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Commentaires GHI - Page 13

  • Le belliciste 2025 : portrait

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 12.03.25

     

    Le belliciste 2025, jusqu’à une période très récente, n’aimait pas la guerre. Il ne cessait de la condamner, sous toutes ses formes, la décrivant comme l’ultime résidu de l’archaïsme de l’humanité première, sauvage. Depuis la chute du Mur, il nous répétait que l’Histoire était finie, que le capitalisme avait gagné, le communisme perdu, que nous allions construire une humanité sans frontières, libérée des entraves. Non seulement il détestait la guerre, mais il s’abstenait scrupuleusement, au nom de ce rejet, d’étudier celles du passé, leur déroulement, leurs causes, leurs conséquences, les grands récits qu’elles avaient engendrés. Il ne voulait tout simplement pas en entendre parler. Pour lui, la guerre était une erreur de l’humanité première, il s’agissait de la corriger, pour construire un nouveau monde. Ça, c’était le belliciste d’avant 2025, à l’époque où il n’était pas encore belliciste, mais… pacifiste.

     

    Et puis voilà, par l’effet d’une transmutation qui passionnera les alchimistes du futur et les lecteurs d’Ovide, le pacifiste est devenu le belliciste 2025. Le même, oui le même, n’a désormais plus qu’un mot à la bouche : la guerre. Cette immonde sauvagerie qu’il n’avait cessé de condamner, voilà soudain qu’il l’encense. Cette brutalité mortifère, il la porte aux nues. Le continent européen n’aurait désormais qu’une priorité absolue : se réarmer. Porter à des pourcentages du PIB jamais atteints les budgets militaires. Ouvrir, partout, des usines d’armement. Augmenter les temps de conscription. Offrir à chaque citoyen européen une tenue de combat complète, pour s’en aller guerroyer sur les Marches de l’Est.

     

    Toute personne osant un discours sceptique face à ces urgences martiales sera considérée comme traître à la patrie, agent du Kremlin, défaitiste, collabo, et tant d’autres mots d’oiseaux empruntés directement à la lexicologie de la Seconde Guerre mondiale. Non seulement le pacifiste d’avant 2025 est devenu un belliciste enragé, mais aussi un pourchasseur de planqués, un délateur, un sergent recruteur. Oui, nous sommes entrés dans l’ère de la Métamorphose. J’ai cité Ovide, J’aurais pu évoquer Kafka. Le gentil pacifiste en sandales s’est transformé un Rambo surarmé, il le fait au nom de la morale, au nom de la justice, au nom du Bien.

     

    Le belliciste 2025, ex-pacifiste, perpétue tout de même une continuité : tout comme avant, il persiste dans son refus d’ouvrir le moindre livre d’Histoire. L’idée même, par exemple, que le conflit d’aujourd’hui en Ukraine, ou celui des années 1990 dans les Balkans, exigent l’ascèse de se plonger dans des siècles d’antécédents complexes, le rebute. Surtout pas l’Histoire ! A une exception près : Munich, 1938. Au nom de cette défaite de Chamberlain et Daladier face à Hitler, le belliciste 2025 détient la clef suprême pour son Jugement dernier : d’un côté, les Munichois, de l’autre les héros. Il se range, tout naturellement, et avec la translucidité des Métamorphosés, dans la catégorie no 2. Ah, les braves gens !

     

    Pascal Décaillet

  • Les bébés ARCOM

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.03.25

     

    Qui d’entre nous, avant l’affaire C8, avait entendu parler de l’ARCOM, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, en France ? En clair, le gendarme des médias. Une bande de « sages », qui n’a pas renouvelé les fréquences TNT de la chaîne C8, provoquant ainsi sa fermeture. Dans le champ éditorial français, la Macronie se débarrasse d’un gêneur. Ainsi va la vie.

