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Liberté - Page 1286

  • Le CEVA ou l'Enfer


     

    Vendredi 17.06.11 - 19.07h

     

    L'affaire du CEVA venant de rebondir, je re-publie ici mon commentaire paru dans l'Hebdo du 26 novembre 2009, trois jours avant la votation. J'ai voté pour ce projet, et ne le regrette pas. Mais j'ai détesté - et déteste toujours - l'ambiance de "Sainte Alliance", et de diabolisation des opposants, qui régnait - et règne toujours - chez les partisans. A cela s'ajoute, de la part de la presse locale, un unanimisme pro-CEVA qui fleurait bon - et fleure encore - l'obédience au pouvoir en place, à la majorité dominante, à ses réseaux, ses cocktails. Deux ans après, rien n'a changé. Le pouvoir peut se passer de Feuille d'Avis officielle. La presse tient joyeusement ce rôle. Et gratuitement, pardi!

     

    Bonne lecture. PaD

     

     

    Le CEVA ou l'Enfer

     

    «Chantier du siècle, votation du siècle, scrutin amiral, mère de toutes les batailles»: on dirait, quand on évoque le choix de dimanche, à Genève, sur le CEVA (liaison ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse), que le peuple de ce canton aurait rendez- vous, comme jamais, avec son Histoire. Qu'il n'aurait pas le droit de se tromper. Que nul plan B n'existerait. Qu'un refus le plongerait dans les ténèbres. Que l'actuel chaos (bien réel!) en matière de circulation serait fiancé à l'éternité, sans solution de rechange crédible: l'enfer né de l'enfer, parce que le citoyen, dans la crasse de son obscurantisme, au-delà du véniel, aurait rejeté le Salut. Carrefour théologique, entre grâce et damnation, plutôt que choix politique rationnel, où des options citoyennes s'opposent à d'autres options citoyennes. La démocratie, quoi.

    Ce martèlement des esprits en rappelle d'autres. La campagne du 6 décembre 1992 pour l'Espace économique européen, dont on a finalement vu le résultat. Ou encore celle du 29 mai 2005, en France, autour du Traité européen. L'éternel combat de ce qui est juste et bon, né de la Lumière, face à «l'aveuglement» des opposants, leurs «mensonges», leurs «chiffres faux» (parce que ceux des partisans, bien sûr, sont toujours exacts au centime près). Bref, tout est orchestré en vue de faire passer les anti-CEVA pour d'obscurs demeurés, rétrogrades, ou alors de poujadistes détaillants, le nez planté dans la glaise de leurs intérêts privés, parcellaires, des hallucinés du lopin, insensibles à la vision d'ensemble. Il y aurait d'un côté le salut du peuple, de l'autre celui de la bourgeoisie, évidemment repue, de Champel.

    Destin transfrontalier. Je le dis tout net, je vote pour le CEVA. Parce que le projet me séduit, et me semble digne du rendez-vous de Genève avec son destin transfrontalier. Mais j'aurai, jusqu'au bout, détesté cette obligation d'adhérer que suinte la croisade des partisans. Ils seraient le Saint-Office, les autres seraient les hérétiques. Mais eux, les extatiques du CEVA, qui sont-ils, au fond? Réponse, toute prosaïque: l'alliance de circonstance des cinq partis qui, depuis quelques années, détiennent le pouvoir à Genève. Libéraux, radicaux, PDC, socialistes, Verts. Tout fiers que, en commission, un compromis ait pu sceller leur connivence contre la marge. Au-delà des rails et des locomotives, c'est aussi cela, l'enjeu du CEVA.

    La marge, c'est qui, c'est quoi? La marge, c'est le MCG. Et une partie non négligeable de la section genevoise de l'UDC, enfin ce qu'il en reste. La marge, c'est aussi une part importante de la gauche de la gauche, atomisée à Genève en d'intestines colères qui font d'elle-même un exemple d'autosuicide reléguant les sectes solaires au statut d'amatrices. Et puis, la marge, c'est aussi, en effet, une somme assez impressionnante d'intérêts individuels, juxtaposés. C'est, enfin, un tracé alternatif au pied du Salève que les pro-CEVA ont un peu trop tendance à balayer d'un revers de la main. Le tout additionné pourrait donner, dimanche, un nombre non négligeable de «non».

    L'avenir radieux sur rails. Et au fond, comme dans la France de mai 1995, est-ce bien sur le CEVA lui-même qu'on votera? Ou plutôt sur la confiance, ou la défiance, face à un establishment politique qui construit sa survie à cinq, toute artificielle qu'elle est, sur l'aubaine d'un projet fédérateur. Et, du même coup, rejette la marge montante (le MCG, oui, encore lui) dans le caniveau. Histoire de continuer, encore un moment, à se partager postes et prébendes, contrats de construction et bonnes affaires. On reste entre soi. Entre gens de compagnie. On se bricole un avenir radieux sur rails. Et la marge, on la laisse là où elle doit demeurer: derrière la barrière. A regarder passer, rutilant comme le progrès, le train des autres.

