Sur le vif - Samedi 13.09.08 - 19h
« Jean-Paul, on venait pour le voir. Benoît, on vient pour l’écouter » : en quelques mots, Guy Gilbert, le curé des loubards, tutoyeur et fraternel, ayant troqué son cuir noir pour une aube blanche, a tout dit. Au pied de l’autel, il était, ce matin, parmi les 260.000 des Invalides, cette masse humaine venue partager avec le successeur de Pierre ce moment de présence et de communion que les chrétiens appellent, depuis vingt siècles, une messe. Nul n’est besoin d’être 260.000 : treize personnes peuvent suffire. Ou trois. Ou même une seule.
Les Invalides. L’Histoire de France en un mot résumée, le long cortège de ses morts, le sang noirci de la souffrance, l’hommage au sacrifice. Lieu de mémoire républicain, mais avant tout national, appel aux profondeurs. Tombeau de Napoléon. Demeure des morts, ceux qui se sont battus, sont tombés. Parler de la vie, de l’Esprit, de la joie du verbe, dans la cité des défunts, le pari n’était pas gagné d’avance.
Après l’ère du charisme pastoral, voici décidément, avec le Pape Ratzinger, le temps de l’exégèse et de la précision. Pour s’en convaincre, il suffisait de suivre l’évêque de Rome, ce matin, dans son éblouissant commentaire du texte évangélique, la fameuse première épître de Paul aux Corinthiens, où il est question du culte des idoles. Ce ne fut pas un discours sur la lisière du paganisme antique et du monothéisme chrétien, Benoît XVI laisse ce chapitre (au demeurant passionnant, cf Henri-Irénée Marrou) aux historiens et aux spécialistes de la patristique.
Non, ce fut un discours sur aujourd’hui. L’idole comme leurre. « L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir, n’ont-ils pas détourné l’homme de sa fin véritable ? ». Et, un peu plus loin, dans la pure lignée du discours de Ratisbonne, ce Pape du logos nous reparle de la raison, l’un des thèmes centraux de sa pensée théologique : « Jamais Dieu ne demande à l’homme de faire le sacrifice de sa raison ! Jamais la raison n’entre en contradiction réelle avec la foi ! ». Une phrase, au pays des Lumières, de Renan, du combat de 1905, qui pourrait bien faire couler pas mal d’encre, dans les jours qui viennent. Et le même homme, dès ce soir, sera à Lourdes, haut lieu de spiritualité mariale, qui n’apparaît pas nécessairement, à première vue, comme un Temple de la Raison triomphante. Disons que statuettes et bibelots y sont plus fréquents qu’équerres et compas.
Une chose est sûre : davantage que son prédécesseur, Ratzinger est habité par un souci aiguisé (déjà éclatant à Ratisbonne) de démonstration et de précision. À quoi s’ajoute une extrême clarté : ce sermon des Invalides a été un discours pour tous, une très haute exigence intellectuelle servie par des mots simples, de tous les jours. À l’école de Chrysostome, la « Bouche d’or », père de l’Eglise grecque et archevêque de Constantinople au IVe siècle, dont c’est aujourd’hui la fête, et dont tout helléniste a pu savourer les textes, Benoît n’avance rien qui ne soit immédiatement étayé par le ciselage du logos. Pape intellectuel, c’est sûr. Mais dont les fidèles, aux Invalides, ont aussi noté l’incroyable douceur.
Elle commence à sourire, se dérider, et même s’émouvoir un peu, la Fille aînée de l’Eglise, devant ce professeur de Tübingen qui a longtemps semblé plus à l’aise dans les textes sacrés qu’au contact des foules. Ce matin, aux Invalides, ce ne fut peut-être pas la folie des JMJ à l’époque de Jean-Paul II. Mais quelque chose est passé. Une force. Une chaleur. Une lumière. Une intelligence. Quelque chose, oui, qui donne envie de continuer ce qui fut entrepris, il y a maintenant une vingtaine de siècles.
