Sur le vif - Lundi 09.02.15 - 12.42h
C’était donc un tir à plusieurs coups. Avant-hier, monstre opération de la Tribune de Genève pour nous dire à quel point, un an après le 9 février 2014, la Suisse est dans l’impasse. Edito de Pierre Ruetschi : « Le peuple suisse doit revoter ». Ce matin, François Longchamp : « On ne sortira de l’ambiguïté qu’avec une autre votation ». Deux jours après, le président du Conseil d’Etat nous dit exactement la même chose que le rédacteur en chef du journal. François s’enrhume, Pierre éternue. Admirable symbiose que celle de ces deux hommes : sous leurs géométriques ailes, la même vision du monde.
L’interview de M. Longchamp avait-elle été préparée avant l’édition de samedi, histoire de monter une story en deux épisodes ? Ou au contraire, arrachée en rattrapage, comme justification a posteriori de la position éditoriale de samedi ? Peu importe. Ce qui compte, c’est la profonde, l’immuable, l’indéracinable convergence de vues, depuis des années, entre les deux hommes. Mêmes rouages d’une Grande Horlogerie. Même vision céleste. Même mépris pour la décision souveraine du peuple et des cantons, le 9 février 2014.
« Sortir de l’ambiguïté ». Mais quelle ambiguïté ? Il y a juste un an, le souverain de ce pays n’a pas répondu à un sondage d’opinion. Il a pris une décision, avec force exécutoire. Ce verdict, il l’a rendu à la suite de plusieurs mois de campagne, où tous les camps avaient largement pu s’exprimer, à commencer par celui du non, dûment stipendié par le patronat. Le corps électoral a pesé le pour et le contre, il a parfaitement saisi les enjeux, il a choisi en toute maturité d’adulte, en toute conscience, d’exiger pour notre pays des contingents.
Or, cette décision, voilà une année que Berne la laisse scandaleusement dormir, sans lui donner la moindre réponse. Et voilà que MM Ruetschi et Longchamp, d’une même voix, somment le peuple suisse de revoter. « La libre circulation est un principe cardinal de l’Europe, c’est son ADN. Or on ne remet pas en question son ADN ». Terrible phrase, macérée dans l’idée que le destin des peuples obéirait à une prédestination naturelle, sur laquelle les décisions souveraines de la démocratie n’auraient pas prise. Phrase d’Ancien Régime. Phrase de Saint Empire, celui d’un ordre entremêlé des peuples, d’un côté les suzerains, de l’autre les vassaux. L’ordre libéral de l’Europe, énoncé comme un dogme. Une Arche Sainte, inattaquable.
Tel est le petit monde de MM Longchamp et Ruetschi. Il ne vient pas de nulle part. Mais d’une architecture intellectuelle parfaitement traçable, où la perfection de l’ordre géométrique méprise les frissons populaires. Ces deux Messieurs ont parfaitement le droit de défendre ces positions. Le nôtre, est de n’être point dupe de leur complicité. Ni de l’obédience croissante de la Tribune de Genève à MM Longchamp et Maudet, donc à un certain ordre du monde. Ce journal en a le droit : je suis le premier à militer pour des quotidiens qui s’engagent avec clarté. Mais alors, de grâce, il faut juste changer la têtière, en première page : quelque chose comme « Tribune de Genève, porte-parole du PLR ». Les montres seront à l’heure. Le Grand Horloger sera content. Le bonheur géométrique nous tracera l’avenir.
Pascal Décaillet