviens comme si c’était hier, nous écoutions en famille le grand poste de radio de la salle à manger (il portait encore les noms des stations, Prague, Belgrade, Bratislava), ma mère était très émue. J’ignorais qui était ce défunt tant pleuré, mais c’est sûr, quelque chose se brisait.
L’image des Etats-Unis qu’allait donner à mon enfance son successeur, le Président Johnson, avec la guerre du Vietnam, était déjà nettement moins de nature à capter mon enthousiasme. Dès les années 64, 65, dans mon esprit d’enfant, le rêve américain s’était déjà dissipé. Il sera survenu bien tôt dans ma vie. Et aura été de fort courte durée ! Mais enfin, je tenais quand même à cet aveu initial, pour montrer que je n’ai pas été toute ma vie une brute anti-Yankee.
Les Américains sont arrivés sur sol européen le 6 juin 1944, sur les côtes de Normandie, à vrai dire déjà un peu avant en Sicile, puis sur la péninsule italienne. Ils ont contribué à libérer l’Europe du nazisme, c’est certain, même si la Seconde Guerre mondiale s’est principalement, et de loin, jouée sur le Front de l’Est. Bref, ils ont véhiculé une image de libérateurs, n’ont pas manqué de l’entretenir eux-mêmes les décennies suivantes, avec des films comme « Le Jour le plus long », où le Débarquement est célébré avec les accents d’un western. Libérateurs ? Ils l’étaient, c’est incontestable. Disons juste qu’il eût fallu, symétriquement, parler au moins autant, à l’époque, des 25 millions de Soviétiques tombés pour repousser, puis finalement vaincre les Allemands à l’Est. Pour ma part, j’ai passé l’été 1972 au Nord de l’Allemagne, chez un ancien combattant de l’Est, qui m’a raconté avec d’incroyables détails ce qu’il avait vécu entre le 22 juin 1941 et le 8 mai 1945.
J’ai eu cette chance, celle de l’équilibre entre les récits. C’est le principe même de la démarche historique : demeurer totalement ouvert à la polyphonie des témoignages, ceux de l’Est, ceux de l’Ouest, ceux des colons, ceux des colonisés, ceux des gentils, ceux des méchants, ceux des sanctifiés, ceux des maudits. Le cinéma américain, auquel je voue un culte total, le grand cinéma, est justement riche, comme leur littérature de rebelles, de cette réhabilitation constante des oubliés. Ce qui est insupportable, c’est un système impérialiste, né de la Seconde Guerre mondiale où ils ont gagné sur tous les fronts (Europe, mais aussi Pacifique), un système qui a trop régenté nos consciences, trop manipulé notre vision de l’Histoire. Le problème, là encore, c’est le pouvoir. Et sa dérive illimitée, lorsqu’on commence à se croire les maîtres du monde.
Pascal Décaillet
Commentaires
En vous lisant, je me demandais comment on relatera notre histoire, celle qui se déroule maintenant dans quelques années. J'espère avec un peu plus d'honnêteté que celle du 20ème siècle. En ce qui concerne les USA, je pense que nous sommes nombreux de cette génération à se souvenir de l'assassinat de John Kennedy, Martin Luther King et également Robert Kennedy. Nous sommes nombreux à a voir eu notre période américaine. Hélas depuis quelques années, nous sommes aussi très nombreux à être profondément déçus, à avoir le sentiment d'avoir été trompés. Vous parlez du cinéma américain, il y a en effet d'excellents films et de talentueux réalisateurs. Toutefois, beaucoup d'entre eux sont originaires d'Europe, notamment des pays de l'Est à l'instar de William Friedkin et bien d'autres encore.
Les Américains, à leur grande majorité sont des peuples qui ont été victimes de génocide par l’envahisseur Européen, par les malfrats mus par la maladie de la Ruée vers l’Or. Les hors-la-loi dont le rêve était le pouvoir économique. Une réussite indéniable qui les a propulsés au rang de première puissance mondiale. Ajouter à cela l’influence religieuse des ‘Pilgrims’ et de la diaspora juive, et voila le Messianisme, le missionnariat, le colonialisme, la maladie du pouvoir.
Et l’anglais, leur langue, pas la nôtre. La langue du Hamburger, pas celle du Coq-au-vin.
Comme vous le dites très justement dans votre article Ouvrons nos âmes, ‘La langue n’est pas neutre. Elle est matrice de pensée, de vision du monde’. Mais aussi, langues orales, langues écrites, la lettre et l’esprit, la Substantifique moelle de Rablais !