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Liberté - Page 1290

  • Ueli, les grenouilles, l'Amérique

     

    Sur le vif - Dimanche 05.06.11 - 12.09h

     

    C’est fou, comme certaines géométries peuvent être variables. Lorsque la Soupe reçoit Céline Amaudruz ou Grégory Logean, le temps de parole des invités, entre deux interruptions coassantes, ne dépasse jamais les trois secondes.

     

    Lorsque la même émission accueille le président des Verts suisses, au demeurant courtois et charmant, c’est l’équivalent d’une page de Proust ou de Kafka (oh, lisez la sublime première phrase de l’Amérique: "Als der sechzehnjährige Karl Rossmann, der von seinen armen Eltern nach Amerika geschickt worden war, weil ihn ein Dienstmädchen verführt und ein Kind von ihm bekommen hatte, in dem schon langsam gewordenen Schiff in den Hafen von New York einfuhr, erblickte er die schon langst beobachtete Statue der Freiheitsgöttin wie in einem plötzlich stärker gewordenen Sonnenlicht.") que l’invité, en toute quiétude, a le temps, sans la moindre interruption, de développer.

     

    Quand la Soupe reçoit Céline ou Grégory, on n’entend que les hurlements des chroniqueurs. Quand elle reçoit Ueli le Climatique, on n’entend que la sourde et complice approbation de leur silence.

     

    La géométrie, c’est comme le climat : variable. Et tellement extatique pour l’hystérie des grenouilles.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Le prêt-à-s’indigner

     

    Sur le vif - Dimanche 05.06.11 - 08.39h


    Il y a eu le rock et le twist, les yéyés, les zazous, il y a eu Zizou et les Bigarrés, voici aujourd’hui les indignés. Le dernier truc à la mode, coco : t’as rien lu, ni Marx ni Jésus, ta tête est vide comme une pastèque, tu n’as ni mémoire ni nostalgie, tu n’as encore livré aucun combat, jamais prouvé ta solitude. Mais sur un mot, au sifflet, au cordeau, tu t’alignes : l’indignation.

     

    Que Stéphane Hessel, ce grand Monsieur au grand cœur, s’indigne, avec derrière lui neuf décennies d’une vie exemplaire, rien à dire. Respect. Chez lui, le mot sonne juste, il est au diapason. Mais je ne suis pas sûr que cette admirable conscience, avec son bouquin, ait vraiment rendu service à la jeunesse. Parce qu’avec le miracle d’un titre, la puissance de cet impératif, ce qui devrait être transgression se dilue en mode : le prêt-à-s’indigner.

     

    Alors, pour faire Hessel, on s’indigne. On s’indigne dans les salons. On s’indigne pour la posture. Ce qui n’a de sens que comme maturation individuelle, explosion, transgression, on le banalise en passe-partout. L’indignation devient griffe, tissu estampillé : à quand l’indignation Gautier, ou Lagerfeld ? Tu fais quoi, ce week-end, Kevin : « Ben, après les courses, entre 15 et 16h, j’irai m’indigner un moment, au centre-ville ».

     

    La révolte comme posture. Copiée, collée, répétée, multipliée. Plus les âmes sont faibles, plus elles s’y prêteront. L’uniforme est si facile à porter. En attendant qu’un jour, un grand couturier milanais le sacralise. Et le jette au musée.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Glières oui, Fouquet’s non merci !

     

    Sur le vif - Vendredi 03.06.11 - 09.43h

     

    En se rendant aux Glières, il y a quelques jours, Nicolas Sarkozy a accompli un geste fort et simple. Il était là où doit se rendre le président de la République, là où on l’attend, sur ces « Lieux de mémoire » dont parle si génialement, en trois volumes inoubliables, l’historien Pierre Nora. Aux Glières, en février et mars 1944, des hommes, souvent très jeunes, sont morts pour la France. Ils n’avaient aucune chance d’en réchapper, tout le pays était encore occupé, ils se sont battus quand même. Honneur à eux.

     

    J’aurais voulu être aux Glières le 2 septembre 1973, lorsque Malraux y a prononcé son discours, je me suis contenté, dans les décennies qui ont suivi, d’écouter quelques milliers de fois le sillon du vinyle. Étrange fin d’été, Malraux en Haute-Savoie, et, quelques jours après, la démocratie, au Chili, qu’on assassine. J’avais quinze ans, je lisais Rimbaud, j’étais ébloui, semaine après semaine, par le « Nouvel Observateur », auquel mes parents avaient eu l’intelligence de m’abonner.

     

    Peu importe que Nicolas Sarkozy soit petit ou grand, crédible ou pas, ni même, au sein de la droite, qu’il incarne une tendance évoquant davantage l’obédience pour les forces de l’Argent que l’austérité de marbre de la mémoire républicaine. Peu importe ! Ce voyage des Glières, il l’a fait. Dans la neige, il s’est incliné. Il était dans son rôle, dans ce que les Français attendent, du fond de l’Histoire, du premier d’entre eux. Les Glières, oui, le Fouquet’s non merci ! Rien de grave, rien de scélérat. Juste une question de goût.

     

    Pascal Décaillet