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Liberté - Page 1542

  • Mon premier livre d’été : Lacouture



    Édito Lausanne FM – Mercredi 25.06.08 – 07.50h

    La promesse de vacances est une promesse de lectures. Je sais déjà quel sera mon tout premier livre, quelque part au-delà des Alpes : « L’Algérie algérienne », de Jean Lacouture, aux Editions NRF Gallimard. Parce que l’Histoire de l’Algérie, depuis 1830 en tout cas, est l’une de mes passions. Et parce que Jean Lacouture, ce formidable jeune homme de 87 ans, est, de loin, l’auteur que j’ai le plus lu. À part Hergé, bien sûr.

    Je vous le dis tout net : il faut lire tous les livres de Lacouture. Et certains, comme le « Mauriac », le « Mendès France », et surtout l’éblouissant triptyque sur de Gaulle, il faut les lire cent fois. Lacouture, c’est un journaliste, exceptionnel témoin de son temps, et c’est un écrivain. Son « Mauriac » nous décrit le Bordeaux du tournant des deux siècles, celui qui verra grandir à la fois l’auteur de Thérèse et, plus tard, Lacouture lui-même, comme personne avant lui n’avait réussi à le faire. Monde fermé, bourgeoisie possédante, venimeuse et pieuse, nœud de vipères.

    Mais il y a aussi Nasser, Hô Chi Minh, Léon Blum, Champollion, Malraux, Montaigne, Mitterrand, Germaine Tillion (qui vient, centenaire, de nous quitter), sans oublier l’exceptionnelle série sur l’histoire des Jésuites, d’Ignace de Loyola  à Saint François Xavier. Lacouture est le plus grand biographe politique de langue française au vingtième siècle.

    Ajoutez à cela un homme simple et effervescent, étourdissant dans l’interview, répondant exactement à votre question, mais par mille détours. On aurait envie de l’entendre, et l’entendre encore.

    Oui, je lirai cette « Algérie algérienne », comme j’ai lu et relu tous les autres, sans doute dix fois le « Mauriac » et une bonne trentaine, le « de Gaulle ». C’est mon problème : je lis toujours les mêmes livres. Comme pour revivre, encore et toujours, ce moment de l’étreinte première avec certains textes. L’Algérie, Lacouture la connaît par cœur. Celle de la présence française, celle de la décolonisation, celle de l’émir Abd el-Kader, de Messali Hadj et de Fehrat Abbas.

    L’idée de me plonger dans cette histoire incomparable, la lente découverte d’une identité nationale, quelque part, oui, au-delà des Alpes, tout cela, par avance, m’enchante et me ravit. Et moi, heureux homme, quelque part dans « les plaines les plus fertiles du monde » (Bonaparte), je penserai à la Mitidja, juste là-bas, sur cette même Mer qui est nôtre. Quelque part, à la fois ailleurs et ici, sous le soleil.

  • Moustache et délation



    Édito Lausanne FM – Mardi 24.06.08 – 07.50h

    Débonnaire et moustachu, le bon docteur Rielle est un socialiste sympathique, ce qui est, en ce bas monde, une grâce aussi rare qu’un trèfle à quatre feuilles. Il ne donne pas l’impression, dès le premier abord, de s’apprêter à vous poignarder le dos. Il ne cherche, en apparence, à régenter ni la langue, ni la presse. Il ne vous assomme pas, d’emblée, avec la morale ou l’idéologie. Bref, presque fréquentable.

    Presque, sauf lorsqu’il part en croisade. Son mirage à lui, sa Jérusalem céleste, ses moulins à vent, c’est la fumée. La bagarre de sa vie. Qui l’a sans doute, maintes fois, transformé en héros, où Rielle deviendrait Rieux, et le tabac, la Peste. Il a, avec lui, la morale, et, bien mieux : une récente majorité du peuple de son canton. Que demander de plus ? Peut-être, un jour, comme les animaux de Brême, aura-t-il sa statue.

