Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 990

  • Le Conseil d'Etat rétablit le vote censitaire

    Stamp_Switzerland_1881_25c.jpg 

    Sur le vif - Jeudi 18.09.14 - 16.45h

     

    85 centimes (ou même 1 franc, si on opte, contrairement à la Chancellerie, pour le courrier A), ça n’est évidemment pas beaucoup. La plupart d’entre nous, lorsqu’ils se promènent dans Genève, ont au moins un franc sur eux. Encore que nous soyons un peu moins à disposer sur notre personne de cet objet de plus en plus désuet, et dont la collection me ravissait dans mon ancestrale enfance, un timbre-poste.

     

    Il faudra donc, désormais, pour avoir le droit de voter, engorger les bureaux de poste pour se procurer un timbre. Une longue queue pour la plus aguicheuse des dentelles. Déjà que la notion même de « bureau de poste » relève d’une autre époque. Merci, donc, au Conseil d’Etat genevois, dans sa mesure de réduction de charge numéro 7, Département présidentiel s’il vous plaît, d’avoir instauré la « suppression de la gratuité du retour des votes par correspondance ». Outre qu’il y flotte un très léger parfum de pouvoir censitaire (ça tombe bien, il paraît qu’on célèbre, seuls en Europe, la Restauration), nul doute que le citoyen appréciera la hauteur de vue, la captation politique budgétaire d’ensemble, l’acuité stratégique de ce Conseil d’Etat qui prend plaisir, direction le Paléolithique, à nous faire voyager dans le temps.

     

    Mais il y a pire : avez-vous pensé au citoyen centenaire ? Non seulement il devra faire surveiller son déambulateur pendant qu’il fait la queue dans l’extraordinaire ambiance sociale d’un office postal, mais en plus on lui supprime son « cadeau jubilaire ». Double peine ! Vieillir, ah vieillir, ne manquait guère, jusqu’ici de cachet. Seul celui de la poste faisant foi, on sacrifiera le fauteuil sur l’autel de la citoyenneté. Ah, les braves gens ! Victimes du pointillisme pusillanime d’un budget fourre-tout, sans vision, sans véritable courage. Juste celui du Catalogue de la Redoute, ou de la Samaritaine. A moins que cette dernière ne soit trop occupée à aider le centenaire à saliver l'extase de pouvoir voter.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Citoyens, cultivez-vous !

     

    Commentaire publié dans GHI - 17.09.14

     

    Les politiques sont-ils tous des menteurs ? Non, assurément ! J’affirme même ici que l’écrasante majorité d’entre eux, tous partis confondus, sont des gens sincères, intéressés avant tout par le bien public, généreux de leur temps et de leur engagement. Pour autant, faut-il les croire ? Là, la réponse est beaucoup plus nuancée. Non qu’ils travestissent à dessein la réalité, mais pour une raison simple : l’essence même du discours politique, qui est de convaincre sur un programme et surtout sur le choix d’une personne, ne vise évidemment pas la recherche de la vérité. Mais la séduction d’un moment. La parole politique se rapproche donc davantage du message publicitaire.

     

    Cela n’a rien de grave. Il suffit de le savoir. Et, toujours, de décortiquer, décrypter, mettre en perspective, défricher le champ des intérêts réels, pour ne pas être le jouet du discours. Cela implique, de la part des citoyens, une volonté critique, une posture d’analyse du langage, mais aussi la connaissance la plus profonde possible de l’Histoire, des antécédents, des modèles. Plus le citoyen s’informe, plus il approfondit sa culture politique et historique, plus il s’intéresse au choix des mots, mieux il sera armé pour forger, en toute indépendance des pressions, ses outils de décision politique. Ce travail-là ne s’exerce pas contre les partis, qui sont indispensables en démocratie, encore moins contre le personnel politique, mais en faveur de l’énergie citoyenne, celle qui vient d’en bas, se veut lucide et critique, et non moutonnière. En Suisse plus que partout, cette acuité doit être encouragée, puisque le suffrage universel est constamment appelé à trancher les grands débats.

