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Liberté - Page 989

  • Et Dieu créa la nostalgie

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    Sur le vif - Mardi 23.09.14 - 15.45h

     

    Les jeunes, aujourd’hui, ou les amnésiques, ne voient en elle que la dame de 80 ans qu’elle sera dimanche. D’abord, je veux dire ici que c’est très beau, une dame ou un homme de 80 ans, c’est une vie encore présente, une somme de bonheurs et de cicatrices, une mémoire. J’ai eu la chance de voir mes parents dépasser cet âge, n’ai jamais eu l’impression d’un naufrage, juste la vie qui va, vers son terme. Le destin de Bardot, vieillir, est notre lot à tous. Moi aussi, je me sens vieillir. Et toi, qui me lis ?

     

    Bien sûr, cette octogénaire a quelque chose d’un peu particulier : elle fut l’une des plus belles femmes du monde. Elle le fut, et ne l’est plus : voir partir notre jeunesse, c’est aussi notre lot à tous. En cela, Brigitte Bardot n’est rien d’autre qu’un humain comme un autre, celui dont les années de lumière et de facilité s’éloignent, pour laisser la place au chemin d’aspérité. Mais aussi, à cette incroyable sérénité, délestée des angoisses de la jeunesse. Vieillir, ou mûrir si le mot vous fait peur, ça n’est justement pas accumuler, mais s’enrichir en se dessaisissant. Par soustraction, se préparer à l’essentiel.

     

    Toute ma vie, déjà enfant, j’ai aimé le passé, la nostalgie. Cela s’appelle le romantisme, allemand bien sûr, celui qui produisit les plus grands poètes, les musiciens. Et dans mon enfance, il y avait Bardot. Nul, de moins de cinquante ans, ne peut imaginer l’effet qu’elle produisait. Ça n’est pas de la star, pourtant, que je veux aujourd’hui me souvenir, mais de sa présence de feu sur les écrans. Je tiens le Mépris de Godard pour l’un des plus grands films du monde, Bardot y est tout simplement bouleversante. Je voudrais prendre ce film avec moi, pour unique viatique, sur une île grecque, dans les rivages éblouissants de la mer bleue, le voir et le voir encore. Le prendre, oui, dans l’ultime traversée du dernier fleuve, Styx ou Achéron, comme vous voudrez, le Petit ou le Grand Rhône, la Dranse ou le Trient me convenant aussi à merveille.

     

    Aujourd’hui, je veux dire merci à cette dame, à quelques jours de ses 80 ans. Je ne parlerai ni de ses positions politiques, ni de la cause animale, ni de la trace des ans. Je parlerai juste de la vie qui va, et de cette dame hors normes, naguère pour sa beauté, aujourd’hui pour sa liberté. Bon Anniversaire, Madame Bardot.

     

     

    Pascal Décaillet

     

  • La droite doit se réconcilier avec l'Etat

     

    Sur le vif - Dimanche 21.09.14 - 15.27h

     

    Avant de considérer l’éternelle triangulation entre les trois grandes familles des droites suisses (PDC, PLR, UDC), posée une nouvelle fois, ce matin, à fins électorales, dans la presse alémanique, avec sa faux d’agronome, par le géomètre Christophe Darbellay, il convient évidemment de se plonger dans l’Histoire. D’où viennent ces grandes familles de droite ? Surgies de quels combats, principalement au dix-neuvième siècle ? Portées par quels grands journaux, quelles grandes plumes, quelles grandes voix ? Installées depuis quand au plan fédéral ?

