Édito Lausanne FM – Jeudi 19.06.08 – 07.50h
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Christoph Blocher, hier, a déconcerté tout le monde. Non en refusant de se lancer dans un référendum contre la prolongation de la libre circulation des personnes, et son extension à la Roumanie et à la Bulgarie. Mais en invitant son parti à s’abstenir, le jour venu, sur cette question majeure, la mère de toutes les votations de la législature.
Sur le refus du référendum, la logique de Blocher, en soi, est claire : il est pour la libre circulation, contre son extension aux Roumains et aux Bulgares, considère comme scélérat le lien établi par le Parlement entre ces deux questions, mais ne veut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Il nous l’a dit, clairement, hier soir.
Ce qui ne va pas, c’est cet appel à l’abstention. De la part d’un tel homme, qui a passé sa vie à prendre des décisions, dans l’économie, puis en politique, prôner l’Aventin donne des allures de retraite, plutôt que de simple retrait. Vieillirait-il ? On peut certes condamner la décision du Parlement d’avoir lié les deux objets, considérer qu’on force la main des Suisses, sur la question roumaine et bulgare. Mais de là, par bouderie, à inviter le plus grand parti de Suisse à ne rien décider sur un enjeu de destin du pays, il y a quelque chose qui ne va pas.
Car enfin, que pourrait-il bien se passer ? Les Suisses accepteraient, un beau dimanche, le paquet global, et l’UDC n’aurait même pas pris part à cette décision, ne fût-ce que pour s’y opposer ! Ne pas participer, en politique, c’est pire que perdre. Jean-Pascal Delamuraz, le 6 décembre 1992, a certes perdu, mais après quel combat !
Surtout, il y aurait mieux à faire que perdre : gagner. Refuser le référendum, et faire franchement campagne, avec les autres, pour la libre circulation. Le premier parti du pays y perdrait sans doute en identité oppositionnelle, mais gagnerait beaucoup en crédibilité gouvernementale. Tout ce que Blocher déteste, me direz-vous, et c’est sans doute là le fond du problème. Risquer, pour la sauvegarde d’une stature et d’une posture personnelles, la ruine de l’entreprise dont on est le père et l’auteur, cela s’est vu, parfois, ailleurs. Pour le tribun zurichois, au tournant de son destin politique, l’écueil est là, devant lui, sur le chemin.
Liberté - Page 1534
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Blocher sur l'Aventin
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PYM, paf, et but !
Ou : la ligne bleue de la victoire.
Édito Lausanne FM – Mercredi 18.06.08 – 07.50h
Hier soir, sur la TSR, juste après France-Italie, Pierre-Yves Maillard. Parmi quelques invités, autour de Massimo Lorenzi, il commente le match. Moment de bonheur. Je le dis, l’écris, depuis des années : lorsque Maillard parle, la rhétorique est reine. Sans ornements, surtout pas. Juste la puissance d’une sincérité, un sens inné de l’image, la phrase courte, le verbe actif, PYM dribble l’obscure complexité du monde, éclaircit nos esprits, et marque. Il paraît qu’il est socialiste : nul n’est parfait.
Ce qu’a dit Maillard de cet Euro, en quelques mots, était tellement juste, tellement cristallin, qu’il faisait passer les didascalies antérieures de tant de commentateurs, depuis deux semaines, pour un galimatias. De quoi a-t-il parlé ? De l’excès absolu de défensive, dans la plupart des équipes, du verrouillage à la Vauban de certains entraîneurs concevant le jeu comme une guerre de tranchées, leur équipe comme une forteresse à défendre. Ah, qui dirait les bienfaits de l’huile bouillante, si le règlement voulait bien le permettre !
Au lieu de cela, PYM, ancien footballeur, ancien buteur du pied gauche au parti socialiste suisse, rêve d’un jeu ouvert : dégarnir la défense, mettre la force et la puissance du désir sur l’attaque. On y prendrait quelques buts, mais diable, on en marquerait aussi ! C’est tout Maillard, et c’est toute la vie : privilégier les offensives, les idées, l’imagination, le désir de vivre, sur la peur d’encaisser. Alors on encaisse, bien sûr, mais on vit. On traîne ses cicatrices sur la pelouse, on promène sa balafre (ah, Ribéry, Ribéry, l’infortuné, hier, sur sa civière !) à la face du monde, on se blesse, on sanguinole, on dégouline, mais on finit par marquer.
Hier soir, PYM parlait, et paf, on ne voyait, on n’entendait que lui. De quoi rendre jaloux des milliers de ses camarades, qui voudraient croire à l’égalité dans l’ordre du talent. Tous, il les dépasse. Les lignes de défense, il les enfonce. Seule l’obsède la ligne bleue de la victoire. Bleue comme ses yeux. Bleue, comme des milliers d’oranges dans le ciel noir, lorsqu’on a le sentiment, un peu, parfois, de vivre sa vie.
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La Suisse n’a pas besoin d’un nouveau parti
Édito Lausanne FM – Mardi 17.06.08 – 07.50h
« Bürgerliche Partei Schweiz » : c’est le nom, annoncé hier soir, du nouveau parti issu de l’UDC grisonne, bannie par le parti national. Des Glaronnais, des Bernois pourraient y adhérer, Eveline Widmer-Schlumpf aussi. Le parti ambitionne de devenir national, et d’obtenir un groupe aux Chambres fédérales.
Ce nouveau-né, sur la scène politique suisse, est-il viable ? À terme, rien n’est moins sûr. Oh, il a parfaitement le droit d’exister : la liberté d’association, legs de la Révolution française, est dûment reconnue dans notre pays. On peut bien le porter sur les fonts baptismaux. Mais est-il viable ?
En Suisse comme ailleurs, on ne crée quasiment jamais de nouveau parti. Trois de nos quatre partis gouvernementaux, au niveau fédéral (les radicaux, le PDC, les socialistes) ont chacun plus d’un siècle d’histoire. Tout au plus, çà et là, un changement d’étiquette, les catholiques-conservateurs devenant PDC. En France, le RPF devenant UNR, puis UDR, puis RPR, pour enfin se fondre dans l’UMP. Mais si on dit « les gaullistes », on comprend tout, la référence à un homme d’exception rendant dérisoires bien des abréviations. Quant à la CDU allemande, elle est fille, en droite ligne, du Zentrum bismarckien : on ne change pas si facilement les lames de fond.
Surtout, un nouveau parti en Suisse, pour occuper quelle place ? Si ces ex-UDC restent libéraux dans l’économie, mais en ont assez des excès xénophobes, alors l’univers libéral-radical les attend. Y compris s’ils ont des doutes sur l’entrée de la Suisse dans l’Union européenne, cette question divisant transversalement toutes nos grandes formations politiques. Ce dont ont besoin les grands courants de droite, en Suisse, ça n’est surtout pas de se multiplier, mais bel et bien de se fédérer sous une même bannière. Avec un peu d’imagination et de vision, on saisira sans trop de peine toute la communauté de culture politique qui, du PDC à l’aile non-xénophobe de l’UDC, pourrait constituer, un jour, une grande fédération. C’est cela, le grand projet, cela la grande ambition. L’idée, pour l’heure, chemine encore souterrainement. Mais un jour, elle s’imposera. Espérons simplement qu’il ne soit pas trop tard.