Ou : la ligne bleue de la victoire.
Édito Lausanne FM – Mercredi 18.06.08 – 07.50h
Hier soir, sur la TSR, juste après France-Italie, Pierre-Yves Maillard. Parmi quelques invités, autour de Massimo Lorenzi, il commente le match. Moment de bonheur. Je le dis, l’écris, depuis des années : lorsque Maillard parle, la rhétorique est reine. Sans ornements, surtout pas. Juste la puissance d’une sincérité, un sens inné de l’image, la phrase courte, le verbe actif, PYM dribble l’obscure complexité du monde, éclaircit nos esprits, et marque. Il paraît qu’il est socialiste : nul n’est parfait.
Ce qu’a dit Maillard de cet Euro, en quelques mots, était tellement juste, tellement cristallin, qu’il faisait passer les didascalies antérieures de tant de commentateurs, depuis deux semaines, pour un galimatias. De quoi a-t-il parlé ? De l’excès absolu de défensive, dans la plupart des équipes, du verrouillage à la Vauban de certains entraîneurs concevant le jeu comme une guerre de tranchées, leur équipe comme une forteresse à défendre. Ah, qui dirait les bienfaits de l’huile bouillante, si le règlement voulait bien le permettre !
Au lieu de cela, PYM, ancien footballeur, ancien buteur du pied gauche au parti socialiste suisse, rêve d’un jeu ouvert : dégarnir la défense, mettre la force et la puissance du désir sur l’attaque. On y prendrait quelques buts, mais diable, on en marquerait aussi ! C’est tout Maillard, et c’est toute la vie : privilégier les offensives, les idées, l’imagination, le désir de vivre, sur la peur d’encaisser. Alors on encaisse, bien sûr, mais on vit. On traîne ses cicatrices sur la pelouse, on promène sa balafre (ah, Ribéry, Ribéry, l’infortuné, hier, sur sa civière !) à la face du monde, on se blesse, on sanguinole, on dégouline, mais on finit par marquer.
Hier soir, PYM parlait, et paf, on ne voyait, on n’entendait que lui. De quoi rendre jaloux des milliers de ses camarades, qui voudraient croire à l’égalité dans l’ordre du talent. Tous, il les dépasse. Les lignes de défense, il les enfonce. Seule l’obsède la ligne bleue de la victoire. Bleue comme ses yeux. Bleue, comme des milliers d’oranges dans le ciel noir, lorsqu’on a le sentiment, un peu, parfois, de vivre sa vie.
Liberté - Page 1544
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PYM, paf, et but !
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La Suisse n’a pas besoin d’un nouveau parti
Édito Lausanne FM – Mardi 17.06.08 – 07.50h
« Bürgerliche Partei Schweiz » : c’est le nom, annoncé hier soir, du nouveau parti issu de l’UDC grisonne, bannie par le parti national. Des Glaronnais, des Bernois pourraient y adhérer, Eveline Widmer-Schlumpf aussi. Le parti ambitionne de devenir national, et d’obtenir un groupe aux Chambres fédérales.
Ce nouveau-né, sur la scène politique suisse, est-il viable ? À terme, rien n’est moins sûr. Oh, il a parfaitement le droit d’exister : la liberté d’association, legs de la Révolution française, est dûment reconnue dans notre pays. On peut bien le porter sur les fonts baptismaux. Mais est-il viable ?
En Suisse comme ailleurs, on ne crée quasiment jamais de nouveau parti. Trois de nos quatre partis gouvernementaux, au niveau fédéral (les radicaux, le PDC, les socialistes) ont chacun plus d’un siècle d’histoire. Tout au plus, çà et là, un changement d’étiquette, les catholiques-conservateurs devenant PDC. En France, le RPF devenant UNR, puis UDR, puis RPR, pour enfin se fondre dans l’UMP. Mais si on dit « les gaullistes », on comprend tout, la référence à un homme d’exception rendant dérisoires bien des abréviations. Quant à la CDU allemande, elle est fille, en droite ligne, du Zentrum bismarckien : on ne change pas si facilement les lames de fond.