     

    Et puis, il faudra multiplier toute cette réflexion par vingt-six, nos Histoires politiques étant éminemment cantonales : le radicalisme valaisan n’a pas grand-chose à voir avec le zurichois ; la démocratie chrétienne genevoise est fort éloignée des étendards noirs de la Suisse centrale. Sans cette approche diachronique, multiple et nuancée, l’observateur politique, faute de recul, se laissera trop facilement saisir par les pièges de la rhétorique électorale, tous partis confondus. Appel, donc à la culture. Appel à l’Histoire. Appel à lire voracement, par exemple, les ouvrages si remarquables d’Olivier Meuwly sur le destin de nos partis politiques suisses, ces deux derniers siècles. A l’exception de ce dernier, et Dieu merci de quelques autres, il manque aujourd’hui, en Suisse, une véritable école de réflexion sur la nature profonde, la philosophie, le chemin historique des différentes droites en Suisse, depuis 1848, voire 1798.

     

    J’affirme ici que dans l’improbable géométrie triangulaire des trois grandes familles que sont le PDC, le PLR et l’UDC, un facteur fatal d’illisibilité procède du divorce, depuis une trentaine d’années, entre une partie de la droite suisse et le sens de l’Etat. Je fais partie, comme on sait, des défenseurs d’un Etat fort (ce qui ne signifie pas tentaculaire), un Etat solide et dynamique, actif non seulement dans ses fondements régaliens (la sécurité, la défense nationale, les Affaires étrangères, les grandes infrastructures routières ou ferroviaires), mais aussi, avec la même puissance, dans les assurances sociales, la santé, l’école. D’où ma position, certes d’avance perdante, mais à laquelle je ne retranche rien, sur la Caisse publique. Or, cette défense de l’Etat (je dis de l’Etat, et non d’une armada de fonctionnaires derrière des guichets), pourquoi la droite, depuis plus d’une génération, l’a-t-elle laissée à la gauche ? Comment des hommes et des femmes de grande culture républicaine ont-ils pu à ce point se laisser phagocyter, depuis trente ans, par les mirages du libéralisme, souvent alliés à l’individualisme libertaire, le culte de l’argent facile, l’évanescence de la structure collective au seul profit de l’affirmation de la réussite individuelle ? Où sont-elles passées, les grandes voix radicales, populaires, joyeuses, celle d’un Jean-Pascal Delamuraz ? Doivent-elles, devant l’éternité, faire silence face à la religion du profit, ou tout au moins face à cette nouvelle génération de parlementaires fédéraux, montés à Berne comme commis-voyageurs de la banque privée, des magnats des grandes pharmas, ou des géants de l’assurance-maladie ?

     

    Oui, je regrette infiniment le temps des radicaux. Ils sont, en Suisse, ceux qui ont fait l’Etat moderne. Ils l’ont conçu intellectuellement, incarné par de grandes figures, réalisé par d’immenses projets collectifs. Cela, dans les cantons (Fazy, Druey) et au niveau fédéral. Oui, ces hommes-là, aux côtés de quelques socialistes d’exception, comme Tschudi à Berne ou Chavanne à Genève, ou d’un incomparable PDC comme Furgler, ont façonné la Suisse d’aujourd’hui. Ils avaient en commun un sens profond de l’Etat. Où sont-ils, aujourd’hui, ces hommes-là ? Pourquoi la droite suisse devrait-elle être à tout prix libérale, libre-échangiste, à l’anglo-saxonne, et tout l’intérêt, toute l’attention pour le domaine régalien devraient-ils être abandonnés à la seule famille de la gauche ?

     

