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Liberté - Page 471

  • Série Allemagne - Numéro 28/144 - Littérature allemande, ou littérature de langue allemande ?

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    L'Histoire allemande en 144 tableaux - No 28 – La question est simple, et… diablement complexe ! Qu’est-ce que la littérature allemande ? Comment la matrice de la langue – celle de Luther, celle de Brecht – parvient-elle à englober dans une communauté d’appartenance des auteurs aussi divers, issus de Bohème, de Roumanie, ou de cet Est lointain dont plusieurs millions d’Allemands furent chassés en 1945 ?

     

    Lundi 03.08.20 - 12.55h

     

    Aimé Césaire est Martiniquais, Senghor est Sénégalais, Simenon est Belge, Ramuz est Suisse. Chacun de ces auteurs est pourtant un magnifique représentant de la littérature de langue française. Il y a leur pays d’origine, pays de combat même parfois, et puis il y a l’autre pays, qui est celui de la langue. L’autre matrice. La vraie mère ?

     

    Il en va ainsi de la littérature allemande. Franz Kafka, l’un des plus grands prosateurs germanophones, est Tchèque. Enfin, disons qu’il est enfant de cette Bohème austro-hongroise qui l’a vu naître (1883), dans une Prague d’une incroyable richesse multiculturelle, et pourtant nul n’aurait l’idée de le classer, comme Musil, dans les auteurs autrichiens. Ni comme un Allemand d’Allemagne, ce qu’il n’est pas. Ni comme un Tchèque nationaliste, il ne l’est pas non plus.

     

    A la vérité, Kafka est Kafka, l’un des plus puissants génies du récit dans le monde, il maîtrise le tchèque, l’hébreu, sa culture juive est remarquable, omniprésente. Il est tout cela. Mais à côté de sa relation matricielle à la ville de Prague (qui le tient entre ses griffes, « comme un petite mère »), il y a l’immensité d’une autre appartenance : la langue allemande. En elle, il s’exprime. En elle, il vit et transmet ses sentiments. En elle, il lègue une œuvre, ou plutôt son ami Max Brod nous la livre, malgré les pulsions de destruction de l’auteur.

     

    Il est convenu de résumer l’affaire en disant que Kafka est « un auteur Tchèque de langue allemande ». Depuis plus de quatre décennies, je trouve cette formule un peu courte. Mais n’en ai pas vraiment d’autre à proposer. Enfin, si : j’opterais pour « auteur universel né dans la matrice de langue allemande ».

     

    Prenez Paul Celan (1920-1970), mon poète préféré du vingtième siècle, dont je vous recommande la lecture, par exemple dans la remarquable édition bilingue NRF/Gallimard, traduction de Jean-Pierre Lefebvre. Il vient d’une famille juive de Bucovine. Au moment de sa naissance, c’est la Roumanie. Deux ans avant (1918), c’était encore l’Empire austro-hongrois. Aujourd’hui, c’est l’Ukraine. Les frontières changent, le tragique de l’Histoire passe (la famille du poète périt dans les camps), mais une matrice nous est transmise : la langue allemande.

     

    Ce germanophone de Roumanie, qui choisit en avril 1970 le Pont Mirabeau (celui d’Apollinaire) pour se jeter dans la Seine, avait pourtant toutes les raisons biographiques de rejeter toute référence à l’Allemagne, qui a anéanti les siens. Mais sa langue est l’allemand. Du premier au dernier jour. Il n’est pas un poète roumain. Il est un « poète allemand », non par la nation, mais par « la petite mère » de la langue. Si vous ne l’avez pas lu, je vous conjure de le faire : vous y découvrirez une langue simple, sobre, concise, le thème de la mort, de la disparition, de l’anéantissement, du néant, du silence. Il ne parle pas expressément des camps, mais l’univers de l’extermination est omniprésent. A tous, je vous demande de lire à haute voix, en allemand, le poème « Die Niemandsrose », dans le recueil qui porte ce nom. Deux ou trois minutes de votre vie. Vous n’aurez pas l’impression, je crois, d’avoir perdu votre temps.

     

    Sur Celan, je reviendrai dans cette Série. Sur Kafka, aussi. Sur la question autrichienne, la littérature et la musique autrichiennes. Sur le statut de la littérature suisse-alémanique, qui sera traitée en soi. Entre autres.

