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Liberté - Page 1350

  • Le Loup et le Chien

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    Un Loup n'avait que les os et la peau,
    Tant les chiens faisaient bonne garde.
    Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
    Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
    L'attaquer, le mettre en quartiers,
    Sire Loup l'eût fait volontiers ;
    Mais il fallait livrer bataille,
    Et le Mâtin était de taille
    A se défendre hardiment.
    Le Loup donc l'aborde humblement,
    Entre en propos, et lui fait compliment
    Sur son embonpoint, qu'il admire.
    "Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
    D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
    Quittez les bois, vous ferez bien :
    Vos pareils y sont misérables,
    Cancres, hères, et pauvres diables,
    Dont la condition est de mourir de faim.
    Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
    Tout à la pointe de l'épée.
    Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
    Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
    - Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
    Portants bâtons, et mendiants ;
    Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
    Moyennant quoi votre salaire
    Sera force reliefs de toutes les façons :
    Os de poulets, os de pigeons,
    Sans parler de mainte caresse. "
    Le Loup déjà se forge une félicité
    Qui le fait pleurer de tendresse.
    Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
    "Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.
    - Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
    De ce que vous voyez est peut-être la cause.
    - Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
    Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?
    - Il importe si bien, que de tous vos repas
    Je ne veux en aucune sorte,
    Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
    Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

     

    Jean de LA FONTAINE (1621-1695)

     

     

  • Le méchant Décaillet répond au gentil Longet

     

    Sur le vif - Mardi 23.11.10 - 11.57h

     

    Chère et ravissante victime,

     

    Vous avez raison, je suis un homme méchant. Enfant déjà, j’imaginais les pires supplices pour mes adversaires, j’adorais les poètes, détestais le socialisme. J’aimais l’histoire des guerres et des traités, la littérature du Mal, les récits de meurtre et d’inceste, le loup de la fable, le vertige du « e » muet perdu dans les syllabes et les strophes obscures. Plus tard, j’ai passionnément aimé François Mitterrand, qui était socialiste comme je suis Javanais. J’aimais sa part de noirceur, tellement romanesque. C’était un homme qui savait écrire et qui savait parler. Pour moi, c’est beaucoup.

     

    Dans un texte que vous publiez aujourd’hui, vous pleurnichez sur ma méchanceté. Si vous saviez comme je vous comprends ! Croyez-vous qu’il soit drôle d’avoir en soi le Mal, vissé, chevillé, enraciné, là où d’autres, comme vous, semblent nés chérubins, trônes ou séraphins, candides à coup sûr, immaculés, promis au Grand Soir comme d’éternelles fiancées. Je vous envie, René, car la vie est en vous, simple et tranquille, délivrée de la noire puissance du Verbe, promeneuse et sautillante dans un immense jardin de roses. Quand j’étais enfant, on me parlait des limbes, une sorte de paradis ouaté, anesthésié, pour l’éternité des innocents. Les roses sans les épines, la vie sans la souffrance, l’amour sans la mort. L’éternité, sans même le poids des années. La Parole, sans le Verbe.

     

    Bien entendu, je continuerai d’être méchant. Car nul, ici-bas, ne se remet de son état. Je résisterai à vos pressions, à celles de vos amis blessés, compagnons de larmes. A ceux, un peu moins gentils que vous, qui manœuvrent souterrainement pour que roule ma tête dans la sciure. A ceux qui colportent la rumeur, de cocktail en cocktail. A ceux, bien plus dévastateurs encore, qui la saisissent, s’en effrayent, s’en confient à moi avec paternalisme. Pour que je m’édulcore. A cette impavide et frémissante félicité des cloportes. Oui, chère et délicieuse victime, je résisterai. A vous, à certaines gardes noires, aux amicales suggestions de mes pairs, à la visqueuse et rampante horizontalité de la parole mondaine, qui est au Verbe ce que ce que le bruit est au murmure. Quelques haillons de néant.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le Moa de novembre

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 22.11.10

     

    Vous prenez un ministre des constructions dont on aimerait quand même une fois qu’il construise quelque chose. Ajoutez un avocat, à vrai dire plutôt connu comme député, tiens du même parti, d’ailleurs, que le ministre. Vous touillez. Vous pimentez d’un zeste de pampa, remplacez juste le poivrier par un moulin à vent. Du bout du doigt, goûtez.

     

    Surgit un candidat au Conseil administratif, officiellement PDC, en réalité de la même mouvance que le ministre et le député : « Construisez sans entraves ». Vous lui dites bonjour, il vous répond : « Blocages ! ». Vous lui dites Mao, il vous réplique Moa. Il est partout, à la fois Don Quichotte et Sancho Panza, à la fois le cheval et l’âne. Et le moulin à vent, lui, est toujours là.

     

    Vous éventez, justement. Pour la sauce, quelques gouttes d’élixir de jeunesse, vous irez le puiser dans l’urne, entre le poivre et le sel de vos propres cheveux, vous en aurez l’usage discret, comme il sied aux condiments de race. Goûtez à nouveau. Contemplez-vous dans glace. Déjà, vous faites vingt ans de moins.

     

    Mais le temps presse. A la porte, on sonne. C’est l’avocat, le ministre et le candidat. Par l’odeur alléchés, ils sont montés chez vous. Ils avaient juste entendu des voix. Mais les voix, comme l’urne de l’élixir, c’est plus fort qu’eux : ils n’ont jamais su y résister.

     

    Pascal Décaillet