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  • Jean-Paul II et le travail : un texte lumineux

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    Sur le vif - Dimanche 27.04.14 - 17.26h

     

    Je fais partie de ceux qui, du vivant de Jean-Paul II, au moment où ce pape était loin d’être aussi populaire que la sainte mémoire d’aujourd’hui, avaient pris parti pour lui. Je l’ai fait à la RSR, dans des commentaires. Dans l’Hebdo. Sur le plateau d’Infrarouge. Dans la Revue jésuite Choisir, dont j’étais chroniqueur. Dans mon livre « Coups de Griffe » (Editions Saint-Augustin, 2006), où je recense, avec François-Xavier Putallaz et Nicolas Buttet, une décennie de chroniques au Nouvelliste. Défendre ce pape, dans l’horizon éditorial de la Suisse romande, n’a pas toujours été simple. Il fut un temps où nous étions très minoritaires. Même si je dois reconnaître que les dernières années de Jean-Paul II, disons de 2000 à 2005, cela fut plus facile : le pape était malade, combattait avec un incroyable courage, avait eu des mots très forts sur la dignité des travailleurs, si bien que le cercle de ses partisans avait augmenté.

     

    En préparation de l’importante journée d’aujourd’hui, j’ai relu mes éditos de l’époque, et me suis rendu compte que, sur plus d’une décennie (1995-2005), l’immense majorité d’entre eux portaient sur le monde du travail. Je n’ai jamais été un spécialiste des questions morales, ni des sujets de société, mais le rapport de l’Eglise catholique au travail m’a toujours passionné. Je crois bien avoir tout lu ce qui était possible de lire sur Léon XIII (1878-1903), et son Encyclique Rerum Novarum (1891), qui définit, en pleine Révolution industrielle, la Doctrine sociale de l’Eglise. Un texte majeur, qui tente une réponse chrétienne, non marxiste, aux questions cruciales posées par l’émergence du prolétariat ouvrier. Faut-il rappeler qu’à cette époque, qui est aussi celle de Jaurès, les enfants travaillent dans les mines, et les adultes y meurent avant la cinquantaine ? Nulle protection sociale, nulle retraite (si ce n’est, balbutiantes, dans l’Allemagne bismarckienne). Immense fut l’influence de Rerum Novarum. En Italie, bien sûr. Mais aussi en France, avec une aventure éditoriale comme le Sillon, de Marc Sangnier. Ou la Revue Esprit, d’Emmanuel Mounier. Mais encore au Portugal, au Brésil, en Belgique, et en Suisse.

     

    Laborem exercens : un texte majeur

     

    Or, il est peu relevé – trop peu aujourd’hui, y compris à l’intérieur de l’Eglise – que Jean-Paul II a produit, en 1981, 90 ans après Rerum Novarum, un document aussi important pour notre époque que l’Encyclique de Léon XIII, pour la sienne. Ce document, l’Encyclique Laborem exercens, le penseur catholique et excellent connaisseur du pape polonais Yves Semen a eu l’heureuse idée de nous inviter à sa lecture, en le parsemant de citations dans son petit livre « Une année avec Jean-Paul II », que viennent de publier les Presses de la Renaissance. Du coup, hier, ayant ce livre dans les mains, et une lecture en appelant une autre, je me suis replongé dans Laborem exercens.

     

    Je connais peu d’Encycliques (à part justement Rerum Novarum) où je puisse me reconnaître dans chaque ligne. En sa troisième année de pontificat, le pape Wojtyla nous y parle, d’une façon simple et bouleversante, du monde du travail. Le travail, dans la vie de l’être humain. Le travail, comme réalisation. Le travail, dans sa primauté nécessaire face au Capital et aux puissances de l’argent. Le travailleur, quel qu’il soit, et si modeste soit sa tâche, comme personne, « sujet efficient, véritable artisan, créateur » (Laborem exercens, no 7). « L’erreur de l’économisme, poursuit l’Encyclique au chapitre 13, consiste à considérer le travail humain exclusivement sous le rapport de sa finalité économique ».

     

    Appel au respect absolu des travailleurs

     

    Bref, dans ce texte, en forme de prélude, une annonce de tous les thèmes qui seront ceux des dernières années de Jean-Paul II : défense et illustration de « l’économie réelle », au service de l’humain et de son accomplissement, condamnation de l’enrichissement facile par les jeux de la finance virtuelle, appel au respect absolu des travailleurs, notamment des migrants, naturellement moins protégés. Faut-il rappeler que c’est sous ce pontificat, autour de l’an 2000, que s’exercèrent avec le plus de violence inégalitaire les ravages de l’économie de casino ? Nous en sommes un peu revenus. Il y a encore tant à faire.

     

    Je peine à comprendre que l’Eglise catholique, si prompte à s’autocélébrer et s’autocanoniser, ne mette pas davantage en avant ces mots si forts de Jean-Paul II sur le monde du travail. Ils sont pourtant, sur les femmes et les hommes d’aujourd’hui, oui avril 2014, d’une incroyable puissance de résonance. Ils nous parlent de nous, de notre humanité, notre dimension de personne, au milieu des activités rémunérées que nous accomplissons. Ils proclament l’égalité de tous. Ils revalorisent les métiers méprisés. Ils appellent le patronat à exercer sa responsabilité sociale. Ils valorisent la production, l’invention, l’enthousiasme, l’amour de la belle ouvrage, et condamnent sans appel l’exploitation de l’homme par l’homme. Ils exigent des rémunérations « justes ». Il n’y est pas question de salaire minimum, mais je ne suis pas sûr qu’on en soit très loin. Surtout, dans la droite ligne de Léon XIII, ils proposent une réponse non marxiste, non matérialiste, aux injustices et aux inégalités. Personnellement, depuis mon plus jeune âge, cela me parle. En profondeur.

