Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 14

  • Jean-Philippe Rameau, le chant des anges avant la tempête

     
     
    Sur le vif - Jeudi 04.09.25 - 11.26h
     
     
     
    Aussi loin que remontent mes souvenirs, la musique de Jean-Philippe Rameau a enchanté ma vie.
     
    J’aurais tant à dire sur cet immense musicien, sur son œuvre, son évolution musicale au cours des décennies, l’évolution des instruments aussi, dans ce dix-huitième siècle où la musique éclate de mille feux, se réinvente continuellement, jusqu’à nous livrer la magie de Mozart, puis la révolution beethovénienne. Rien que sur Rameau, son importance capitale dans le siècle de Louis XV, je pourrais écrire un livre.
     
    Hier, sur Mezzo, c’était Hippolyte et Aricie (1733). Je connais cette œuvre, je me suis dit : « Bon, cette fois, tu ne te laisses pas prendre ! ». Deux heures plus tard, rideau, j’étais resté là, skotché, comme un éphémère sur un phare.
     
    Ici, je ne veux pas être technique. Mais depuis des décennies, je tente d’établir ce qui, très concrètement, m’attire tant dans la musique de Rameau, contemporain des géants que furent Bach et Haendel. La réponse est complexe : ça tient à la nature des instruments, à la basse continue, aux saisissantes variations de tempo, à l’alternance entre danses chorales et solos bouleversants, à la sublimation de la voix féminine (comme chez Haendel), et à tant d’autres facteurs, très précis.
     
    Tant attaqué, a posteriori, par la tradition des Lumières, puis par l’historiographie révolutionnaire, le siècle de Louis XV fut une période d’intense activité littéraire et musicale, une éclosion incroyable des arts et des métiers, un moment de sublime répit en attendant le formidable fracas de la Révolution.
     
    Dans cet arrêt du monde face à son ineffable beauté, il y eut, comme un chant des anges avant la tempête, la musique exceptionnelle de Jean-Philippe Rameau.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Le libéral de l'étape

     

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 03.09.25

     

    Un candidat du Centre et des Verts libéraux, un candidat du MCG, un candidat de l’UDC, soutenu par le PLR. Le mois qu’on puisse dire, c’est que la droite genevoise ne part pas gagnante, en affichant une nouvelle fois ses divisions, dans la course au Conseil d’Etat. Bien sûr, chacun promet de se désister pour le meilleur au soir du premier tour, mais en l’état, face à une gauche (presque) unie, le défaut tactique est criant.

     

    D’autant que l’affaire est complexe. Qui est à droite, qui l’est moins ? Peut-être pas celui que vous croyez. Face au candidat UDC-PLR, le Centre a beau clamer ses valeurs humanistes, il n’en aligne pas moins le candidat le plus économiquement libéral des trois de droite. M. Magnin ne s’en cache pas, d’ailleurs.

     

    Et sur cette échelle, autrement brûlante de pertinence et d’actualité que celle des pseudo valeurs morales, M. Dugerdil se révèle le défenseur d’une droite patriote, mais aussi protectionniste. M. Gerzner, candidat MCG, défend, lui aussi, le rôle régulateur de l’Etat. Le libéral de l’étape, c’est bel et bien M. Magnin.

     

    L’électorat de droite doit le savoir : il y a déjà deux adeptes de la droite économique libérale au Conseil d’Etat, Mmes Fontanet et Bachmann, ainsi que deux radicaux historiques, Mme Hiltpold et M. Maudet. Telles sont les vraies étiquettes, données par les esprits libres, férus d’Histoire, d’indépendance et de lucidité que nous voulons être. Reste à l’électorat de droite à arbitrer les équilibres.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La peste soit des ratiocineurs!

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 03.09.25

     

    Il y a des gens qui adorent la discussion. S’asseoir avec d’autres humains, de préférence autour d’un verre, et pérorer à n’en plus finir sur des thèmes à la mode. Il faut, à tout prix, qu’émerge la parole. En général, on n’écoute l’autre que distraitement, on rumine sa contre-attaque, et puis, au bon moment, on la sort, on la déploie, tout fier, tout sonore à l’idée d’avoir marqué des points. A ce petit jeu, personne ne convertit personne, chacun campe sur ses positions, on a juste passé un peu de temps à déglutir du langage. On a roté des arguments. On s’est pavané de mots. On se quitte bons amis. On se promet de se revoir. Eh oui, l’humain est un être de langage. Il a besoin de sortir des mots, comme le dragon crache du feu.

     

    Les plus prétentieux, ceux qui se piquent de philosophie, vous établiront bien sûr une hiérarchie dans l’échelle des discussions. Ils condamneront celles du café du commerce, vous inciteront à vous élever vers la discussion organisée, le « débat », la fructueuse « disputatio » dont doit absolument surgir une conclusion, bienfaitrice à l’entendement humain. Je vais vous faire une confidence : j’ai lu, en grec, une quantité de Dialogues de Platon. Ils mettent en scène, dans une écriture magnifique et subtile, les discussions reconstituées de Socrate avec ses disciples. Socrate en est le personnage principal, mais un personnage quand même, comme au théâtre : il questionne, tend des perches, ou des pièges, il réplique, et finalement met en boîte l’imprudent au raisonnement mal posé.

     

    L’écrivain, c’est Platon, pas Socrate. Platon fait parler le grand philosophe, comme l’évangéliste fait parler Jésus. Socrate, le Christ : deux figures absolument majeures de notre civilisation, n’ayant jamais écrit eux-mêmes, mais figurés peu après leur passage sur terre par des auteurs ayant été leurs disciples. Deux millénaires que les plus grands penseurs s’interrogent sur cet effet d’écho, de reconstitution, en effet fascinant. Les étudiants en philosophie lisent tous Platon, et c’est très bien. Hélas certains d’entre eux, dans les plus arrogants, se prennent pour Socrate : rien ne les ravit davantage que prendre l’interlocuteur pour un disciple, le laisser s’avancer dans un raisonnement, surgir à la première faille, reprendre ses mots pour enfin le confondre. Ils se prennent pour Socrate, comme l’apprenti-dessinateur se prend pour Le Caravage.

     

    Ils sont tout fiers d’être de la race des raisonneurs. Ceux qui ont de la méthode. Ceux qui savent poser un problème, induire, déduire, poser un syllogisme, brandir une conclusion. Pour ma part, ami lecteur, je préfère encore le joyeux désordre, avec toutes ses impasses sémantiques, de la bonne vielle discussion de bistrot, où on se harponne à mesure qu’on trinque, sans trop se prendre au sérieux, à la sécheresse démonstrative de tous ces ratiocineurs. Ils se piquent d’aimer le sens. Mais aiment-ils le verbe, sa puissance de feu, de joie, ses vertus musicales, son humaine animalité, à la fois viscérale, allusive et souriante ?

     

    Pascal Décaillet