Surtout, un nouveau parti en Suisse, pour occuper quelle place ? Si ces ex-UDC restent libéraux dans l’économie, mais en ont assez des excès xénophobes, alors l’univers libéral-radical les attend. Y compris s’ils ont des doutes sur l’entrée de la Suisse dans l’Union européenne, cette question divisant transversalement toutes nos grandes formations politiques. Ce dont ont besoin les grands courants de droite, en Suisse, ça n’est surtout pas de se multiplier, mais bel et bien de se fédérer sous une même bannière. Avec un peu d’imagination et de vision, on saisira sans trop de peine toute la communauté de culture politique qui, du PDC à l’aile non-xénophobe de l’UDC, pourrait constituer, un jour, une grande fédération. C’est cela, le grand projet, cela la grande ambition. L’idée, pour l’heure, chemine encore souterrainement. Mais un jour, elle s’imposera. Espérons simplement qu’il ne soit pas trop tard.
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« Votre appareil ne nous intéresse pas ! »
Ou : l’illusion participative, suite.
Édito Lausanne FM – 16.06.08 – 07.50h
Insupportable, l’obsession participative de certaines antennes publiques commence à prendre des proportions de baroque et de préciosité qui ne manqueront pas d’intéresser nos cabarettistes. A l’exception, bien sûr, de ceux que les mêmes antennes stipendient : l’insolence a ses limites, que l’estomac dessine.
Il y a toujours eu des lecteurs pour écrire aux journaux, des auditeurs ou spectateurs pour intervenir en radio ou en télé. Il y a même des émissions, du soir, magnifiquement faites, où la parole de l’autre, à qui on laisse de la place et du temps, est devenue un fleuron : Bernard Pichon, Laurent Voisin, Etienne Fernagut en Suisse, Macha Béranger sur France Inter, en ont été d’admirables artisans.
Ces émissions, toujours, demeureront. Il est bien clair qu’une radio ne peut donner à entendre que la seule voix de ses professionnels, doit faire parvenir au public le bruissement ou la fureur du monde, des milliers de voix anonymes. La première chose, pour y parvenir, au lieu de déifier l’auditeur-alibi, serait déjà de renoncer à la quiétude assise des studios et d’aller humer, flairer ce qui se passe dehors, là où bat la vraie vie. Le concept même de studio, avec ses murs de béton et ses portes capitonnées, cette ahurissante forteresse où il faudrait s’isoler de tout murmure de vie, appartient déjà au passé. C’est la radio du vingtième siècle, pas celle du vingt-et-unième.
Avec une valise-satellite et un technicien, un micro HF sans fil, un casque sans fil, vous pouvez donner la parole, vous-même en mouvement, à des dizaines de personnes, sur un lieu fort lié à l’actualité du jour, en une heure d’émission. Des gens que vous avez dans les yeux, avec un nom et un prénom, une authentique raison d’être à cet endroit et à ce moment, bref le contraire de cet anonymat participatif où on sait très bien que ne fleurissent que quelques permanents, toujours les mêmes, s’abritant sous des pseudonymes, trafiquant leurs adresses e-mail. Ces gens-là, au reste, ont parfaitement le droit d’exister, de donner leur avis tant qu’ils veulent : je dis simplement qu’il est excessif de les déifier.
Ce qui est devenu, décidément, insupportable, ça n’est pas l’intervention des auditeurs, c’est la récurrence des meneurs d’émission dans la quête de la manne participative. Plus une seule émission sans des incantations du style : « Votre avis nous intéresse, écrivez-nous, téléphonez-nous », ou, mieux encore : « Aidez-nous à construire l’émission ». Face à cette folie, où le journalisme se castre lui-même de son devoir de choix des sujets et des angles, j’aurais envie, un peu par dérision, de prendre une craie, comme le capitaine Haddock, et d’écrire, bien gros, sur un mur : « Votre appareil ne nous intéresse pas ! ». Le chapeau de l’auditeur, comme celui de Tournesol, en léviterait d’étonnement. Comme en défi aux pesanteurs et aux conformismes.