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Liberté - Page 1540

  • Ingrid et Marie


     

    Sur le vif – Mercredi 16.07.08 – 1230h

     

    A entendre certaines ondes, ce matin, Ingrid Betancourt n’aurait pas le droit, ou en tout cas serait malvenue, d’afficher ses convictions chrétiennes, encore moins sa dévotion mariale, dans ses prises de position publiques, depuis la fin de son calvaire. Sa présence à Lourdes, même, est critiquée.

     

    Il y a des moments où il faut laisser sortir sa fureur. La laïcité, oui: c’est le seul moyen d’organiser correctement les relations entre l’Etat et les religions.  Mais ce monde où plus personne, a fortiori un ex-otage ayant vécu six années de captivité et de solitude, ne pourrait faire état de ses émotions spirituelles, n’est pas plus acceptable que ne l’était la théocratie.

     

    Laïcité, oui. Mais ces ayatollahs du rejet de toute référence religieuse, ou cultuelle, cela commence à suffire. Il n’appartient à aucun d’entre nous de connaître le chemin de solitude intérieure d’une femme restée enchaînée six ans, loin de sa famille, loin de tout. Qu’Ingrid Betancourt ait été amenée à ce que nous appellerons une révélation spirituelle (je ne demande à personne d’y croire, juste le respecter), relève de sa sphère la plus privée, et elle a parfaitement le droit d’en témoigner.

     

    Lourdes, Fatima, la Salette, le culte marial, on y croit ou non. Mais il se trouve que nous sommes là, et pas seulement depuis Pie IX et le 8 décembre 1854, dans l’un des lieux d’expression les plus forts de la foi catholique. Comme il y a ceux de la foi protestante, de la foi orthodoxe, des Juifs, des Musulmans. Pouvoir l’exprimer en public relève du droit le plus élémentaire : c’est justement pour garantir ce droit, dans la pluralité des sensibilités, que la laïcité a été inventée.

     

    Sans compter qu’Ingrid Betancourt, dans ses déclarations, ne fait aucun prosélytisme. Elle témoigne, simplement. La puissance de ce témoignage, chacun doit avoir le droit, tout au moins, de l’entendre.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Radicaux-libéraux : l’union, bien sûr !


     

    Annoncée aujourd’hui pour 2009, cette union est urgente, et ne devrait être que le prélude à une recomposition plus large de la droite suisse, incluant, au moins, la démocratie chrétienne.

     

    Sur le vif - Mardi 15.07.08 - 16.00h

     

    Plantez-vous place du Molard à Genève, rue de Bourg à Lausanne, ou sur les rives du lac à Neuchâtel, tendez un micro aux gens, et posez leur cette simple question : « Pourriez-vous me dire la différence entre les libéraux et les radicaux ? ». A moins que vous n’ayez la chance de tomber sur un érudit comme l’excellent Olivier Meuwly, sur un radical canal historique comme l’un des frères Bender, de Fully, ou sur un torturé de la laïcité militante, nostalgique de Combes ou de Waldeck-Rousseau, vous aurez droit, au mieux, à une moue dubitative.

     

    Et c’est à juste titre ! Autant les nuances, réelles, et même les franches oppositions de ces deux partis, notamment dans le canton de Vaud, ont habité le dix-neuvième et une bonne partie du vingtième siècle, autant, aujourd’hui, elles s’évanouissent dans les profondeurs de l’Histoire. Bien sûr, les uns étaient plutôt patriciens, les autres plutôt populaires, les uns plutôt financiers, les autres plutôt artisans ou industriels, tout cela, toute cette fracture, a eu du sens. Il est passionnant, historiquement, de s’y pencher, de recréer les sociologies de ces époques. Mais tout cela, aujourd’hui, appartient au passé.

     

    Car enfin, entre le socialisme et l’UDC, que représentent ces deux partis qui, au niveau national, vont bientôt s’unir (en 2009, apprend-on aujourd’hui) ? La promotion de l’individu, l’attachement à une formation de qualité, cultivant les valeurs de mérite et d’effort, le travail sans compter, l’encouragement à la libre entreprise, le jeu de la concurrence. La combat pour une Suisse ouverte, le rejet de la xénophobie, l’acceptation de l’étranger comme valeur constitutive de notre pays, pour peu qu’il en respecte les règles, et en accepte les devoirs. Enfin, la répartition, oui, mais une fois les richesses produites, ce qui ne va pas sans un immense effort. Ces quelques valeurs-là, non seulement justifient la fusion des radicaux et des libéraux, tant elles leur sont communes, mais doivent accélérer l’audace de ces familles politiques à se rapprocher, tout autant, du PDC, et même d’une partie de l’UDC, celle qui en a peut-être assez de voir les étrangers investis de tous les maux.

