Sur le vif - Lundi 12.02.24 - 10.50h
Depuis le premier jour de la guerre en Ukraine, j'appelle à décrypter les événements en fonction du mouvement lent de l'Histoire, et non de l'émotion, ou de la morale.
La guerre n'a pas commencé en février 2022, même si la réalité de l'agression russe est un fait indéniable. Le conflit doit être inscrit dans une longue perspective historique, remontant non seulement à 2014, mais à 1991 (l'éclatement de l'Union soviétique). Puis, bien antérieurement, à la complexité séculaire des relations entre Ukraine et Russie. Permanence d'un double tropisme, une partie de l'Est tournée vers la Russie, l'Ouest vers des pays comme la Pologne ou la Hongrie. C'est cela, aujourd'hui encore, qui se joue.
A cela s'ajoute, je l'ai dit maintes fois, le jeu impérialiste de l'Otan vers l'Est, depuis la chute du Mur. Pologne, Pays Baltes, Tchéquie, etc.
Depuis le premier jour aussi, j'invite à scruter l'attitude d'un pays qui sera décisif, un jour ou l'autre, dans l'évolution de cette crise. Ce pays, c'est l'Allemagne, 90 millions d'habitants, première puissance économique d'Europe, quatrième du monde. Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'Allemagne, pour ne remonter qu'au vingtième siècle, a une solide équation historique avec l'Ukraine. Faut-il rappeler ici les événements de juin 1941 à mai 1945 ?
Depuis le début de la guerre actuelle, l'Allemagne se comporte en véritable vassal des Etats-Unis d'Amérique. Gouvernée pas un Chancelier faible, sans vision historique, elle veut absolument apparaître comme l'élève modèle dans l'aide à l'Ukraine, en finances et en armement. Bref, Washington délègue le job à Berlin. Pendant que l'Allemagne n'en finit plus de dépenser pour l'Ukraine, elle sombre elle-même dans la crise économique et sociale la plus importante depuis la guerre.
Quant à l'Histoire, elle évolue. Les Etats-Unis ne manqueront pas de se lasser de l'aide militaire à l'Ukraine, ils ont d'autres théâtres d'opérations à occuper, et dans le pays l''isolationnisme monte. L'Allemagne, elle, demeurera l'Allemagne, là où elle est, au coeur de l'Europe, avec à l'Est les appétits économiques et commerciaux qui sont les siens, le Drang nach Osten, à commencer par le marché ukrainien. Doucement, l'Ukraine pourrait cesser d'être une affaire américaine, pour devenir non une affaire européenne (l'Europe n'existe pas, politiquement), mais une affaire allemande. Dès que les choses deviennent sérieuses, les conglomérats multilatéraux s'évaporent, les nations demeurent.
Alors, il y aura l'Allemagne. Il y aura la Russie. Et entre ces deux géants, il y aura toujours l'Ukraine. Avec ce double tropisme Occident/Russie, en place depuis des siècles. Avec toujours la question du Donbass. Avec l'accès à la mer Noire. Avec la concurrence agricole sur les produits céréaliers. Et dans ces intérêts économiques immenses, l'Allemagne commencera gentiment à fourrer son nez. Et Moscou s'en offusquera.
Et l'Histoire, dans sa tectonique patience, continuera. Avec, cette fois, les vrais acteurs.
Pascal Décaillet