    Le hic, c’est lorsque la moustache devient délation. Qu’un avocat parmi les plus brillants, Me Bonnant, ait déclaré, dans un impétueux élan d’insolence libertaire, ne pas se sentir lié par l’interdiction de fumer dans les lieux publics, qui entre en vigueur le 1er juillet à Genève, est une chose. Il existe des provocations un rien plus dangereuses pour l’ordre public. Mais enfin, admettons qu’il y ait là quelque fureur adolescente, demeurée comme braise.

    Mais que Papy Moustache, devenu Papy délation, se croit obligé de saisir le bâtonnier de l’Ordre, se demandant si l’invétéré torrailleur est encore digne de siéger au Conseil supérieur de la magistrature, il y aurait presque là de quoi ternir une vie d’efforts pour paraître débonnaire. Quand on a affaire à un être aussi esthétiquement individuel que Me Bonnant, il faut l’attaquer lui, en face, d’homme à homme, et il y a quelque chose de vulgaire à s’en aller saisir quelque instance collective. Comme d’autres imposent des directives pour régenter la langue.

    Cela, docteur Rielle, bien pire qu’une entorse à la morale, aux usages, à l’éthique, à l’habileté, cela porte un nom qui doit déplaire souverainement aux patriciennes préférences de notre homme de robe : cela s’appelle une faute de goût.





  • Vers l’armée de métier



    Édito Lausanne FM – Lundi 23.06.08 – 07.50h


    Le récent drame de la Kander amène de nombreux observateurs à cette question, que nous nous posons tous : « A quoi sert donc l’armée suisse » ? J’ai fait, dans ma vie, près de 500 jours d’armée, n’étant ni antimilitariste ni fana du treillis, disons que j’ai fait mon boulot, comme l’immense majorité de mes camarades. À l’époque déjà, la question de la finalité suprême se posait. Aujourd’hui, elle est franchement brûlante : nul ne peut plus l’esquiver.

    Pendant toute ma jeunesse, en tout cas jusqu’au 9 novembre 1989, on nous parlait défense frontale du pays, guerre de chars en rase campagne, combats de position en milieu urbain. Bref, nous attendions Guderian. Puis, une fois le Mur tombé, on a commencé à parler menace terroriste. Le 11 septembre 2001 ayant évidemment donné aux tenants de cette hypothèse une sacrée aubaine. Entre ces deux dates, l’armée suisse avait déjà accompli d’immenses réformes, sous l’impulsion, notamment, d’une commission à laquelle j’avais eu l’honneur d’appartenir, en 1990, la commission Schoch. Sous l’impulsion, aussi, de deux excellents ministres de la Défense successifs : Kaspar Villiger et Adolf Ogi.

    Sur les années Schmid, je serai plus réservé, la lenteur de réaction et le manque de vision prospective, le manque d’audace aussi, du principal intéressé n’y étant pas pour rien. Car enfin, il ne suffit pas d’être colonel soi-même, certes humaniste et profondément respectueux des hommes, pour affronter avec lucidité et imagination les défis du futur. Aujourd’hui, la question est : « Au nom de quoi la Suisse a-t-elle encore besoin d’une armée avec conscription obligatoire ? ». Qu’on ne vienne pas nous parler de creuset pour l’identité nationale : le rôle de l’armée est de défendre le pays, ou d’accomplir des tâches de sécurité vitales, non d’éduquer les gens au vivre ensemble. Pour cela, on pourrait imaginer qu’il y ait, par exemple, l’école. Ou la famille.

    Bien sûr, toute collectivité humaine a besoin de pouvoir assumer sa sécurité. Mais franchement, à cet effet, un corps professionnel, parfaitement instruit, motivé, auquel on aura pris soin d’extraire les Rambos, peut rendre au pays d’immenses services. Il y a, pour cela, en Suisse, largement assez de volontaires. Cette question, dans les années qui viennent, sera à l’ordre du jour. Elle appartient évidemment aux citoyens de ce pays dans leur corps électoral le plus large : le suffrage universel. Le jour venu, j’en suis persuadé, les citoyens diront oui.