     

    Et nous, à Genève, ville natale de Rousseau, nous n’avons pas d’ARCOM ? Officiellement non, mais combien de bébés ARCOM, qui n’en pourraient plus de jouissance s’ils pouvaient fermer une chaîne gênante ! Ou faire virer tel esprit jugé trop vif à l’encontre du pouvoir. Ce genre d’exécution, la plus silencieuse possible. Nul tintamarre. Nul fracas. Nul écho dans la mondanité rampante. Non, juste décider entre soi, nulle trace écrite, juste un clignement de cils.

     

    Les bébés ARCOM sont partout. A gauche, là où elle a le pouvoir, tiens en ville, au hasard. Mais tout autant, dans la droite libérale, celle qui se prétend ouverte à la liberté des idées, mais sort les griffes dès qu’on égratigne le dogme du libre-échange économique. Car les bébés ARCOM, de gauche comme de droite, ont les ongles acérés. La liberté de la presse ne les intéresse que lorsqu’elle leur caresse la frimousse. Sinon, Anastasie sort son ciseau. Et ça lui fait tellement de bien, quand elle peut couper.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les éditorialistes en robe d'hermine

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.03.25

     

    Pendant des décennies, je me suis senti bien seul, en Suisse romande, dans l’exercice éditorial. A vrai dire, depuis la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. M’en étais-je réjoui ? Oui, pour le destin allemand. Mais en lectures et récupérations idéologiques, pas du tout ! Je n’ai jamais cru, une seule seconde, à la « victoire définitive du capitalisme », pas plus d’ailleurs qu’à la « chute irréversible du communisme ». Pas plus qu’à l’effacement, à terme, de la Russie. J’ai toujours cru aux zones d’influence, qui déterminent les rapports de forces, et non les « déclarations d’indépendance », en s’imaginant qu’on va se placer sous le parapluie de l’Occident. Bref, je ne marche jamais aux histoires de gentils et de méchants, je garde en politique internationale une tête absolument glacée, pour moi la lucidité doit primer sur la morale, les bons sentiments, le manichéisme.

     

    Dans tous ces domaines, j’étais minoritaire, parfois même seul, dans l’univers éditorial romand. De même, face aux guerres balkaniques, pendant toute la décennie 1990. Je n’ai jamais applaudi béatement à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Jamais diabolisé les Serbes. Toujours invité à décrypter ce conflit comme une volonté américaine de prendre pied, via l’OTAN, dans les Balkans, et d’accéder ainsi à des sources d’énergie renforçant leur puissance en Europe. Pendant ce temps, la meute des éditorialistes romands, consanguins comme jamais, nous abreuvait de morale, désignait le coupable et l’innocent. Elle n’analysait pas, elle montait en chaire.

     

    Ils ne savent faire que cela, moraliser, sataniser. Leur vie n’est qu’un interminable Jugement dernier, les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Leur manque d’ascèse historique (lire des livres, consulter des archives, donnant la parole à tous, laissant ainsi se révéler, sur des milliers de lectures, au fil des décennies, une photographie nuancée du réel), ils le compensent par des comportements de juges, de procureurs. Leur vêtement de prédilection, c’est la robe d’hermine. Notre univers éditorial, ces dernières décennies, n’avait plus rien à voir avec l’exercice constant de lucidité que nous proposait un René Payot, dans le Journal de Genève. Il est devenu un club de moralistes, jetant l’opprobre, faisant procès, condamnant à l’emporte-pièce, ostracisant, exécutant, damnant la mémoire, imposant, telle une Congrégation pour la doctrine de la foi, la version officielle, unique, irréfutable.

     

    Nous sommes début mars 2025. Les choses ont-elles changé ? Oui, d’autres voix se sont mises à poindre, je les salue. Pour autant, ma solitude demeure. Car je commence à percevoir, au sein des nouveaux vainqueurs, la même tendance au catéchisme inscrit dans le marbre. La même intolérance. La même tendance à s’ériger en cléricature. C’est, notamment, le cas face au conflit au Proche-Orient, où tout défenseur de la Palestine se voit immédiatement mis à l’écart. C’est insupportable. J’y reviendrai.

     

    Pascal Décaillet