Pascal Décaillet
Liberté - Page 1538
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Le souffle des Invalides
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Suffrage universel
Chronique parue dans le Nouvelliste du jeudi 11.09.08
Je suis partisan, depuis de nombreuses années, de l’élection du Conseil fédéral au suffrage universel. L’exécutif doit être la clef de voûte de nos institutions. Je le dis et l’assume, dans un pays qui a exagérément cru bon d’octroyer cette fonction au Parlement. Ainsi, ce très étrange titre de « premier citoyen du pays » pour le président du Conseil national. Il y a là quelque chose d’incongru : le premier de tous, dans une démocratie, doit être le chef de l’exécutif, pas l’homme du perchoir.
Encore faut-il que l’exécutif ait un vrai chef. Non seulement pour un an, ni même pour deux, mais pour l’ensemble d’une législature. Cela se fait dans tous les pays du monde, il n’y a là rien de grave, rien de scélérat. D’autres pays ont plusieurs langues, plusieurs religions, et n’ont pas pour autant instauré l’impuissance impersonnelle, ni la division par sept du pouvoir, pour faire leurs preuves.
Suffrage universel : l’exécutif, qui offre actuellement un spectacle bien difficile, tout le monde attaquant tout le monde (un peu comme dans le merveilleux poème « Les Ouménés de Bonada » de Michaux) a besoin de restaurer sa légitimité. La dernière élection du Conseil fédéral, le 12 décembre 2007, riche d’une « combinazione » sur laquelle je ne reviendrai pas, a prouvé avec éclat les limites du suffrage indirect. S’il fallait ne pas réélire Christoph Blocher, que ce fût au moins par le désaveu du peuple, et non pas celui d’un cartel de passage, au demeurant aussi vite dissous qu’il s’était formé.
L’exécutif doit tirer sa sève, sa légitimité, des profondeurs du peuple souverain. Bien sûr, avec quelques garanties, simples et tenant sur cinq ou six lignes de la Constitution fédérale pour garantir la représentativité des régions.
Avec ce système, émergeront de grandes figures nationales : Pierre Maudet, Pierre-Yves Maillard, Christophe Darbellay en ont la carrure. Des hommes forts, avec une intelligence, une vision, un rayonnement dépassant de loin des frontières de leur canton, et même de leur région. Franchement, qui s’en plaindra ? Faut-il, en politique comme dans la vie, craindre la puissance et le talent ? Faut-il craindre les caractères, les tempéraments ? Et recommencer à élire des passe-murailles en complets croisés ? A chacun de se forger sa religion. Pour moi, depuis longtemps, c’est chose faite.
Pascal Décaillet
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Mille morts par jour, pendant quatre ans
Edito du 7-8 - Radio Cité - Vendredi 12.09.08 - 07.05hLa France, en Afghanistan, a perdu des hommes, dans une embuscade. Elle les pleure. Les familles demandent des explications. Elles se rendent même sur place, pour tenter de comprendre ce qui s’est passé.
Sur la douleur des familles, rien à redire. Mais sur un certain climat d’émotion autour de cet événement, entretenu par les médias, dont le 20h de TF1, il convient peut-être de rappeler un ou deux points.
Le principe d’une guerre, c’est de tuer l’ennemi, ou de se faire tuer par lui. La France a choisi de faire la guerre en Afghanistan, et sans doute ce choix est-il à saluer. Elle envoie donc ses soldats sur l’un des terrains de guerre les plus difficiles de la planète, où celui qui maîtrise le terrain (les Russes en savent quelque chose) est gagnant d’avance.
Dans ces opérations d’une difficulté extrême, la France tend des embuscades aux talibans. Et, ma foi, les talibans tendent des embuscades aux Français. C’est très dur, c’est un jeu de vie et de mort : c’est précisément ce qu’on appelle la guerre.
Entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918, la France a perdu, en moyenne, mille morts par jour. Nulle famille du pays ne fut épargnée par le deuil. La saignée démographique fut terrible, et fut l’une des causes majeures de la défaite de 1940.
Aujourd’hui, pour dix morts d’une armée devenue professionnelle, sur un terrain extérieur, on réclame des commissions d’enquête. N’a-t-on pas oublié, tout simplement, que l’Histoire était tragique, que le mal faisait partie de la vie. Et que la notion de progrès, face à ces fondamentaux, était bien relative.
Pascal Décaillet