     

    Sur le constat, beaucoup sont d’accord. Demeurent les résistances, tant dans les cantons (les trois de Suisse romande où existent encore des libéraux) que dans la guéguerre que se mènent Christophe Darbellay et Fulvio Pelli, ce dernier ayant eu largement tort de refuser la main tendue du premier. Dans ce champ de tensions, un homme se bat pour l’union : le libéral Pierre Weiss. Actif, imaginatif, aimé ou détesté, mais un homme avec une vision, qui veut voir l’intérêt de la droite suisse tout entière (au demeurant nettement majoritaire dans le pays), plutôt que s’appesantir à tout prix sur le poids des héritages, où les poussières patriciennes le disputent aux jouissances claniques des notables.

     

    A cet égard, la lenteur des calendriers que semblent esquisser certains caciques des partis cantonaux, voulant à tout prix laisser du temps au temps, évoquant tout au mieux l’horizon de 2015, a de quoi laisser pantois. En politique, la manœuvre exige parfois qu’on se réveille : la faiblesse des résultats du parti socialiste (qui a passé, à la baisse, le 21 octobre 2007, la barre des 20%), alliée aux problèmes internes de l’UDC, tout cela constitue une opportunité historique pour une recomposition de la droite, ou du centre-droit. Et Christophe Darbellay a parfaitement raison d’évoquer l’idée de « Charte ». En moins de dix minutes, n’importe quel esprit un peu éclairé et synthétique, au demeurant, vous la jetterait sur le papier. Point besoin de discours de Bayeux, ni de Brazzaville : une page A4 suffit.

     

    Face à ces enjeux, les querelles d’étiquette apparaissent bien mineures. Notre pays va vivre, l’an prochain, un important rendez-vous avec l’Europe, ce continent dont il est, à tous les égards, central. Il doit redéfinir la place de l’Etat, en délimiter le socle régalien, réinventer la relation du citoyen avec la fiscalité. Il doit refaire l’Ecole, pousser à tout prix la qualité de la formation. Ces défis exigent, de gauche comme de droite, des positions claires : entre le socialisme et l’UDC, il existe une troisième voie, libérale et ouverte. Une, mais pas nécessairement trente-six.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Là-bas, la Méditerranée


     

    En filigrane d’un grand projet diplomatique – du moins on aimerait y croire – la lecture du tout dernier Lacouture, l’un des plus beaux.

     

    Sur le vif – Dimanche 13.07.08 – 19.25h

     

    On peut penser ce qu’on veut de Nicolas Sarkozy, des signaux de sa politique étrangère depuis quatorze mois, il n’en reste pas moins que l’Union pour la Méditerranée, lancée aujourd’hui à Paris par les dirigeants de plus de quarante pays, peut être considérée, en tout cas dans son principe politique, comme une noble, une grande idée. Que l’Elysée, 46 ans, presque jour pour jour, après l’entrée en vigueur des Accords d’Evian et la rentrée en Métropole – dans le désarroi qu’on sait – de centaines de milliers de Français d’Algérie, prenne l’initiative de tourner à nouveau son regard vers le Sud, il y a là un signal qui pourrait déboucher sur quelque chose de fort. Souvent, dans son Histoire, lorsque l’Europe est dans l’impasse, la France s’emploie à réinventer sa dimension méditerranéenne. En 1962, c’est exactement le contraire qui s’est produit : au moment où elle doit tourner la page de quatre siècles d’Histoire coloniale, elle se redécouvre rhénane, et scelle avec l’Allemagne, dans un esprit de réconciliation, ce qui sera le pilier de la construction européenne.