    PASCAL DÉCAILLET

     

  • Maître Kenel dérape

     

    Sur le vif - Vendredi 17.06.11 - 08.39h

     

    Incroyables, l'arrogance et la morgue de l'avocat fiscaliste Philippe Kenel face à Sandrine Salerno, à l'instant, sur la RSR. Dans un débat sur les forfaits fiscaux, suite au lancement d'une initiative socialiste, à Genève, pour les supprimer, l'homme de droit se permet, sur un ton de maître d'école assez hallucinant, de mettre en garde l'élue genevoise contre les relents de xénophobie de son discours. Elle ferait, en dénonçant les avantages accordés à certains étrangers, le lit des partis populistes !

     

    Si quelqu'un, dans la classe politique de Suisse romande, ne serait-ce que par ses origines et son parcours personnel, a toujours farouchement défendu l'intégration et l'égalité absolue de regard, oui de dignité de vision, entre Suisses et étrangers, c'est bien Sandrine Salerno. On peut la combattre sur plein de sujets, y compris d'ailleurs sur les forfaits fiscaux. Mais choisir cet argument-là, c'est tout simplement bas. Et je baise mes maux.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Poggia, carte maîtresse

     

    Sur le vif - Jeudi 16.06.11 - 16.10h

     

    Là, le MCG a vu juste. En plaçant Mauro Poggia à la tête de ses listes pour les Chambres fédérales, celle du National et celle des Etats, il joue la meilleure de ses cartes, se donne le maximum de chances de décrocher un siège, au moins à la Chambre du peuple, celle des cantons étant légendairement plus difficile à conquérir. Un MCG au National, le symbole serait puissant pour un parti venu d'en bas, jailli de la Glaise et de la Gueuse, ostracisé pendant des années - et encore aujourd'hui - par les assis, les installés, les repus, les horizontaux, de droite comme de gauche, qui se partagent Genève et ses prébendes, dans les cocktails, s'imaginent qu'ils seront toujours là. Que rien, jamais, ne changera. Que le cauchemar MCG n'est qu'une parenthèse, comme le fut celui de Vigilance. Que tout, un jour, finira par rentrer dans l'ordre. Leur ordre. Celui de leurs structures mentales. Leurs prés-carrés. Leurs réseaux. Qu'ils ont fini, à force d'habitudes, de clientélisme, de services rendus les uns aux autres, par confondre avec le convenable, le Bien. La norme.

     

    Oui, Poggia est le meilleur des choix, et la décision d'Eric Stauffer de sauter un tour, ne pas se ruer sur toutes les candidatures possibles, faire d'abord ses preuves à Onex, orchestrer la campagne de cet automne, est un acte de maturité. Le tournant de sa carrière, le passage de l'ère de la star qui éclipse tout à celle du stratège, celui qui sait aussi faire naître les vocations, demeurer en retrait.

     

    Poggia, antithèse de Stauffer. Cérébral là où l'autre est impulsif, tonalité bourgeoise dénuée d' accents prétoriens, logos démonstratif de l'avocat habitué à des causes complexes, oui les deux hommes sont faits pour se compléter. Oui, en quelques mois, la palette chromatique du parti, y compris sous les lazzis, s'est enrichie : ici, l'irrédentisme levantin d'un Soli Pardo, anar de droite à la subtile noirceur de plume, là la connaissance cadastrale du terrain d'un Carlos Medeiros, pour ne prendre que quelques figures.

     

    Lazzis ? Et alors ? Qu'ils rient. Les petits cochons aussi se gaussaient et se trémoussaient, avec leurs petites queues, dans leurs maisons de paille. On connaît la suite. On sait comment s'est terminée la petite musique, la ronde moqueuse, la raillerie du grand méchant loup. Entre soi, entre gens du monde, on se tient, on s'apaise, on se réchauffe. Devant des petits fours, on se rassure. De gauche comme de droite, en coupable transversalité, on attend la fin du cauchemar. On lit le Temps, vecteur des conventions, Psaume du convenable, qui croyait bon, hier je crois, d'ironiser sur la faiblesse du MCG à s'étendre. Oui, on attend, assis, la fin de l'ère des gueux.

     

    Sera-t-elle pour le 23 octobre ? Pour Pâques ? Ou pour la Trinité ?

     

    Pascal Décaillet