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Liberté - Page 1504

  • Tapis persan, tapis pur sang

    Le Matin dimanche - 19.04.09

    Sur la photo Moutinot-Ahmadinejad, lundi à Cointrin, il faudra bien censurer quelque chose. Oui, mais qui ? Oui, mais quoi ?

    Précédons par ordre. Pas question, bien sûr, d’effacer le président iranien. Il est chef d’Etat, doit être accueilli comme tel, c’est du moins ce que répètent à l’envi mes chers confrères pour qui la volonté, clairement affirmée, de détruire l’Etat d’Israël n’apparaît pas comme un motif de bouderie sur la sublime solitude d’un tarmac. Il a nié la Shoah ? Oui, bien sûr, mais il y a le protocole, l’attrait érectile du tapis rouge sang sur l’infini grisâtre du bitume. Tapis persan, peut-être ? Le tapis de Munich, en 1938, était sans doute du même rouge, mais foin de détails. Va pour Ahmadinejad, dont nul ne saurait mettre en cause les qualités de père de famille. Va pour lui, sur la photo.

    Encore moins question, of course, de faire disparaître Laurent Moutinot. Il est là, chez lui, chez nous, daigne s’y coller pour couvrir le numéro un et le numéro deux du Conseil d’Etat genevois, l’un et l’autre candidats à réélection. Il est franchement bien brave, Monsieur Moutinot. Poussée à ce degré d’extase sacrificielle, la collégialité confine à la sainteté. Saint Laurent montera donc à Cointrin comme on monte à l’autel. Pour le chœur des vierges, on voudra bien se référer aux éditos de la presse du jour. Au fait, qu’auraient-ils dit, mes chers confrères, si nous avions eu la visite d’un président israélien prônant l’éradication de la Palestine ?

    Bref, les deux hommes seront sur la photo. Et pourtant, quelque chose devra bien disparaître. Un objet si cher à Laurent Moutinot, mais dont la seule représentation, y compris sur le solex de Monsieur Hulot, devient le degré absolu de l’hérésie : la pipe. D’une obscénité l’autre, notre époque semble avoir choisi. Alors, mort aux pipes. Et vive l’Iran des mollahs.

    Pascal Décaillet

  • La Bande des Quatre

    Tribune de Genève - Jeudi 16.04.09

     

    C’est fait. Avec une fulgurance d’épervier en inavouable désir d’un souriceau, la puissante présidence tétracéphale de la Constituante vient de pulvériser le mur du son. Six mois seulement après l’élection de cette noble assemblée, six misérables mois, elle réalise l’impossible : la nomination de cinq présidents de commissions thématiques. Chapeau. A plume d’aigle, of course.

    Ce qui frappe, depuis le 19 octobre, dans la folle aventure de la Constituante, c’est ce rythme, ce tempo, ce sprint contre le temps, qui confine à la tachycardie. On n’arrive plus à suivre. Shimmy dans la vision. Bonnie and Clyde, quand ils sèment les flics, après leur huitième hold-up. Et qu’ils s’embrassent, haletants, sur le siège avant. Sueur. Bonheur de vivre.

    Et puis, une présidence à quatre, c’est tellement simple : à part qu’il faut le blanc-seing du quatuor in corpore, contresigné en huit exemplaires, pour s’exprimer devant un micro, c’est la vie qui va, furtive et futile.

    Tout va bien, donc. A ce rythme, on devrait avoir, d’ici l’automne, les premiers débats, d’ici l’hiver les premiers ébats, d’ici un an l’ébauche de l’esquisse d’un premier texte. Evidemment provisoire. Peut-être un préambule ? Une forme de préliminaire ? Pour mieux caresser la folle impatience du désir qui gonfle en nous. Nous, pauvres rampants. Qui contemplons, de la misère de notre tarmac, le vol oraculaire de l’épervier.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

  • Arte : un Messie à lacérer les âmes

    Des hommes aux visages d’anges, des voix à lacérer les âmes, des vierges comme des filles de l’enfer, costards cravates, robes d’aujourd’hui. C’était hier soir, sur Arte. C’était le Messie, de Haendel. Vienne. Ensemble Matheus. Chœur Arnold Schoenberg. Si la télévision doit servir à quelque chose, c’est à ce genre de bonheur. Absolu.

    Le Messie, pour une fois avec une mise en scène. D’une intelligence époustouflante. Au service de l’oratorio, juste pour mettre en action ce qui doit l’être. Rien de trop, juste l’essentiel : les regards qui se croisent, un homme qui danse, une mortelle qui traduit en langage des sourds-muets l’aveuglante obscurité de la prophétie.

    Des hommes et des femmes d’aujourd’hui, devant un cercueil. Celui de qui ? Quelle peine ? Quelle douleur ? Quelle espérance ? Un Messie exhumé des entrailles de l’Histoire. Nul autre costume que celui de l’actualité. Le génie de Haendel. Et la bouleversante actualité de la souffrance des hommes. La chair incarcérée dans l’incertitude. Juste la voix pour dire la mort. L’affronter, peut-être. Mais la dire, oui. Au moins cela.

     

    Pascal Décaillet