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Liberté - Page 1541

  • La grande erreur de Fulvio Pelli


    Ou : le Latin de glace et le flandrin de feu

     

    Il faudrait sans doute remonter aux Vies parallèles de Plutarque pour aller exhumer de la poussière des siècles deux personnalités aussi dissemblables que Fulvio Pelli et Christophe Darbellay. Le cérébral et l’instinctif. Le taciturne et l’expansif. Le contenu et l’impulsif. La célébration de l’immobilité, et le mouvement perpétuel. Deux Latins, certes, l’un et l’autre fils de la Louve : l’un jouit par la lente infiltration de l’analyse ; l’autre, moins imperméable, par la splendeur des résurgences, le sens du courant n’étant pas l’essentiel.

     

    De ce jeu de glace et de feu, ce conte d’Islande, nous pourrions tout à loisir nous délecter, allant quérir chaque dimanche, dans la presse alémanique, quelque nouveau geyser. Pour le spectacle, un pur bonheur. Pour les socialistes et l’UDC, qui s’en frottent les mains et s’en pourlèchent les babines, une aubaine, toujours recommencée. A ce rythme-là, ils l’auront bientôt, leur Suisse bipolaire, tout ce qui a fait ce pays depuis plus d’un siècle n’offrant plus, à l’extérieur, que le spectacle de ses divisions.

     

    Depuis des années, il m’apparaît que les grands courants de la droite suisse (la démocratie chrétienne, le radicalisme,  le libéralisme, et l’aile non-xénophobe, ouverte aux échanges, de l’UDC) doivent, sans trop tarder, dans l’honneur, le respect mutuel, se fédérer sous une même bannière. Plus de deux Suisses sur trois, le 21 octobre 2007, ont voté pour des partis qu’on appellera « de droite », ou « conservateurs », comme vous voudrez. Et moins d’un Suisse sur cinq, ce qui est (à la baisse) un record en Europe, a voté pour le parti socialiste. Il faut tout de même croire que la défense de l’individu, du travail, du mérite, de la prise de risque personnelle, recueillent plus d’adhésion, dans ce pays, que le tout au collectif, ou l’Etat-Providence. Car pour redistribuer (et il le faut, pour les plus faibles), il convient d’abord d’avoir beaucoup travaillé pour parvenir à créer des richesses. Ces valeurs-là, en Suisse, sont majoritaires. Mais ceux qui, au fond tous ensemble, les défendent, passent leur temps à se chamailler.

     

    Le dernier incident en date (week-end dernier) est à mettre, clairement, sur le compte de Fulvio Pelli. La manière dont le président du parti radical suisse a rejeté, d’un soufflet, les raisonnables propositions de collaboration de Christophe Darbellay, constituent une erreur politique de premier plan. Que le style Darbellay, ce flandrin de feu, exaspère au plus haut point l’esthète lecteur des « Fiancés », le chef-d’œuvre de Manzoni, on peut certes le comprendre. Un homme qui se lève à quatre heures du matin, s’étant couché trois heures plus tôt, court les crêtes des sommets et les moraines des glaciers, séduit, se brouille, se réconcilie, tente, perd, gagne, fait jouer mille cousins, dévore la vie, ce spécimen d’humanité-là doit, à coup sûr, générer quelque incompréhension chez le très retenu avocat du sud des Alpes, dont le dernier grand moment d’enthousiasme doit dater des années soixante, ou de son extatique découverte du Code des Obligations. Qu’importe, d’ailleurs, il faut de tout pour faire un monde. Mais il est préférable, en politique, d’éviter les erreurs irrattrapables.

     

    Or là, Fulvio Pelli en a commis une. Et de taille. Tout le monde sait très bien que sur le fond, au plan fédéral, radicaux-libéraux et démocrates-chrétiens militent pour le même modèle de société. Tout le monde, aussi, sait que les vieilles étiquettes héritées des luttes confessionnelles du dix-neuvième siècle, du Sonderbund, du Kulturkampf, n’ont plus aucun sens, aujourd’hui, l’une contre l’autre. Leur champ référentiel, simplement, ne joue plus pour les gens d’aujourd’hui. J’adore, infiniment, lire les livres d’Olivier Meuwly sur les grandes figures du radicalisme vaudois, ou toute l’Histoire de la réaction catholique au progrès, de Léon XIII et de sa Doctrine sociale, je pourrais vous en entretenir pendant des heures. Mais nous sommes en 2008. La Suisse a changé. Cet espace politique-là a besoin d’autre chose, de plus grand, de plus clair, de plus rassembleur, pour répondre à ses besoins.

     

    Après une fin d’année 2007, disons, un peu difficile (je crois avoir été le premier à le souligner, et je maintiens), puis un combat courageusement mené, mais perdu, en Valais, Christophe Darbellay a profondément intégré, maintenant, cette dimension de recomposition de la droite suisse. On dira que c’est par opportunisme, par ambition, pour en avoir le leadership, chacun pensera ce qu’il voudra. Mais il a, lui, tendu la main. Et Fulvio Pelli, sèchement (par crainte d’une partie de sa base ?), l’a refusée. Il ne s’agissait pourtant que d’un ou deux domaines (on pourrait imaginer l’Ecole) où des signes de convergence auraient pu être donnés. C’est infiniment dommage, et c’est pire encore : les derniers soubresauts de l’UDC, la santé encore fort précaire des socialistes, tout cela constituait – constitue encore, mais jusqu’à quand ? – une constellation favorable pour une offensive de la Suisse ouverte et libérale, celle qui ne se veut ni assistée ni nationaliste. C’est-à-dire, clairement, la majorité de ce pays.