     

    Reste la grande question : qu’est-ce que la littérature allemande ? Celle de tout auteur germanophone, dont les millions d’Allemands établis à l’Est, hors des frontières, jusqu’au Grand Exil de 1945 (cf. le numéro 24 de cette Série) ? Ou alors, seulement les auteurs allemands « de l’intérieur » ? Mais dans ce cas, ne faudrait-il pas d’abord les définir par leur région d’origine (la Souabe pour Hölderlin ou Brecht, la Prusse pour Kleist, Fichte ou Fontane, Lübeck pour Thomas Mann, etc.) ? Ou encore, ne les considérer comme « auteurs allemands » que dans la mesure où ils auraient, d’une manière ou d’une autre, dans l’adhésion ou dans le rejet, posé la question de la nation allemande ? Trop compliqué ! La matrice qui tous les réunit, c’est la langue. Pour ma part, tout écrivain ayant pris la plume en allemand, de Luther jusqu’à Christa Wolf, d’où qu’il vînt, quelles que fussent ses origines, ses positions, constitue l’incomparable richesse de la littérature germanophone. Pour la simple raison qu’il nous transmet une langue. Et que, Roumain, Tchèque, Polonais germanophone, Allemand de la Volga, il s’exprime dans la langue de Luther, Hölderlin ou Goethe.

     

    Mais cette langue, qui depuis Luther constitue la littérature allemande moderne (je ne traite pas ici du Moyen Âge littéraire allemand, faute de compétence dans ce domaine), quelle est-elle ? Quel est son trésor ? Son héritage ? Que nous transmet-elle ? Entre la longue période de Kafka ou Thomas Mann, leurs longues phrases (parfois une page entière), le roman bourgeois prussien d’un Theodor Fontane (lire Effi Briest, 1896), les saisissantes formules de Brecht mises en musique par Kurt Weill, la relecture des Grecs chez Hölderlin, les incantations de Heiner Müller, la grande prophétie de Cassandre revue par Christa Wolf (1983), la finesse viennoise d’un Schnitzler ou d’un Hofmannsthal, le picaresque déroutant d'un Günter Grass, et des centaines d’autres témoignages humains et littéraires, quelle communauté ? Quelle Gemeinschaft ? Quel lien d’appartenance ? Quel fil invisible ?

     

    A ces questions, je n’ai pas la réponse. Le salut viendra de l’immersion. Avec une double sensibilité : à l’Histoire, et à la langue. Dans le monde germanique, l’une est inséparable de l’autre. Entreprendre une Histoire des Allemands sans se plonger dans la langue, est une vaine tentative. Sans parler de la musique. Mais c’est encore là une toute autre affaire. A mon sens, la première de toutes. Nous y reviendrons largement, dans les années qui viennent. Excellente journée à tous !

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** L'Histoire allemande en 144 tableaux – Vous venez de lire le numéro 28, publié ce matin - Une Série racontant le destin allemand, de 1522 (traduction de la Bible par Luther) jusqu’à nos jours. Les 24 premiers épisodes ont été publiés en 2015, et peuvent être lus directement en consultant ma chronique parue le 11 juillet 2020, ici :

    https://pascaldecaillet.blog.tdg.ch/archive/2020/07/11/serie-allemagne-c-est-reparti-307498.html .

    La Série n’est pas chronologique, elle suit mes coups de cœur, mes envies, mes lectures. Lorsqu’elle sera achevée, une version rétablissant la chronologie vous sera proposée.

  • Défendez la Suisse, M. Cassis !

     

    Sur le vif - Dimanche 02.08.20 - 09.49h

     

    Pourquoi nous, Suisses, petit pays au cœur du continent européen, devrions-nous prendre parti dans le conflit - qui pourrait prendre des proportions majeures - entre les États-Unis et la Chine ?

    M. Cassis, vous n'êtes pas obligé de vous aligner systématiquement sur les positions de l'Oncle Sam. Ni face à l'Empire du Milieu, ni sur l'échiquier de l'Orient compliqué, où vous fûtes maladroit, il y a quelques mois, humiliant pour le monde arabe.

    Vous êtes le Ministre suisse des Affaires étrangères. Vous n'êtes pas l'antenne suisse du Pentagone. Ni du Département d'Etat. Ni de la Maison Blanche.