     

    Une coïncidence veut que la grande initiative diplomatique lancée aujourd’hui (puisse-t-elle embraser les cœurs, et non les simples chancelleries) soit lancée au moment où j’ai le bonheur de savourer chaque ligne de l’éblouissante « Algérie algérienne », que vient de publier Jean Lacouture, 87 ans, chez Gallimard. Un essai d’une incroyable acuité sur les 132 ans de présence française dans ce pays, sur les grands penseurs arabes ou kabyles de l’idée d’indépendance, sur la puissance des liens, fussent-ils d’amour ou de haine, entre l’Algérie et la France. De l’expédition de 1830, dans les derniers jours du règne de Charles X, jusqu’au départ des colons, en 1962, dans le fracas des attentats de l’OAS, il fallait ce livre, il fallait la connaissance du monde arabe par Lacouture (bien au-delà de l’Algérie, et à commencer par celles de l’Egypte, du Maroc, de la Tunisie et du Levant), pour poser quelques jalons de lumière dans une très grande complexité.

     

    Où l’on s’aperçoit que, sur ces 132 ans, Paris n’a jamais eu, au fond, de politique algérienne cohérente. Dès les premières années, au moment où Bugeaud combat le grand Abd el-Kader, il n’est jamais clairement tranché s’il faut se contenter de quelques « comptoirs » (Oran, Alger, Mostaganem), ou s’implanter pour longtemps dans l’immensité de l’arrière-pays. Puis c’est Napoléon III qui rêve d’un « royaume arabe », puis la République qui envoie dans la Mitidja les Alsaciens venant chercher quelque revanche de vivre après la défaite de 1870. Ensuite encore, le temps de la gauche colonisatrice, avec Jules Ferry, combattue par Clemenceau qui n’y voit qu’un dérivatif au seul combat qui vaille : la revanche, la reconquête de l’Alsace-Lorraine.

     

    Ce livre, c’est encore le sang des Musulmans dans les combats de la Grande Guerre, et encore en 1940, sans que jamais la moindre contrepartie, en termes de citoyenneté, ne leur soit octroyée. Ce Lacouture, enfin, c’est le récit de la lente germination de l’idée d’indépendance (Messali Hadj, Ferhat Abbas, et tant d’autres, qui d’ailleurs ne cessent de se combattre, on le verra dès l’Indépendance), et le rappel de ces « événements », du 1er novembre 1954 jusqu’à juillet 1962, qu’on appelle, un peu communément, « la Guerre d’Algérie ». N’a-t-elle pas, d’ailleurs, éclaté dès le 8 mai 1945, dans les terribles événements de Sétif, où le sang, la mort et l’horreur ont envahi le Constantinois ?

     

    Revenons à Sarkozy. Son projet, bien sûr, va immensément plus loin que la seule Algérie, ni le seul Maghreb, ni même la seule Afrique du Nord : la star (diversement goûtée) de ce dimanche n’a-t-elle pas été le Président syrien Bachar al-Assad ? Déjà, mille reproches peuvent légitimement affleurer : gigantisme (43 pays, 750 millions d’âmes), néo-colonialisme, solo français qui fâche le grand voisin allemand, et qui aurait même pu froisser la diplomatie européenne, si cette dernière avait le moindre embryon d’existence. Bien sûr, il y a quelques chose de trop grand, d’exagéré, malgré tous les livres de Braudel (et autant de chefs-d’œuvre) à vouloir absolument définir un lien entre des communautés humaines si différentes. Déjà, le Mare Nostrum des empereurs romains du grand siècle apparaissait comme un mirage, camouflant mille fissures. Bien sûr, tout cela est, tous ces leurres menacent, et les détracteurs du projet ne manqueront pas de le relever.

     

    Mais quoi ! Voilà un Président français, également Président (pour six mois) de l’Union européenne, qui, pour la première fois depuis pas mal de temps dans l’Histoire récente de son pays, prend une grande initiative, se risque à un grand dessein. Peut-être échouera-t-il. Mais il aura, pour le moins, proposé un horizon. Cela, qu’on aime ou non Nicolas Sarkozy, mérite d’être salué. Et la Méditerranée, tellement, mérite nos attentions. Alors, à supposer que vous ne sachiez pas par quoi commencer, permettez-moi, à part Braudel bien sûr, de vous conseiller Lacouture. Biographe de Nasser. Et auteur de cette « Algérie algérienne », dont l’intelligence éblouira votre été. Même les soirs de pluie.

     

    Pascal Décaillet