    Immense erreur. Les années de bulle financière, de dérégulation, d’abandon de l’idée de service public, ont créé, dans les consciences suisses, une assimilation entre « droite » et « libéralisme ». Oh, le libéralisme a parfaitement le droit d’exister, d’avoir ses hommes et ses femmes, ses journaux, ses lobbys. Mais enfin, l’univers complexe et passionnant, pétri d’Histoire, de la droite suisse ne saurait se ramener à cette seule famille de pensée. Je plaide ici pour que ceux, dans les partis de la droite suisse (PDC, PLR, UDC) qui croient encore dans le rôle et la mission de l’Etat, se réveillent. On peut être de droite et aimer l’Etat. De droite, et aimer passionnément l’idée républicaine. De droite, et vouloir des assurances sociales puissantes, efficaces, solidaires et mutuelles, échappant aux mécanismes du profit, organisées dans l’intérêt de tous. Si la grande famille de pensée des droites suisses continue de laisser dériver le discours sur l’Etat dans les seules eaux territoriales de la gauche, alors elle fera le lit de tous ceux, dans notre pays, qui voudraient faire l’économie d’une réflexion collective, au seul profit de l’affirmation individuelle. Philosophiquement, c’est une posture. Politiquement, dans un pays comme la Suisse, construit sur l’acceptation des différences dans l’assomption d’un destin commun, c’est le début du suicide.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La vraie leçon des Ecossais

     

    Sur le vif - Vendredi 19.09.14 - 09.35h

     

    Je ne m’exprime pas ici sur la réalité intrinsèque du non écossais (55%) à l’indépendance, mais sur le signal délivré à l’idée régionaliste en Europe. A la vérité, une douche écossaise. Et qui fait du bien. Parce qu’elle remet les idées en place, autour du réel, et vient calmer les ardeurs de démembrement des nations actuelles chez tant de nos beaux esprits : il est vrai que la région, c’est sympa, et la nation c’est méchant. A ces modes de pensée, qu’on qualifiera de libertaires gentilles, ces Canada Dry de la pensée de Denis de Rougemont, le non des Écossais, la volonté de ces derniers (malgré une profonde et magnifique identité historique, culturelle et géographique) de demeurer dans le Royaume Uni, constitue une vraie, une belle leçon.

     

    Les Écossais ont voulu voir plus loin que leur identité, plus loin que leur ethnie, plus loin que leurs intérêts économiques immédiats (mettre la main directement sur le pétrole de la mer du Nord, sans le truchement de Londres, eût été la promesse d’une manne facile pour la nouvelle nation indépendante). Ils ont choisi de maintenir de lien, plusieurs fois séculaire, parfois dans la douleur, mais si souvent dans la seule communauté qui scelle vraiment, celle du sang versé, avec leurs voisins au sein de cette grande île, maintes fois admirable lorsqu’il s’est agi de défendre son indépendance, et plus récemment les peuples libres.

     

    Bien sûr que le pays de Marie Stuart a une identité incroyable, une personnalité extraordinaire. Mais 55% des électeurs de ce peuple a jugé qu’il existait d’autres critères que la seule identité. Voyez-vous, pendant toute cette campagne référendaire, lors de longues promenades en montagne, je pensais à l’héroïsme et la loyauté des régiments écossais, fauchés le 18 juin 1815, lors de la bataille de Waterloo. Pour qui sont-ils tombés ? Pour la seule Écosse, ou pour une entité plus grande, que le duc de Wellington avait charge de conduire ? Tous ces Écossais, tombés sur tous les champs de bataille de l’Empire britannique, ont partagé leur sang avec celui des Anglais, des Gallois, des Irlandais du Nord, sans compter celui des Canadiens, des Néo-Zélandais, des Australiens.

     

    De quoi élargir, au fil des siècles, l’horizon d’attente et l’ambition d’appartenance d’un peuple impétueux, légitimement attaché à ses racines, ses légendes, ses musiques, ses folklores. J’ai aussi, toujours sur mes sentiers valaisans, beaucoup pensé à l’œuvre de Maurice Chappaz, écrivain et poète bagnard, aussi ancré qu’il était universel. Universel, parce que justement ancré. Ce qu’on peut reprocher aux adeptes de la gentille région contre la méchante nation, c’est justement d’opposer l’ancrage à l’élargissement. Certains d’entre eux rêveraient même que l’homme idéal ne fût de nulle part. Comme si nous étions, nous humains, issus d’autre chose que de la terre, d’autre sève que des racines. Jaillis d’elles, oui, pour mieux y retourner.

     

     

    Pascal Décaillet