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Liberté - Page 1536

  • Les petits calculs d’Ueli Leuenberger



    Dimanche 10.08.08 – 20.20h

    Ou : de l’hapax du 12 décembre 2007…

    Invité sur une onde publique, il y a quelques minutes, à débattre de l’avenir du Conseil fédéral, Ueli Leuenberger vient de nous délecter de son petit numéro, au moins trihebdomadaire, parfaitement rodé, dans lequel il plaide pour l’objectif qui, tout entier, l’habite : l’entrée d’un Vert au gouvernement suisse.

    Au-delà de l’omniprésence estivale du président des Verts dans l’espace médiatique, et surtout de la pieuse béatitude avec laquelle sont accueillis ses propos par ceux qui les récoltent, il faut décrypter la stratégie d’Ueli Leuenberger en vue de l’exécutif fédéral. En précisant – j’y tiens – que se battre pour un siège gouvernemental n’a évidemment rien de choquant, en soi, quand on fait de la politique en Suisse.

    Si le système suisse doit être proportionnaliste, alors, comme il y a sept conseillers fédéraux, il faudrait grosso modo passer la barre des 14% aux élections fédérales pour pouvoir prétendre à un siège à l’exécutif. Les Verts, avec leurs 9,6% obtenus le 21 octobre 2007, en sont loin.

    Dès lors, Ueli Leuenberger préfère s’inscrire dans la logique de l’alliance. Logique que je partage totalement, sur le principe : le gouvernement de la Suisse, comme celui d’un canton, doit être le fruit d’une coalition, avec un programme d’action, une cohérence, une colonne vertébrale idéologique, je viens de le rappeler dans mon récent papier sur les élections valaisannes. Surtout, un gouvernement ne doit pas se contenter de n’être que le simple reflet proportionnel des forces du parlement. Sur ce point-là, je rejoins Ueli Leuenberger. Il ne m’a jamais choqué, par exemple, que le FDP allemand (les libéraux) aient des ministres dans des cabinets, même avec moins de 10%. Pour peu qu’ils fussent, clairement, dans la coalition des vainqueurs, aux élections.

    Dès lors, quelle coalition, en Suisse, pour permettre aux Verts d’avoir un conseiller fédéral ? Avec les seuls socialistes, ils ne totaliseraient que 29% du corps électoral. D’où, bien sûr, la tactique consistant à tenter quelque chose avec le PDC. Le coup du 12 décembre ayant réussi avec cet axe-là (agrémenté de quelques trahisons sporadiques à droite), Ueli Leuenberger se dit qu’on pourrait le réitérer sur des dossiers thématiques. Voire élargir cette entente à quelque chose de plus.

    Face à ce petit jeu, un homme occupe une fonction-charnière: Christophe Darbellay. Si le président du PDC suisse, le 12 décembre 2007, a fricoté avec Christian Levrat et Ueli Leuenberger, c’était sur un coup précis, ponctuel, personnel : avoir la peau de Christoph Blocher. Ce que j’en pense, on le sait, je n’y reviendrai pas. Mais toute personne honnête doit admettre que, depuis, le Valaisan, a donné suffisamment de garanties à la droite suisse pour qu’on puisse considérer le coup de décembre comme un « hapax », un événement qui ne se produit qu’une fois (ou un mot, dans un corpus littéraire, qui ne survient qu’une fois). Au point que cet événement ne serait en rien l’indice d’un renversement d’alliance.

    Cela, il est important que Christophe Darbellay le signifie, pendant tout le reste de la législature, avec une totale clarté au président des Verts. Le PDC peut certes s’entendre avec ces derniers sur des questions climatiques, mais il doit se rappeler, clairement, que ses fondements idéologiques, philosophiques, économiques, son siècle de pratique politique en Suisse, le rattachent à la famille de la droite. Se souvenir, aussi, que, dans les grandes échéances électorales, les Verts votent TOUJOURS avec la gauche. Et même avec une belle discipline. Au jeu de l’illusion centriste, cette grande mode des « passerelles », il y a toujours un corbeau et un renard, un rusé et un dupé.

    Dans le rôle du renard, Ueli Leuenberger, j’en conviens, se déploie avec un certain talent. Le problème, ça n’est pas son obsession fromagère. Ce serait plutôt la propension de certains oisillons de la politique suisse à lâcher leur proie, dès que surgit le Rayon vert. Tellement tendance. Et tellement mode.

    Pascal Décaillet

  • Cohn-Bendit et la Grande Muraille de l’énormité



    Vendredi 08.08.08. – 19.30h

    De Mai 68, on connaissait déjà l’extrême finesse ciselée, toute en nuances, du slogan « CRS-SS ! », qui assimilait les Compagnies républicaines de sécurité de la fin des années soixante, en France, aux pires phalanges du pire régime du vingtième siècle. Pour la grâce d’une homophonie, certes sonore et efficace à l’oreille, et les périlleuses délices d’une hyperbole, on plaquait sur les murs, sans sourciller, l’un des amalgames les plus ahurissants de l’après-guerre. Le chef des étudiants, en mai 68, s’appelait Daniel Cohn-Bendit.

    Quarante ans plus tard, le même homme, aujourd’hui député européen des Verts, compare la Chine de 2008 à l’Allemagne hitlérienne de 1936. « Etait-il juste, en Allemagne en 1936, d’aller serrer la pince à Hitler ? ». Cela pour condamner le voyage de Nicolas Sarkozy à Pékin.

