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Liberté - Page 1505

  • Brûleur d’âmes

    Tribune de Genève - Lundi 06.04.09

     

    Freddy Thielemans, est arrivé, rubicond. Ecarlate. Flamand jailli de Bruegel l’Ancien. Yeux clairs, moustache d’or blanchi. Rugbyman. Corrida. Il s’est pointé, vendredi, Salle des Abeilles, le bourgmestre de Bruxelles. Et il a osé ce mot, qu’on croyait expurgé des langues : « fraternité ».

    Quatre syllabes. En écho au « cœur viril des hommes » de la Condition humaine, quatre jets de sang bouillant dans la cérébrale sagesse d’un colloque. La dernière fois, au fond, la dernière vraie, c’était Mostaganem, 6 juin 1958 : un général mystique, dans l’improbable rougeur des sables, avait dit « fraternité ».

    Thielemans, c’est l’anti-caviar. Lui, c’est la mine et c’est Jaurès. Le Nord, mâtiné de sang d’Espagne, des louches de soupe populaire, le rutilant des étendards, des tonnes de crème fraîche, juste pour la route. Dans la ruche aux Abeilles, il a piqué au vif. Un socialiste avec du verbe, brûleur d’âmes.

    Mendès France, il n’en a quasiment pas parlé. Mais on s’en fout. Des moments, comme ça, dans la vie : on est venus pour rencontrer un conférencier. Et on tombe sur un homme. Rougeaud, excessif. Modéré comme un picador. On imagine ses colères, comme des orages sur la grande plaine. Mais un homme. Un tempérament. Et ça fait du bien, tellement. Comme une pluie de printemps.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

  • L’âne, le bœuf

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 02.04.09

     

    C’est chaud, c’est poilu, ça exhale des océans de tendresse, c’est beau, un papa qui biberonne. Dire le contraire, c’est pousser l’épaisseur de la brute, la bestialité de l’immonde dans des confins au-delà de l’Antarctique. Non ?

    Dans ces conditions, j’imagine déjà la douillette unanimité qui saluera la décision du Conseil d’Etat de porter à deux semaines le congé paternité pour les employés de l’Etat. Plumes et cocons, réhabilitation du père, partage des tâches, aurores aux doigts de rose, monde nouveau, humanité changée, plus douce, paraboles de progrès, sandales, vélos, chandails de coton. Le souffle de l’âne et puis celui du bœuf. Et, dans la tiédeur de la paille, Joseph.

    C’est beau, tout cela. Entre deux porteurs de myrrhe ou d’encens, il y aura peut-être l’une ou l’autre Fée Carabosse, crochue et purulente, pour oser demander combien tout cela va coûter. L’ignoble créature. Jaillie des entrailles de la saleté terrestre. Médisante. Croûteuse.

    Le coût ! Mais comment ose-t-elle, va-t-en sorcière, va, fille de Belzébuth, oser parler d’argent face à la Sainte Famille ! Tu ne respectes rien. Ni les pères, ni les mères, ni le progrès qui va, ni le chant des matins. Ni cette échéance d’octobre, brûlante et sacramentelle, là où se croisent les chemins et se défont les destins. Cela porte un beau nom. Cela s’appelle les élections.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

  • Moritz, Sa Majesté des Mouches

    J’ai toujours pensé qu’au-delà de l’au-delà, plus loin que l’Apocalypse, là où s’évapore l’ultime éther de l’univers, il y avait Moritz Leuenberger. D’ellipses en éclipses, ce Pierrot lunaire en errance semi-consciente sur le chemin terrestre se maintient en son règne, au demeurant interminable, par la seule grâce de bons mots qu’il décoche avec une célérité inversement proportionnelle à l’énergie qu’il investit en politique.

    De cet esprit en perpétuelles fiançailles avec l’irréel, nous savions déjà qu’il aimait l’art contemporain, les galeries zurichoises, les aphorismes de Lichtenberg, les sushis pour bobos, la poésie concrète. Mais nous ignorions encore les mouches.

    Oui, les mouches.

    Interrogé par l’Hebdo de cette semaine sur l’avenir du papier, en concurrence avec la toile, le Prince de l’Esquive a cette belle phrase : « Tant qu’on pourra écraser une mouche avec son journal, la presse imprimée existera. Avec l’internet, on n’a encore jamais réussi à supprimer une mouche ».

    Voilà qui nous rassure. A maints égards. D’abord, nous savons enfin à quoi le ministre occupe ses journées dans son bureau. Ensuite, nous découvrons avec bonheur que la presse peut avoir, à ses yeux, une forme d’utilité.

    Sous la clarté lunaire, juste l’ombre d’un doute : en connaissant toute l’étendue des ultimes outrages que les humains peuvent imaginer d’infliger à une mouche, une question, raide comme une pénétrante, nous traverse : se contente-t-il, au moins, de les tuer ?

    Si oui, plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes.

     

    Pascal Décaillet