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  • La grande armée des muets


    Edito du 7-8  -  Radio Cité  -  Mercredi 17.09.08  -  07.05h

     

    On aime ou non Eric Stauffer, on peut certes passer son temps à le taxer de populiste, il se trouve que cet homme-là détient, de temps en temps, ce qu’on appelle une information. Laquelle, à coup sûr, mérite d’être vingt fois vérifiée, décortiquée, raffinée de son état brut. Mais laquelle, souvent, c’est ainsi, fonctionne comme révélatrice de dysfonctionnements dans la République et Canton de Genève. Ce genre d’informations, le président du MCG les sort au grand public. Là où la grande fraternité des muets les retient, voire les cache.

    Dans la saga des Services industriels de Genève, le trublion se comporte, depuis de longs mois, comme un redoutable dénicheur d’affaires. Son réseau d’indicateurs est remarquablement tissé : dans ce pays des mille sources, où jaillit l’eau vive autant que le miasme, l’observateur politique doit évidemment faire son choix. Avec la plus grande rigueur. Tout reprendre serait une faute. Hausser les épaules, et ne rien faire, sous prétexte que Monsieur Stauffer est populiste, en serait une autre. N’est-ce pas finalement par son action que le salaire du président des SIG a fini par être drastiquement réduit ?

    D’une affaire l’autre, perpétuellement sur la défensive, toujours en retard d’une réaction là où Stauffer les devance de sept lieues, l’actuel conseil d’administration des SIG est-il encore en mesure d’accomplir sa tâche ? Sa crédibilité est-elle encore suffisante ? Le silence dont se drape le ministre de tutelle est-il vertu ou rétention ? Ces questions, les gens se les posent. Ils sont utilisateurs (on aurait surtout envie de dire : clients captifs) de cette grande entreprise de service public. Mais ils sont aussi citoyens. Ils ont le droit de savoir ce qui s’y passe. Quels que soient les réseaux de silence et de protection d’une classe politique unanimement représentée dans la plus haute instance de l’entreprise. Et où tout le monde se tient par la barbichette.

    Pascal Décaillet 

     

     

  • Le diamant intransigeant


    Edito du 7-8  -  Radio Cité  -  Lundi 15.09.08  -  07.05h

     

    Parmi tous ceux qui ont fait l’Histoire de la Suisse depuis la guerre, il est celui que je regrette le plus de n’avoir jamais rencontré, ni interviewé. Il était un homme d’un bloc, d’une matière, d’un combat, toute sa vie entièrement tournée vers un objectif. Roland Béguelin, qui nous quittait il y a quinze ans, et dont nous nous réjouissons, sur cette antenne, de recevoir le biographe, Vincent Philippe, était un croisé de sa cause. La cause du Jura.

    Je me souviens de lui sur les ondes, son verbe étincelant, la perfection de son français, ses fougues, ses colères, son art d’habiter la parole. « Diamant intransigeant », disait l’autre jour son biographe, à la Radio Suisse Romande : on ne peut mieux résumer cet homme, précieux comme un Croisé, volcanique. Il était la plume, il était l’épée, il a été, très longtemps, à l’ère des grands combats, la voix du Jura.


    Les lectures de jeunesse de Béguelin sont bien éloignées de celles d’un homme de gauche, bien qu’il fût socialiste, par la suite. Il y avait chez lui un combat ethnique, un appel à la Louve romaine, parfois, oui, contre la culture germanique, ce qui, aujourd’hui, choque. Mais il fallait ce canton, il fallait percer, convaincre. Il fallait une avant-garde, lumineuse et courageuse. Ce fut le rôle de Béguelin. Quinze ans après sa mort, hommage à lui.

     

    Pascal Décaillet

  • Le souffle des Invalides



    Sur le vif  -  Samedi 13.09.08  -  19h


    « Jean-Paul, on venait pour le voir. Benoît, on vient pour l’écouter » : en quelques mots, Guy Gilbert, le curé des loubards, tutoyeur et fraternel, ayant troqué son cuir noir pour une aube blanche, a tout dit. Au pied de l’autel, il était, ce matin, parmi les 260.000 des Invalides, cette masse humaine venue partager avec le successeur de Pierre ce moment de présence et de communion que les chrétiens appellent, depuis vingt siècles, une messe. Nul n’est besoin d’être 260.000 : treize personnes peuvent suffire. Ou trois. Ou même une seule.

    Les Invalides. L’Histoire de France en un mot résumée, le long cortège de ses morts, le sang noirci de la souffrance, l’hommage au sacrifice. Lieu de mémoire républicain, mais avant tout national, appel aux profondeurs. Tombeau de Napoléon. Demeure des morts, ceux qui se sont battus, sont tombés. Parler de la vie, de l’Esprit, de la joie du verbe, dans la cité des défunts, le pari n’était pas gagné d’avance.

    Après l’ère du charisme pastoral, voici décidément, avec le Pape Ratzinger, le temps de l’exégèse et de la précision. Pour s’en convaincre, il suffisait de suivre l’évêque de Rome, ce matin, dans son éblouissant commentaire du texte évangélique, la fameuse première épître de Paul aux Corinthiens, où il est question du culte des idoles. Ce ne fut pas un discours sur la lisière du paganisme antique et du monothéisme chrétien, Benoît XVI laisse ce chapitre (au demeurant passionnant, cf Henri-Irénée Marrou) aux historiens et aux spécialistes de la patristique.

    Non, ce fut un discours sur aujourd’hui. L’idole comme leurre. « L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir, n’ont-ils pas détourné l’homme de sa fin véritable ? ». Et, un peu plus loin, dans la pure lignée du discours de Ratisbonne, ce Pape du logos nous reparle de la raison, l’un des thèmes centraux de sa pensée théologique : « Jamais Dieu ne demande à l’homme de faire le sacrifice de sa raison ! Jamais la raison n’entre en contradiction réelle avec la foi ! ». Une phrase, au pays des Lumières, de Renan, du combat de 1905, qui pourrait bien faire couler pas mal d’encre, dans les jours qui viennent. Et le même homme, dès ce soir, sera à Lourdes, haut lieu de spiritualité mariale, qui n’apparaît pas nécessairement, à première vue, comme un Temple de la Raison triomphante. Disons que statuettes et bibelots y sont plus fréquents qu’équerres et compas.

    Une chose est sûre : davantage que son prédécesseur, Ratzinger est habité par un souci aiguisé (déjà éclatant à Ratisbonne) de démonstration et de précision. À quoi s’ajoute une extrême clarté : ce sermon des Invalides a été un discours pour tous, une très haute exigence intellectuelle servie par des mots simples, de tous les jours. À l’école de Chrysostome, la « Bouche d’or », père de l’Eglise grecque et archevêque de Constantinople au IVe siècle, dont c’est aujourd’hui la fête, et dont tout helléniste a pu savourer les textes, Benoît n’avance rien qui ne soit immédiatement étayé par le ciselage du logos. Pape intellectuel, c’est sûr. Mais dont les fidèles, aux Invalides, ont aussi noté l’incroyable douceur.

    Elle commence à sourire, se dérider, et même s’émouvoir un peu, la Fille aînée de l’Eglise, devant ce professeur de Tübingen qui a longtemps semblé plus à l’aise dans les textes sacrés qu’au contact des foules. Ce matin, aux Invalides, ce ne fut peut-être pas la folie des JMJ à l’époque de Jean-Paul II. Mais quelque chose est passé. Une force. Une chaleur. Une lumière. Une intelligence. Quelque chose, oui, qui donne envie de continuer ce qui fut entrepris, il y a maintenant une vingtaine de siècles.

    Pascal Décaillet