    Dans vos déclarations, pensez en priorité aux intérêts supérieurs de notre pays, qui exigent intelligence et diversité. Nous ne sommes pas un dominion de la superpuissance américaine.

    Nous sommes un peuple libre, indépendant, souverain. Et nous entendons le demeurer.

     

    Pascal Décaillet

  • Mais faut-il à tout prix discuter ?

     

    Sur le vif - Vendredi 31.07.20 - 10.01h

     

    La souveraineté n'est pas une option, comme le serait le gadget d'une nouvelle automobile. Si on se veut pays, si on se déclare tel dans le monde, alors il faut l'indépendance. Il faut la souveraineté. Et il faut s'en donner les moyens. Sinon, à terme, c'est l'intégration dans un empire plus vaste, ce que d'aucuns souhaitent, pas moi.

    Nation ou partie d'un empire, il faut choisir. L'empire n'est pas le diable, c'est une option. Simplement, ça n'est pas la mienne. Comme humain, comme citoyen, comme petit entrepreneur, je sais ce que signifie pour moi l'indépendance. C'est vital. C'est cela, ou la mort. D'autres voient les choses autrement, se fondent volontiers dans un groupe, c'est leur affaire. Moi, je suis sauvage, intraitable, j'ai besoin de décider de mon destin, au maximum de ce qui dépend de moi. C'est ainsi.

    Ce qui vaut pour un humain, vaut pour un pays. La Suisse n'est ni meilleure ni pire qu'un autre, elle est ce qu'elle est, elle est mon pays. Je respecte tous les autres, tous les peuples, tous les humains. Mais je défends le pays qui est le mien.

    Car aussi individualiste soit mon tempérament, qui rejette les groupes, les factions, les partis, il se trouve que je suis citoyen suisse. J'en assume toutes les responsabilités. J'en assume les devoirs, et l'ai prouvé, par exemple, par quelque 500 jours d'engagement au sein de notre armée. Ou encore, en consacrant toute ma vie professionnelle à traiter les enjeux politiques de la Suisse, et non les faits divers, encore moins le people. Et j'en assume les droits : quasiment jamais raté votation, depuis que j'ai l'âge de me prononcer.

    Citoyen, j'annonce la couleur. Je donne mon point de vue. Comme n'importe lequel des millions de citoyennes et citoyens de ce pays en a le droit. Je ne suis pas un eunuque, je m'exprime. Cela plaît à certains, déplaît à d'autres, ça m'est parfaitement égal. Nul, jamais, nulle part, ne pourra m'empêcher de dire comment je vois les choses.

    Cette férocité indépendante, je la veux aussi pour mon pays. Je la projette sur lui. Indépendance, souveraineté, cela ne signifie absolument qu'il faille se couper du monde. Ni des échanges. Encore moins, de la curiosité culturelle qui nous pousse vers les autres peuples, en apprendre les langues, les Histoires. Il me semble, en ce domaine, avoir, au cours de ma vie, donné l'un ou l'autre exemple. Il est peu de pays d'Europe que je n'aie visités. Je me passionne depuis un demi-siècle pour l'Histoire allemande, l'Histoire de France, celle des Balkans, de l'Afrique du Nord, du Proche-Orient.

    De même, vouloir le contrôle des flux migratoires, ça n'est pas en vouloir l'arrêt. Ceux qui, à dessein, mêlent ces deux notions, pour induire le peuple en erreur, sont des trompeurs. Et des menteurs. Contrôler le flux, c'est adapter la quantité d'immigration à nos besoins. C'est un enjeu citoyen : la décision politique l'emporte sur l'acceptation d'une pression.

    Je suis un homme libre et indépendant. J'ai des amis, et des ennemis. Je défends les causes que je crois justes. J'explique pourquoi. Je fais mon boulot de citoyen.

    Je voudrais tant que mon pays agisse, à son niveau, ainsi. Liberté, indépendance, souveraineté. Travail infatigable pour assurer la survie économique. Diversification des réseaux. Connaissance des autres. Renseignement continuel sur l'état des fronts. C'est autrement stimulant, à mes yeux, que l'intégration à un empire. Pour exister, on commence par s'affirmer soi-même, très fort. Ensuite, s'il le faut, on discute.

    Mais faut-il à tout prix discuter ?

     

    Pascal Décaillet