    Oh, certes, ne comptez pas sur moi pour défendre l’actuel régime chinois. Nous savons ce que, là-bas, il advient des droits de l’homme. Nous connaissons, aussi, la question tibétaine. Mais se référer au nazisme, là nous ne sommes plus dans le simple registre de l’oxymore, mais dans celui de la ligne jaune franchie à pieds joints, avec toute l’allégresse de l’ignorance de l’Histoire. Registre dans lequel notre cher locuteur, depuis quatre belles décennies, se plaît à exceller avec une métronomique régularité.

    On nous dira que le Reich de 1936 n’est pas encore celui des années 1942-1945, celles de la Conférence de Wannsee et de la solution finale. Certes. Mais l’horreur absolue de la déportation et du génocide, cette Allemagne de l’année olympique les porte déjà en germes. « Mein Kampf », écrit une décennie plus tôt par Adolf Hitler, est, en cette année 1936, un best-seller : l’idée d’éliminer une communauté humaine, en tant que telle, y est très clairement libellée et soutenue. Et puis, les lois de Nuremberg datent du 15 septembre 1935. Je suis désolé, mais la Chine de 2008, toute condamnable soit-elle, ça n’est pas encore exactement cela.

    Quant à Cohn-Bendit, n’ayez aucune crainte pour lui. Il survivra parfaitement à ce dérapage. L’océan de béatitude médiatique dans lequel il baigne depuis ses jeunes années, l’immunité dont il jouit (sans entraves, of course), tout cela lui assure encore, pour de longues années, toute latitude pour franchir quand il le veut, la Grande Muraille de l’ineptie et de l’énormité.

    Pascal Décaillet










  • Politique valaisanne : la fermentation avant la vendange

     

    Mercredi 06.08.08 – 19.50h

    Qu’un vin fermente, et jusqu’aux enchanteresses délices de la surmaturation, n’est-ce pas l’un des plus beaux dons de notre misérable monde ? À un minuscule détail près : il n’est peut-être pas totalement inutile, pour laisser fermenter en cave un raisin, d’avoir commencé par… le vendanger ! Détail qui semble avoir échappé au président du parti socialiste du Valais romand, Jean-Henri Dumont.

    Qu’a-t-il inventé, le cher homme ? L’idée d’une alliance d’intérêts, en vue des élections de mars 2009, entre les socialistes et… l’UDC ! Contre le parti qui, depuis un siècle et demi, tient le Valais : la démocratie chrétienne. Qu’on appelait naguère les « conservateurs ». Le parti de loin, aujourd’hui encore, le plus important du canton, cela par la volonté des électeurs. Pour maintenir le siège socialiste au Conseil d’Etat (il existe depuis une décennie : Bodenmann, puis Burgener), Jean-Henri Dumont invoque l’argument proportionnaliste, et se dit prêt à voir arriver, « en symétrie », un UDC au gouvernement valaisan.

    L’idée tient du surréalisme. Elle postule qu’un gouvernement ne devrait être, sans aucune idée de cohérence idéologique, que l’exact reflet des forces du parlement. Une sorte de parlement bis, en plus réduit. Jusqu’à faire cohabiter, pour prendre des décisions exécutives, les visions de société les plus antagonistes. Avec des extrêmes tout heureux de serrer en tenailles les forces politiques correspondant à la nette majorité voulue, et constamment rappelée, par le peuple. Ces forces, je les cite, et je tiens à les citer ensemble, aussi rivales eussent-elles été depuis le Sonderbund : la démocratie chrétienne, bien sûr, mais aussi le parti radical. Qu’on appelle maintenant « Parti Libéral-Radical Valaisan ».

    Oui, je les cite ensemble, ce que je ne cesse de faire depuis quatre ans (Orsières, 1er août 2004), parce que leur destin, cela crève les yeux, au niveau fédéral comme dans les cantons, est de faire route l’un avec l’autre. Non pour des raisons tactiques. Mais parce qu’ils représentent, au-delà des clans et des familles, au-delà de la bataille du Trient, les mêmes valeurs, la même vision de la société. Le socialisme en est une autre. L’UDC, encore une autre.

    Fermentation avant la vendange, parce que, jusqu’à nouvel ordre, les élections valaisannes n’ont pas encore eu lieu. Elles seront, en mars 2009, très ouvertes : le champ du possible est impressionnant. Ce que décidera l’électorat valaisan, nous le verrons bien. Mais une chose est sûre : le Valais n’a aucun intérêt à un gouvernement formé de représentants de commis-voyageurs des différents partis, porteurs de valises de leurs idéologies respectives.

    Un gouvernement, cela doit être doit être une vision commune, un plan d’action, un programme de législature, une cohérence. La représentation des minorités n’est pas un but en soi : elle ne peut être envisagée que sur la base d’accords, où chacun sait jusqu’où l’autre peut aller. Pour le dire plus crûment : la démocratie, c’est plutôt le pouvoir à la majorité, me semble-t-il, qu’à l’addition disparate et opportuniste des minorités. Non ?

    Reste, bien sûr, à définir cette cohérence. Chacun jugera. Pour ma part, il m’apparaît que l’attelage combiné, depuis des décennies en Valais, entre le PDC et les radicaux, n’est de loin pas le moins qualifié pour conduire la politique du canton. Que le cinquième magistrat soit un socialiste, ou un UDC, à voir. Et encore, je ne suis pas sûr que ce soit absolument nécessaire. Mais qu’une combinazione de minoritaires prétende, en tirant dans tous les sens, siéger ensemble, juste pour siéger, et au nom d’un proportionnalisme castrant et paralysant, il y a là une démesure, une fermentation des lois les plus élémentaires de la mécanique politique, qui ne serviraient en rien les intérêts supérieurs du canton.

    Pascal Décaillet