     

    Pascal Décaillet

     

     


     

  • Droite genevoise : la machine à perdre

    Sur le vif - Jeudi 26.06.08 - 15.50h

     

    Le PDC genevois respire : il va pouvoir rester pur. Nul miasme, nulle souillure. Non seulement il rejette tout contact électoral avec l’UDC, mais menace de sortir de l’Entente si radicaux ou libéraux acceptent, peu ou prou, ne serait-ce qu’un apéritif avec le Diable. Décision prise hier soir, à une majorité brejnévienne, en assemblée générale. Les sacristies peuvent souffler : l’honneur est sauf. Et la machine à perdre, une fois de plus, va pouvoir se mettre en marche.

     

    Qu’un parti ait des valeurs, c’est tout à son honneur. Que celles du PDC genevois soient bien lointaines de l’UDC, nous en convenons aussi. Et peut-être, au fond, sont-elles inconciliables. Mais fallait-il, à ce point, fermer la porte avant même de discuter, là où les radicaux, beaucoup plus habiles, ont posé, avec fermeté et sans concessions, des conditions ?

     

    Ces trois conditions, les voici : accepter le processus des bilatérales avec l’Union européenne, notamment la libre circulation ; accepter le principe du dialogue social ; renoncer à certaines affiches infâmes, et à un style politique de western. Ca n’est pas rien, ce triptyque de garanties ! Il n’y a que très peu de chances que l’UDC les accepte. Mais au moins, le « droite classique » laissait ouvert un espace de dialogue, au lieu de se vêtir de la toge immaculée des intouchables.

     

    D’autant moins habile, cette décision du PDC, que tant de choses, en huit mois, se sont passées : les 29% de l’UDC aux élections fédérales ; le coup du 12 décembre ; les fissures au propre sein du parti vainqueur. Tout cela, justement, constitue, pour la droite suisse, d’opportunes occasions de recomposition. Il existe, certes, à l’UDC, des extrêmes nationalistes et isolationnistes. Mais la grande majorité de l’électorat de ce parti se rattache, en fait, et n’en déplaise aux exaltés qui veulent voir partout les ultimes journées de la République de Weimar, au bon vieux fond simplement conservateur qui constitue l’un des socles essentiels de la Suisse.

     

    L’enjeu, à Genève, quel est-il ? La couleur de la majorité qui suivra les élections cantonales de l’automne 2009 ! Au Grand Conseil, mais surtout au Conseil d’Etat, où on pourrait imaginer une correction, par le peuple, de l’anomalie de cette législature. Avec cette décision du parti des Purs et des Justes, c’est très mal parti. Et la machine à perdre, comme chez Tinguely, n’a pas fini de tourner sur elle-même.

     

  • Régions : le crépuscule des proconsuls



    Edito Lausanne FM – Jeudi 26.06.08 – 07.50h

    Aussi déplaisante soit-elle pour le poids des habitudes et des corporatismes, la décision de notre confrère « Le Matin » de supprimer ses bureaux régionaux peut être lue comme un acte novateur, qui pourrait bien, dans les années qui viennent, donner des idées à d’autres rédactions.

    Les bureaux cantonaux : cela concerne les médias supra-cantonaux, d’envergure romande. Il n’y en a pas des dizaines : RSR, TSR, le Temps, le Matin, l’Hebdo. Quand on a prétention à couvrir  toute la Suisse romande, il faut évidemment avoir le meilleur réseau d’informations possible sur sept cantons tellement différents les uns des autres : Genève, Vaud, Valais, Fribourg, Neuchâtel, Jura, et la partie francophone bernoise.

    Le « meilleur réseau », cela signifie avoir infiltré en profondeur la classe politique, les décideurs économiques et culturels. Connaître personnellement les gens, les enjeux, les amours et les haines, les inimitiés et les rognes, les affaires cachées. Voilà, certes, qui plaide pour un correspondant régional, avec tout ce que cela implique d’ancrage, d’apéros, de petites confidences. Les fuites, longtemps, c’était pour lui.

    Mais cela, depuis quelques années, change. L’apparition du portable, l’émergence de grandes émissions politiques au niveau romand, l’arrivée de personnalités très fortes, comme Peter Rothenbuehler, dans les rédactions centrales, tout cela a doucement rendu un peu caduc le monopole proconsulaire des baronnies régionales.

    L’idée du Matin de dégager des forces, et pourquoi pas puissantes, en fonction de l’événement est une vraie idée journalistique, elle est même la règle numéro un de ce métier : lorsque quelque chose se produit, on va voir. Par son dynamisme et sa souplesse, cette idée écrase celle de la logique par la répartition géographique. On dira qu’elle est dictée, cette idée, par des contraintes économiques. – Et alors ! C’est souvent dans ce genre de situation qu’une rédaction opère des choix décisifs et imaginatifs.

    Les autres rédactions d’envergure romande, qui n’ont pas (encore) à ce point le couteau sous la gorge, prennent sans doute, ce matin, tout cela de très haut. Laissons venir les mois et les années. Laissons venir la concurrence. Laissons venir et éclore l’audiovisuel privé. Et nous verrons bien les choix du futur.