     

     

    Puisse la journée de commémoration d’aujourd’hui, puissante dans sa fonction de symbole et d’évocation, nous amener à relire ce texte. Parmi d’autres, bien sûr. Je n’ai nulle vocation à me prononcer sur la sainteté des uns et des autres. Ni sur la métaphysique. Mais la mise au point, l’aggiornamento 1981, sur ce que doit être le travail dans une société humaine, cela rejoint, avec force, le cœur de mes préoccupations.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • Darbellay, l'éclat de vie du pays

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    Sur le vif - Jeudi 24.04.14 - 09.54h

     

    Dans le Temps de ce matin, énième cogitation sur le putatif isolement de Christophe Darbellay au sommet de son parti. Tout cela, parce qu'à deux reprises, il a été désavoué en Assemblée des délégués. Il y a, dans la presse, une envie de tourner la page Darbellay. Pour quelle autre figure ? Je me le demande bien.



    De tous les partis suisses, le PDC est le plus difficile à diriger. Complexe. Passionnant. Marqué par les Histoires cantonales, leur diversité, leurs 26 singularités. Habité par plusieurs courants, les mêmes depuis plus d'un siècle, jaunes ou noirs, chrétiens sociaux ou conservateurs, urbains ou campagnards, voire montagnards. Paralysé par les hésitations d'alliances, l'obsession de demeurer dans les majorités de pouvoir. Accroché à des thèmes, comme la famille, que d'autres lui ravissent, comme on a dérobé aux Verts l'environnement.



    Et puis, Dieu sait si je suis attaché à la famille, mais désolé, on ne construit pas une politique nationale sur ce seul thème. La famille, même moderne, recomposée, homoparentale, homosexuelle, tout ce qu'on voudra, est certes un passionnant sujet de société, un témoin des mouvements lents de son évolution. Mais elle ne saurait tenir lieu de réflexion nationale prioritaire.



    Il manque au PDC - il lui a toujours manqué - une armature républicaine. Une dimension régalienne, celle des radicaux et des socialistes. Il est trop habité par les sujets de société. Or, si la politique ne doit pas évacuer ces derniers (il faut bien légiférer sur les évolutions), elle ne saurait en aucun cas s'y réduire. Et justement, sur les autres sujets, comme la sécurité, les finances, la fiscalité, la clarté de ligne du PDC, sous la Coupole comme dans les cantons, fait défaut. Il manque à ce parti une dimension d'Etat.



    J'en reviens à Darbellay. Face aux carences structurelles de sa famille politique, son incroyable diversité en fonction des Histoires cantonales, son défaut d'unité, ce diable d'homme a justement été, depuis huit ans, l'homme de la situation. Pour fédérer. Incarner. Représenter. Porter la parole. A part Doris Leuthard, qui l'avait immédiatement précédé, et l'excellent Carlo Schmid, cet Appenzellois intrépide et indivisible, vous seriez capable de m'en citer beaucoup, des présidents du PDC suisse depuis 1971 ?



    Bien sûr, Darbellay n'est pas éternel. Et n'a pas prétention à l'être. Bien sûr, il lorgne sur le Valais et n'en fait nul secret. Bien sûr, les deux désaveux en Assemblée n'ont pas facilité sa tâche. Mais l'homme est là, debout. Il le sera jusqu'à l'ultime minute de sa fonction. Et lorsqu'il l'aura quittée et qu'il sera temps de dresser un bilan, ce parti pourra être très fier de ce président qui aura existé si fort, porté si haut les couleurs, comme on brandit la bannière dans un festival de fanfares, endimanché par le soleil. Dans le commun bonheur d'être ensemble. Quelque part, dans l'éclat de vie du pays.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Magnifique emmerdeur

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    Chronique publiée dans Lausanne Cités - Mercredi 23.04.14

     

    Rien ne m’énerve plus que Jean Ziegler, si ce n’est les gens qui passent leur temps à dire du mal de Jean Ziegler. Cet homme, que je connais et que j’interviewe depuis plus de trente ans, je dis qu’il est un salutaire emmerdeur, un dérangeur nécessaire, l’éruption de nos mauvaises consciences, avec des tonnes de lave et l’incandescence du volcan.

     

    Bien sûr, il est insupportable. Il en fait trop, théâtralise à outrance, exagère le propos, cherche à nous faire oublier ses amitiés avec des dictateurs. Mais voilà, c’est Ziegler, il vient de fêter ses 80 ans, et c’est sans doute un peu tard pour le refaire. D’ailleurs, on ne refait jamais les gens : ils sont ce qu’ils sont, à prendre intégralement, avec leurs qualités, leurs défauts.

     

    Ziegler m’a toujours fait penser à Franz Weber. L’homme des saintes colères, mais l’homme d’une foi entière, bouillante, émue, profondément amoureuse du monde. Chez l’un, c’est le combat pour la justice. Chez l’autre, le combat pour la planète. Chez l’un et l’autre, l’adhésion bouleversée à l’immense chaleur du mystère du monde. Chez ces deux hommes, colériques et un peu cinglés, je perçois de splendides contemporains, de vrais compatriotes. Critiques, imprécateurs, fous de vivre et d’exister. Il en faudrait beaucoup plus, des hommes comme eux, dans le champ si raisonnable de notre petite Suisse.

     

     

    Pascal Décaillet