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Liberté - Page 936

  • Voir Annemasse et jouir

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    Sur le vif - Mercredi 27.05.15 - 16.26h

     

    Officiellement, la future liaison ferroviaire appelée « CEVA » a une fonction : relier Cornavin à Annemasse, en passant par les Eaux-Vives, non sans avoir tournicoté aux quatre coins de Genève. Officieusement, ce chantier gigantesque, aubaine pour les gens du gros œuvre, en a une autre, que nous avons personnellement plaisir à souligner ici depuis des années : avoir servi de catalyseur aux partis gouvernementaux pour faire réélire les leurs aux élections cantonales de l’automne 2009. Pour être dans le coup, il fallait être Pro-CEVA. Les anti-CEVA, c’était la Marge.

     

    Si vous étiez Pro-CEVA, un tapis jonché de fleurs parfumées vous était déroulé pour la législature 2009-2013, tiens la présidence du Grand Conseil, par exemple. Si vous étiez du Bois, du Bâtiment, si vous arboriez le Tablier de Constructeur, c’étaient quatre années magnifiques qui vous attendaient : les honneurs, les courbettes, les adoubements, les compliments. Si, par malheur, vous faisiez partie en 2009 des opposants à ce projet, alors vous alliez avoir 48 mois pour le payer. On allait vous traiter de pisse-vinaigre et de peine-à-jouir, de gâche-métier, de Gueux. Oui, toute cette législature 2009-2013, avec des Verts si prompts à collaborer avec le Bourgeois, tellement heureux de leur importance « dans les Commissions », au « Bureau », sans parler du « Perchoir », ultime achèvement des carrières arrangeantes et silencieuses, tout cela aura encensé le Pro-CEVA, ostracisé l’Anti.

     

    Alors voilà, aujourd’hui, c’est l’air de rien, en sifflotant, par Pravda Bleue interposée, qu’on nous murmure, sous un titre d’une complicité pulvérisant le mur du ridicule, l’existence d’un dépassement de crédit de 40 millions. « Pour éviter les ratés, style Bel-Air ou Cornavin ». Certes, un esprit aventureusement sceptique pourrait se risquer à objecter que le réaménagement de ces places, on aurait éventuellement pu l’intégrer dans la réflexion d’avant la votation de 2009. Mais bien sûr, immédiatement, ledit esprit se verrait taxé de rabat-joie, mauvais coucheur, perdant de pacotille.

     

    Donc, nous ne dirons rien. Nous nous tairons. Et puis, pour notre part, avouons-le : nous nous réjouissons tellement de ce jour, béni entre tous, où nous pourrons prendre le train de Cornavin, pour tenter l’immortel voyage de nous rendre en Annemasse. Ce jour-là. Il n’y aura plus ni Marge, ni Gueux, ni Tablier d’honneur, ni Murailles de Fraternité. Non, il n’y aura plus que l’extase de l’ultime voyage. Un aller-simple nous suffira. Le retour, ce sera pour une autre vie.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Tous esclaves, tous Hébreux !

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    Sur le vif - Lundi 26.05.15 - 16.11h

     

     

    Quelqu'un pourrait-il gentiment expliquer aux huiles du DIP que le Chœur des Esclaves, dans Verdi, n'est pas - du moins à notre connaissance - composé d'esclaves professionnels, mais de choristes qui jouent les esclaves, entonnent un air d'esclaves, écrit sur une partition?

     

     

    De même, il n'est pas dit que pour chanter dans le Chœur des Hébreux, l'appartenance à la religion juive soit obligatoire.

     

    Ou encore, les Pèlerins qui entrent dans le Wartburg, chez Wagner, ne font pas chaque jour, entre deux représentations, le trajet de Rome à pied.

     

    Je doute également que la Traviata meure vraiment chaque soir sur scène.

     

    Donc, poliment leur dire que chanter une prière chez Britten, ça n'est pas encore prier.

     

    Cela s'appelle une fiction. Cela s'appelle une démarche artistique. Cela s'appelle une distance. Cela s'appelle de l'art.

     

    Ignorer cela, au plus haut niveau de quel Département ? Hélas, hélas, hélas : celui-là même, justement, dont on attendrait qu'il sensibilise les élèves à ce qu'est un rôle, une représentation, une mise en scène.

