Sur le vif - Mardi 14.06.11 - 09.49h
Bel exploit du Temps, dans son édition de ce matin ! Une page complète, la page 3, consacrée à l'usage de la télévision en 2011, précédée d'un édito de une, le tout... sans la moindre référence - ne serait-ce qu'une allusion - au combat des chaînes régionales privées en Suisse romande : Léman Bleu, La Télé, Canal 9, par exemple. Fasciné par les millions des géants français, ou par le Mammouth subventionné, l'auteur de l'enquête ne donne la parole, en Suisse romande, qu'à Gilles Marchand, son prédécesseur Guillaume Chenevière, tel prof en Sorbonne, ou tel spécialiste déconnecté de la réalité suisse. Il ne nous parle que du combat de titans entre les privés français et le secteur public dûment engraissé par la redevance en Suisse, aboutit à la conclusion incroyablement originale que nous allons vers une « bataille de contenus », n'aborde jamais la question de la proximité citoyenne, pourtant centrale, dans laquelle les petites, courageuses chaînes citées plus haut livrent un combat rude et âpre, un combat de tous les jours, sans moyens, ou presque.
Bataille de contenus ? Oui, of course ! Et c'est tant mieux : on espère bien, en effet, que la concurrence entre médias se joue sur le fond, la valeur ajoutée (même modeste, car la TV est un média très cher), la proximité, le miroir du pays, et non sur ces sacro-saintes séries américaines qui, depuis l'éternité, fascinent notre chroniqueur du Temps. Dans cette page 3 d'aujourd'hui, une intéressante réflexion fonctionnelle, certes, mais nulle fenêtre ouverte sur la vocation identitaire d'un média, sa fonction de représentation sociale, politique, culturelle, dans sa zone de diffusion. Aucune allusion, jamais, ni dans cette enquête ni dans d'autres, au corset de paralysie que constitue, pour les chaînes régionales privés en Suisse, une Loi sur la radio et la télévision (LRTV) entièrement alignée sur des années de lobbying hallucinant (et efficace !) de la SSR. Une loi entièrement conçue pour empêcher les privés de croître, passer des accords, s'étendre. Une loi pour forcer les chaînes régionales à demeurer de petits ghettos juxtaposés, sur lesquels le Mammouth daignera, de temps en temps, jeter un œil condescendant. Une loi qui bafoue les principes élémentaires de concurrence, érige le Cartel, avec un immense C indécent, en Monopole féroce.
Le résultat : un quotidien dit « de référence » en totale obédience devant l'argent de casino des séries américaines, en absence de la moindre révolte - ou, tout au moins, de la plus petite question - sur les thèmes de la proximité et de l'identité. Un quotidien dit « libéral » qui refuse de voir l'étatisme cartellaire du Mammouth. Entre gens du (même) monde, on s'épargne.
Pascal Décaillet