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Liberté - Page 1349

  • Charles Beer aime l’Iliade « à titre personnel »

     

    Sur le vif - Samedi 27.11.10 - 18.45h

     

    « Les grands textes » de retour à l’école : dit comme cela, comment ne pas acquiescer ? « Les grands textes », c’est la formule magique de Charles Beer, lorsqu’il parle de l’enseignement du « fait religieux », dans les classes genevoises. M. Beer vient, il dit « grands textes », le récepteur se trouve comme magnifié par le puissant envol de ces deux mots-grimoires, il se dit que quelque chose de fort va traverser l’école genevoise, aussitôt il aimerait en savoir plus. Hélas, néant. Silence.

     

    En termes de marketing, c’est redoutablement rassembleur : qui d’entre nous, sauf à vouloir passer pour un plouc, un apôtre du petit, un éradiqueur du savoir, un Khmer du nivellement par l’ignorance, pourrait-il s’opposer à ce que les élèves de nos écoles se frottent et se piquent un peu au souffle des « grands textes » ? On ne va tout de même pas sublimer la lecture de l’annuaire, ni de l’insignifiance, ni de la prose qui sentirait l’ail de discount : « grands textes », ça en jette un peu plus.

     

    De quoi s’agit-il ? D’initier les élèves au rôle joué dans l’Histoire par quelques grands courants. Judaïsme, christianisme, Islam, bouddhisme, hindouisme, confucianisme, apparition du monothéisme dès la pensée platonicienne, polythéisme des Grecs, des Romains, mythologie antique, que sais-je encore ? J’en oublie. Et assurément, chacun de ces exemples se trouve porté par de très « grands textes », ici la Bible, là le Coran, ailleurs encore l’Iliade, les Hymnes homériques, Hésiode et sa Théogonie, la pensée zoroastrienne, les Lumières, l’Aufklärung, la philosophie de l’athéisme, l’agnosticisme, et justement la Gnose, en j’en oublie encore, des tonnes. A coup sûr, les professeurs chargés d’un tel enseignement n’auront que l’embarras du choix. D’ailleurs, ils l’ont déjà aujourd’hui, et beaucoup les proposent déjà, des extraits de ces « grands textes », à l’enseigne, par exemple, de l’Histoire ou de la philosophie. L’embarras du choix, oui.

     

    A tel point que Charles Beer se garde bien de donner lui-même, ministre, le moindre exemple, la moindre consigne, le moindre repère de ce qui pourrait, de près ou de loin, ressembler à un « grand texte ». Tout au plus, quand on lui murmure « L’Iliade », acquiesce-t-il « à titre personnel ». On dirait qu’il marche sur des braises, apeuré à l’idée d’un faux pas. De qui, de quels gourous de l’intérieur, craint-il les immédiates foudres ?

     

    Ce signal d’hyper-prudence du ministre élu n’est pas bon. Il ne me gênerait pas, pour ma part, en République, que le chef de l’Instruction publique ose quelques exemples de ce qu’il appelle lui-même les « grands textes ». Il fut un temps, entre 1882 et 1914, à l’époque de Ferry et de ses successeurs, où l’Etat (français, en l’occurrence) n’était pas tétanisé de peur en brandissant lui-même des modèles. Il se trouve, pas tout à fait par hasard, que ces trois décennies de hussards noirs et de missionnaires de la transmission furent (un demi-siècle après Guizot) le plus grand moment de l’Histoire scolaire française.

     

    En s’abstenant de donner lui-même le moindre exemple, en déléguant la responsabilité du choix aux seuls experts (aussi brillants, pertinents, soient ces derniers), M. Beer déçoit. A l’entendre, diriger l’Instruction publique se limiterait à en assumer la conciergerie, faire construire de nouveaux bâtiments scolaires, en rénover d’autres, s’occuper des effectifs, se battre pour un budget, toutes choses certes essentielles, mais l’autorité d’un ministre, ce doit être aussi une part, même symbolique, de magistère. Il ne s’agit pas, bien sûr, de rendre obligatoire, tel jour à tel heure, dans toutes les classes de France, telle lettre (au demeurant bouleversante) de Guy Môquet. Il ne s’agit pas d’opérer les choix à la place des profs. Il s’agit juste de donner un ou deux signaux de maîtrise du sujet.

     

    Il ne s’agit pas de transférer les cendres de Jean Moulin au Panthéon. Ni de rendre hommage aux morts des Glières. Non. Juste un ou deux exemples, d’en haut. De la part du ministre. Pour donner un sens. Fixer un cap. En République, cette tâche incombe aux élus du peuple. Pas aux fonctionnaires.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La neige, le voile

     

    Samedi 27.11.10 - 10.15h


    Genève n’est jamais plus belle que sous la neige. Il n’y a plus ni lac, ni ciel, seulement ce blanc qui nous étreint. Ici et là, toit qui fume, passage de la mouette ou de la corneille noire. Il n’y a plus ni rade, ni lisière. Ni horizon, ni frontière.

     

    En abolissant ce tableau pourtant si achevé des beaux jours, Salève, Jura, Voirons, Môle, Mont-Blanc, et jusqu’à l’Aiguille Verte, en voilant ce miracle du paysage genevois, celui des peintres et des photographes, en prenant congé de la lumière, le temps de neige nous invite à la contemplation du plus proche. L’horizon du visible, oui, une centaine de mètres, délivré de l’arrière-pays. Notre province à nous, l’éternité de notre quartier. Notre condition de passants. Lignes du tram, noires sur fond blanc, qui jamais ne se rejoignent.

     

    Genève, sous la neige, demeure-t-elle Genève ? Réduite à l’anonymat du paysage d’hiver ? Ou plutôt, sublimée par le désir de ce qu’elle nous crypte ? Une affaire du voile. À l’horizon de la frontière abolie, il y aurait l’éternité blanche. Ou, simplement, la vie qui va.

     

    Vers quels rivages ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Jean-François Duchosal, un homme sur la terre

     

    Sur le vif - Vendredi 26.11.10 - 19.12h

     

    Mon ami Jean-François Duchosal, 74 ans depuis le 23 octobre dernier, vient de m’envoyer un message : après des semaines de marche, 1300 kilomètres à pied, il vient d’arriver à Cordoue, en provenance de… Saint-Jacques-de-Compostelle ! L’Espagne, du nord au sud, en saison déjà bien fraîche, avec au fond de l’âme la tenace folie du pèlerin.

     

    Duchosal, déjà, est allé à Saint-Jacques, à pied, en partant du Grand-Saconnex. Du même point de départ, il a cheminé jusqu’à Jérusalem, et même Emmaüs, un peu plus loin, où se déroule l’une des scènes les plus saisissantes du Nouveau Testament. Une fois encore, il est allé à Lisieux, voir sa fille, religieuse. Toujours à pied.

     

    Je ne connais personne qui sache aussi bien parler du chemin. A cet effort d’endurance, il donne un sens. Là, par exemple, de Saint-Jacques à Cordoue, du christianisme à l’Andalousie des Lumières, si chère à Maurice-Ruben Hayoun, qui l’attendait à l’arrivée. Quelques humains, hommes et femmes (dont Gabrielle Nanchen), cheminant au nom d’un lien spirituel qui dépasse les clivages.

     

    Jean-François, je me réjouis de te revoir. Pour que tu nous racontes, simplement, le chemin.

     

    Pascal Décaillet