     

    Parce que les initier à cela, c'est justement les arracher à l'enfantine cruauté d'une nature qui nous fait prendre les sorcières des films pour de vraies sorcières, les bandits pour des bandits. Riche de cette initiation, on décapitera moins l'infidèle. On brûlera moins les livres. Et peut-être, allez rêvons, on se laissera moins tétaniser par une petite clique qui, à Genève, est entrée en laïcité comme d'autres en religion.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La jeunesse d'Espagne a parlé à l'Europe

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    Sur le vif - Dimanche 25.05.15 - 16.46h

     

    Pour tous ceux qui suivent la politique espagnole depuis la mort de Franco (1975), ce dimanche 25 mai 2015 marque un tournant. Tout l’après-franquisme s’est construit sur le bipartisme, entendez la rivalité de deux grandes familles politiques, les conservateurs et les socialistes. Pendant quarante ans, ils ont occupé le pouvoir, tantôt les uns, tantôt les autres, traversé les épreuves, tenté de faire avancer le pays. Mais aujourd’hui, à la faveur des élections municipales et régionales, une nouvelle carte politique de l’Espagne est en train, cet après-midi en direct, de sortir d’un révélateur, comme on le disait du temps de la photographie chimique.

     

    Une nouvelle génération arrive aux affaires : elle s’appelle Podemos (gauche radicale) ou Ciudadanos (centre droit). Dans certaines régions, certaines villes, à commencer par Madrid et Barcelone, de nouveaux partis, de nouvelles tendances sont aux portes du pouvoir. Oh, les deux grands partis traditionnels sont loin de disparaître, mais désormais, ils vont devoir composer avec d’autres. En trouvant des majorités par objectifs, par exemple : c’est peut-être d’ailleurs ce que le peuple attend.

     

    L’un des facteurs les plus déterminants de cette mutation de la politique espagnole, c’est la jeunesse. Voilà de longues années que, dans ce pays, la proportion de chômeurs chez les moins de 25 ans constitue un signal d’alarme. Pour les régions les plus pauvres, comme l’Andalousie, la masse des jeunes sans emploi est effrayante. Par contraste, en Espagne comme ailleurs en Europe, la génération aujourd’hui à la retraite, celle qui est née juste après la guerre, bénéficie de la répartition des richesses. C’est valable pour l’Espagne, mais ce déséquilibre devrait tout autant nous interpeller en Suisse, malgré la différence de nos systèmes économiques et sociaux.

     

    Cette jeunesse n’a pas de travail, mais elle vote. Et le message d’aujourd’hui est celui d’une défiance. Podemos dans l’ensemble du pays, Indignés aux portes du pouvoir municipal à Barcelone, avec une Ada Colau qui a construit sa campagne sur la lutte contre les expulsions d’immeubles, il y a là de multiples signaux du besoin d’émergence d’une autre politique, plus concrète, plus juste, et pourquoi pas, lâchons le mot, plus fraternelle. En sachant que cette « fraternité », ça n’est plus par les grands partis traditionnels de l’après-franquisme qu’on ambitionne de l’atteindre.

     

    Il est bien possible que le message de l’Espagne ait une dimension européenne. Oh, bien sûr, ce pays a son Histoire politique propre, elle lui appartient, et ne saurait se reporter sur d’autres. Mais tout de même : l’échec du libéralisme axé sur le casino financier, déjà criant dans ce pays au moment de l’éclatement de la bulle immobilière, le besoin d’une société plus juste, de richesses mieux réparties entre les générations, l’appel de la jeunesse pour qu’on ne l’oublie pas, tout cela ne peut demeurer étranger à notre perception.

     

    En Espagne comme en Grèce, on est sur le continent européen, je dis « le continent » et pas l’institution de Bruxelles. En Espagne, en Grèce, et aussi dans ce petit pays du centre de l’Europe, dont la prospérité n’a rien d’éternel, et qui ne serait rien sans ses réseaux de mutualité et de solidarité. Ce petit pays s’appelle la Suisse. Il ferait bien de décoder le message du peuple espagnol. Il n’est pas certain du tout que les problèmes de nos amis ibériques soient si différents des nôtres. Juste, pour l’heure, le curseur de l'injustice sociale n'est pas placé au même endroit. Mais un curseur, ça se déplace si vite. Sans même qu’on s’en aperçoive.

     

    Pascal Décaillet