     

    Les politiques, il faut les juger non sur leurs paroles, mais sur leurs actes. Un exemple : le 18 juin 1954, Pierre Mendès France, désigné par l’Assemblée pour former un gouvernement, se donne un mois, pas un jour de plus, pour résoudre la crise indochinoise, le contingent français s’étant laissé encercler dans la cuvette de Dien Bien Phu. Un mois plus tard, exactement, il décroche les Accords de Genève. La légende, parfaitement méritée, pouvait naître, celle d’un homme, tiens pour une fois, qui tient ses promesses. Mais pour un Mendès France, combien de beaux parleurs ? Pour un André Chavanne, qui a révolutionné l’Ecole genevoise en l’adaptant aux exigences de la modernité, pour un Tschudi qui a fait accomplir, en 14 ans, des pas de géants à nos assurances sociales, combien de charlatans du verbe, juste préoccupés par l’élection, la réélection, si ce n’est la rente. Juste soucieux du réseau, cette savante toile d’araignée dans laquelle il faut se trouver, à Genève, pour exister, et où gravitent toujours les mêmes, se tutoyant comme dans un club, échangeant postes et prébendes, en cercle fermé. Exemple : le tout petit réservoir d’hommes dans lequel on puise lorsqu’il s’agit de renouveler les têtes des grandes régies publiques.

     

    Citoyens, cultivez-vous ! Lisez des centaines de livres d’Histoire. Intéressez-vous au langage, lisez Saussure, aiguisez votre sens critique. Mieux vous serez armés, mieux se portera la République.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Esther et le bruissement du silence

     

    Sur le vif - Mercredi 17.09.14 - 17.31h

     

    Pourquoi Esther Alder, magistrate Verte à l’exécutif de la Ville de Genève, a-t-elle toute sa place, demain autant qu’aujourd’hui, dans la politique municipale ? Pour une raison simple : c’est une politicienne qui prend des engagements et les tient, se fixe des objectifs et se concentre sur eux, pense prioritairement à ses administrés, et surtout se soucie comme d’une guigne du jeu politique. Non seulement, elle ne s’y intéresse pas, mais elle ne joue pas. Jamais dans le miroir. Jamais dans l’allusion. Jamais dans le second degré. Jamais dans le réseau moiré des échos et des reflets. Ses pairs le lui reprochent, la presse croit bon de sourire, tout le petit monde de la Cour ricane.

     

    Mais elle, va son chemin. Celui pour lequel elle a été élue. La solidarité sociale en Ville de Genève. L’aide aux démunis. Ces derniers, lorsqu’ils la voient arriver, ne ricanent pas. Parce qu’ils savent que pour eux, elle servira à quelque chose. En cela, Esther Alder, jugée ringarde par la mondanité des modernes et des branchés, pourrait bien, l’air de rien, l’être beaucoup moins par la population : voilà, pour une fois, une politicienne qui ne passe pas son temps à bavarder, mais tente d’agir. Cette fameuse adéquation des actes avec les engagements, principe mendésiste majeur, que je mentionnais dans mon dernier papier.

     

    Loin des lazzis, Esther Alder va son chemin, oui. Avec le rythme qui est sien, et n’est certes pas celui du tempo Tschudi, ni des grandes célérités urbaines. Mais ce chemin, le sien, elle le suit. La tâche qu’elle se fixe, elle l’accomplit. Avec des hauts et des bas, bien sûr. Et le public, au-delà des jeux de miroirs qu’on veut bien lui tendre, et avec lesquels on tente de l’éblouir, pourrait bien discerner dans cette force tranquille un atout dans l’ordre de la politique. Peut-être parce qu’il commence, à Genève comme ailleurs, à en avoir plus qu’assez de la sanctification sonore des coulisses. Et pourrait, doucement, se mettre à lui préférer ce qu’Heidegger, parlant de cette Forêt Noire qui lui était si chère, appelait « Das Geläute der Stille ». Le bruissement du silence.

     

    Pascal Décaillet