Sur le vif - Dimanche 29.09.24 - 15.53h
Le monde du théâtre est peuplé de voix intérieures. Des trajets de vie, des tonnes de lectures, un travail acharné. Martine Paschoud, qui vient de nous quitter, personnalise à elle-seule, comme naguère un Claude Stratz, cette dimension de très haute culture qui permet d’œuvrer, dans la Cité, au service des auteurs, et bien sûr aussi pour le public. C'est une très grande dame que perd le théâtre à Genève, une directrice de théâtre, une passionnée de mise en scène, mais avant tout une passeuse d'oeuvres.
Entre Gérard Carrat et Philippe Morand, suivis par Françoise Courvoisier, puis Mathieu Bertholet, toutes personnalités remarquables, il y eut, de 1984 à 1996, l'ère Martine Paschoud à la tête du Nouveau Théâtre de Poche.
Une ère, oui. Passionné de littérature germanophone (l’Allemagne, bien sûr, mais aussi l'Autriche, ou la Prague de Kafka), j'ai traversé, comme spectateur, avec un rare bonheur les années Paschoud dans ce coeur de la Vieille Ville où vibrent les textes et les voix, ceux d'aujourd'hui, ceux de naguère, ces inflexions tues dont parle Verlaine.
J'étais féru des auteurs de l'Allemagne. Autriche aussi. Kafka, plus que tout. Mais franchement, avant Martine Paschoud, je ne connaissais pas les auteurs de théâtre de la Suisse alémanique, mon propre pays pourtant. Une incomparable passeuse, oui, parce qu'elle a pris des risques sur des écrivains contemporains, elle avait une vision, un angle, elle s'engageait. Que savais-je, avant elle, d'un Matthias Zschokke, par exemple ?
En écrivant ces quelques lignes sur Martine Paschoud, je pense à Rui Nogueira, lui aussi un passeur, dans l'ordre du cinéma. La directrice du Poche 84-96 était exactement dans le rôle qui doit être le sien : prendre des risques, s'engager, ouvrir des horizons, interpeller. On aime ou non, c'est une autre affaire. Mais quelque chose, sur scène et dans nos âmes, se sera passé.
Aux proches de Martine Paschoud, toute mon amitié. Aux Genevois, je demande qu'ils se souviennent de cette infatigable passionnée de théâtre, l'immensité de sa culture, allant jusqu'aux auteurs de la DDR, sa sensibilité musicale, sa combativité. Elle a aidé Genève à tenir son rang, oui celui des textes et des voix, dans un monde où les forces de l'argent pourraient, à un profane de passage, donner l'impression d'avoir définitivement pris le pouvoir.
Pascal Décaillet